La main coup?e (Отрезанная рука)
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Si par hasard les passants dans l’une ou l’autre des galeries Nord ou Sud, voyaient entreb^aill'ee l’une des portes am'enag'ees dans la muraille plac'ee sous les marches, ils s’apercevaient qu’elle acc'edait dans une salle absolument obscure et dont le sol 'etait sabl'e. Si quelque indiscret voulait se renseigner sur le but de ce local, on ne se g^enait pas pour dire que c’'etait l`a l’entr'ee des nouvelles caves de s^uret'e o`u l’administration du Casino accumulait ses r'eserves d’or, d’argent et de papier-monnaie.
Assur'ement les portes 'etaient robustes, mais elles ne semblaient pas dignes de prot'eger les immenses fortunes que contenaient les souterrains dont elles commandaient l’entr'ee. Vraisemblablement il devait y avoir d’autres obstacles `a franchir pour parvenir jusqu’au tr'esor qu’eussent envi'e les princes dont on parle dans les Mille et Une Nuits, ou simplement les fabuleux rois des Indes.
Il y avait, en effet, d’autres obstacles et ceux-l`a, nul ne les connaissait.
Les gardiens, lorsqu’on les interrogeait sur les myst`eres de cette chambre noire, r'epliquaient que rien n’'etaient dangereux comme de s’y aventurer, car elle comportait de nombreuses installations 'electriques. Il passait dans la pi`ece, assurait-on, des multitudes de courants dont le moindre suffisait `a foudroyer son homme. On parlait aussi d’oubliettes, de planches `a bascule, de guillotine, de tout un arsenal de tortures et de d'efenses dont la seule 'enum'eration e^ut 'epouvant'e les plus audacieux.
Cela toutefois 'etait-il vraisemblable ?
Pouvait-on s’imaginer que dans ce Casino si 'el'egant, si dor'e, si mondain, pouvait exister un semblable repaire de terreur ? Et cela non pas dans un endroit 'ecart'e et d'esert, mais bien dans la partie la plus 'el'egante de l’'etablissement, sous le grand escalier `a double r'evolution, dont la rampe en fer forg'e faisait l’admiration des connaisseurs, au beau milieu du hall, entre les deux galeries Nord et Sud o`u d'efilait pendant la saison tout ce que le monde civilis'e compte d’'el'egants et de riches ?
Cela semblait impossible et pourtant il fallait bien l’admettre, car enfin on devait bien se douter que parmi les 'el'egants et 'el'egantes qui fr'equentaient le Casino, se trouvaient des individus, des bandes d’individus m^eme, pleins de t'em'erit'e, d’audace et d’habilet'e, qui n’auraient recul'e devant rien `a condition d’avoir simplement l’impression, l’espoir m^eme vague, de pouvoir parvenir `a p'en'etrer dans ce lieu et `a s’emparer des fortunes qu’il renfermait.
Oui certes, ces doubles portes qui, `a l’ext'erieur avaient des lambris dor'es, 'etaient consid'er'ees du matin au soir et du soir au matin par des milliers de regards qui convoitaient, non pas de les ouvrir, car par mani`ere d’ironie ou de bravade, elles n’'etaient jamais ferm'ees `a clef, mais bien de les franchir et de s’engager dans l’obscurit'e froide de la salle au sol sabl'e.
Mais nul ne l’osait.
N’y p'en'etrait qu’une seule personne :
Louis Meynan, le caissier.
`A peu pr`es r'eguli`erement chaque soir `a huit heures moins dix, on voyait le jeune employ'e s’approcher nonchalamment du grand escalier. Il le contournait, tant^ot `a droite, tant^ot `a gauche et comme si cela n’avait aucune importance, il p'en'etrait dans la pi`ece obscure, myst'erieux vestibule des Coffres de S^uret'e, soit par la porte donnant sur la galerie Nord, soit par la porte donnant sur la galerie Sud.
Jamais il ne ressortait par ces issues : il existait un autre passage pour regagner les bureaux de l’administration, sans doute.
***
Ce soir-l`a, comme d’habitude, mais `a pr'esent pour la derni`ere fois, Louis Meynan s’'etait introduit `a l’heure accoutum'ee, dans la chambre secr`ete. Le jeune homme, ne comptait pas recommencer ce qu’il avait fait tous les jours pendant dix ann'ees cons'ecutives. Le lendemain, il aurait un remplacant, le surlendemain il serait parti.
Depuis sept heures du soir, `a l’extr'emit'e de la galerie Nord, install'e dans un rocking-chair, se trouvait un homme qui fumait cigarettes sur cigarettes et qui, visiblement, ne s’amusait pas.
Le jeu 'etait commenc'e et les promeneurs jusque-l`a assez nombreux dans la galerie l’avaient abandonn'ee, si bien que le fumeur s’y trouvait seul.
Ce fumeur n’'etait autre que Juve.
Le policier s’ennuyait ferme.
Depuis sa brouille avec Fandor, il n’avait pas rencontr'e le journaliste. M^eme, il ignorait totalement ce qu’il 'etait devenu. Juve, d’ailleurs, nourrissait `a l’'egard de son compagnon une rage froide et raisonn'ee qui s’augmentait au fur et `a mesure qu’il y r'efl'echissait. Certes, il connaissait le caract`ere primesautier de Fandor. Il savait qu’`a maintes reprises le jeune homme avait agi d’une facon irr'efl'echie. Mais Juve estimait que cette fois Fandor avait d'epass'e la mesure, en laissant purement et simplement filer la fille de Fant^omas.
Car elle 'etait partie et bien partie.
Juve, dans l’apr`es-midi, s’en 'etait assur'e par lui-m^eme dans la maison H'eberlauf.
Et dans l’esprit de Juve, revenait sans cesse, comme un leitmotiv, comme une v'eritable obsession, ce perp'etuel commentaire de l’attitude de Fandor :
— C’est une imb'ecillit'e qui n’a pas de nom.
Au surplus la mauvaise humeur de Juve – mais cela, le policier ne l’avouait pas – provenait aussi de ce que Fandor lui avait fait des reproches, assur'ement m'erit'es, sur la passion `a laquelle il s’adonnait d'esormais. Car Juve se laissait aller `a jouer.
Il 'eprouvait le vertige qui gagne, 'etourdit tous ceux qui s’approchent des s'eduisantes et effroyables tables de jeu.
Juve, malgr'e sa volont'e, malgr'e son empire sur lui-m^eme, se sentait pris et bien pris.
Cependant qu’il demeurait dans cette galerie, Juve luttait en lui-m^eme contre un sentiment double :
Il ne voulait pas bouger, il pr'etendait demeurer l`a dans ce fauteuil, immobile, comme il l’'etait depuis deux heures. Il ne voulait pas se lever, car Juve savait que s’il se levait, ce serait pour se rendre `a la salle de jeu.
Certes, la nuit pr'ec'edente, il avait perdu la petite fortune que le Casino lui avait g'en'ereusement octroy'ee. Mais le policier, en fouillant son portefeuille, y avait encore d'ecouvert quelques billets de banque. Et il se disait, pour se mettre d’accord avec sa propre conscience :
— Il ne me reste pas assez d’argent pour proc'eder dignement `a mes enqu^etes, il m’en faut d’autre. O`u le trouver ? Il importe que je joue, je gagnerai. Je sens que je gagnerai ce soir.