Le Voleur d'Or (Золотой вор)
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Il en r'esultait des ombres stup'efiantes. Les armes que chacun tenait miroitaient, devenues rouges, comme souill'ees de sang. Les visages h^aves et amaigris se creusaient plus encore, les yeux de tous brillaient enfin de flammes furieuses.
— S^urement que les rigolos ont parl'e !
— On n’peut donc plus dormir tranquille, maint’nant !
— `A c’t’heure, c’est-y la police qui cogne l`a-haut ?
Ces quelques paroles rappelaient Juve `a la r'ealit'e des faits.
Un instant, il avait cru vivre un cauchemar extraordinaire. Il avait pens'e ^etre transport'e au pays des songes. Il avait dout'e du t'emoignage de ses sens, stup'efi'e de trouver en plein Paris, en son 'epoque ultra-moderne, une bande de mis'erables qui rappelaient les bandes d’autrefois, les compagnons des criminels, des grands voleurs, comme les Mandrin et les Cartouche.
Lourdement, il retomba de cette vision extraordinaire dans le souci des choses pr'esentes.
Les Grouilleurs, puisque les habitants de l’Enfer se nommaient ainsi eux-m^emes, demeuraient tous immobiles, haletants, pr^etant l’oreille.
Juve, lui aussi, 'ecouta.
Au-dessus de sa t^ete, sur la berge, on entendait des pas sourds, pr'ecipit'es, saccad'es… Par moments, un cri retentissant, l’appel furtif d’un homme aux abois :
— Par ici !… Par l`a !…
Juve fr'emit. 'Evidemment, c’'etait la rafle !
Or, `a cet instant, Juve 'eprouvait un nouveau et tr`es bizarre sentiment.
Pour quelques minutes, en effet, lui qui 'etait policier, lui qui 'etait un honn^ete homme, lui qui consacrait sa vie `a d'efendre la soci'et'e contre le plus redoutable ennemi de la justice, il se trouvait tout d’un coup solidaire des bandits qui l’entouraient ; il avait comme eux peur des agents qui, sur le quai, faisaient leur devoir… Les Grouilleurs, cependant, prenaient d'esormais des mines farouches.
— S^urement, d'eclarait l’un d’eux, c’est encore les cognes qui op`erent l`a-haut ! Ils poissent les fr`eres de la berge…
C’'etait bien ce que pensait Juve.
Le policier, en effet, qui s’'etait r'efugi'e dans l’Enfer pour 'eviter la poursuite des agents lanc'es `a ses trousses lors de sa sortie de la Monnaie, ne pouvait gu`ere se faire d’illusions.
Les agents ne le trouvaient pas. Ils avaient en revanche d'ecouvert, sur les berges, tous les pauvres errants de nuit qui 'etaient venus dormir l`a, oublier un peu leur fatigue et leur d'etresse.
Et les agents, sans doute 'enerv'es de leur poursuite vaine, parquaient tout le monde, le triaient, s’efforcaient d’arriver `a d'ecouvrir l’homme qu’ils cherchaient.
— Pauvres bougres ! soupira le policier. Ce sont eux qui vont payer pour moi !…
Juve, toutefois, n’'etait pas tr`es inquiet `a leur sujet.
Il savait fort bien, en effet, que les arrestations op'er'ees cette nuit-l`a au cours de la rafle ne seraient probablement pas maintenues. Les arrestations co^utent cher ; un homme en prison, c’est une bouche `a nourrir !
Juve, maintes fois, avait r'efl'echi `a ce terrible probl`eme qui fait que la police rel^ache soixante-cinq pour cent de ceux qu’elle arr^ete, et cela pour ne pas grever le budget d'ej`a si lourd des prisons d’Etat…
Or, `a l’instant o`u Juve r'efl'echissait de la sorte, les mis'erables qui l’entouraient continuaient `a s’agiter. Ils allaient et venaient dans la caverne, ils paraissaient nerveux au possible, et ils d'ecrochaient les armes qui pendaient au mur. Ils glissaient des cartouches dans le tonnerre de leur revolver…
Juve assistait `a tous ces pr'eparatifs, se demandant un peu ce que ces gens-l`a comptaient faire.
Assur'ement, leur repaire, l’Enfer, n’'etait pas connu des autorit'es polici`eres ! Sans Bouzille, Juve ne l’aurait jamais d'ecouvert. Il n’avait donc qu’`a rester bien tranquille, `a attendre les 'ev'enements.
Mais Juve raisonnait ainsi parce qu’il estimait que, sans doute, la balle qui avait pass'e `a travers la porte grill'ee 'etait une balle perdue, une balle qui avait ricoch'e, manqu'e son but, et qu’`a coup s^ur on n’allait pas donner l’assaut `a l’extraordinaire souterrain.
Or, comme Juve raisonnait ainsi, brusquement, des exclamations retentissaient `a c^ot'e de lui. Deux Grouilleurs accouraient. L’un 'etait un tout jeune homme qui pouvait compter tout juste dix-huit ans, dont le visage 'emaci'e semblait perp'etuellement flamber dans une terrible fi`evre. L’autre 'etait un homme d’une quarantaine d’ann'ees, la figure surprenante, un 'etranger, sans doute.
Tous deux cri`erent en arrivant `a la hauteur de Juve :
— La paix ! vous autres, et qu’on rapplique !…
Alors le jeune homme, le gamin, l’enfant 'etendit la main.
Il tenait un objet qui brillait, et dont, `a premi`ere vue, il 'etait difficile d’identifier la nature. Le jeune Grouilleur s’expliquait :
— Zieutez-moi ca, demandait-il, et n’rigolez pas ! Moi, j’vous dis qu’c’est grave, c’qui s’passe l`a-haut, c’est pas seul’ment la rousse qui op`ere, c’est bien mieux qu’ca, c’est les bandes qui s’foutent une peign'ee !
Juve, `a ce moment, ne comprenait pas. Sa surprise cependant n’allait pas ^etre longue. Le chef des Grouilleurs, en effet, le vieillard `a barbe blanche, qui avait entretenu Juve, se pr'ecipitait vers son compagnon :
— De quoi ? demandait-il. Qu’est-ce que tu jactes ?
L’autre se troublait. On semblait, parmi les Grouilleurs, nourrir un grand respect pour le chef. Nul ne lui adressait la parole, tous baissaient la voix lorsqu’il les consid'erait.
— Chef ! r'epondit l’enfant, c’est pas les cognes qui sont l`a-haut. Et la meilleure preuve, c’est que voil`a l`a balle qui a 'etoil'e not’porte ! S^urement qu’elle n’a pas 'et'e tir'ee par le rigolo d’un flic, elle vient de la Ruisselance…