Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)
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« Il est vrai, pensait Juve, que, plac'e comme je suis pour 'ecouter, il me serait impossible de reconna^itre une voix d'ej`a entendue. Car ce petit trou par lequel me parviennent les sons, d'eforme les bruits, chaque fois que la cloison vibre. »
La cloison vibrait, en effet, `a chaque mouvement que faisaient dans leur chambre les voisins de Juve.
Le policier, profitant de ce qu’on se taisait dans la pi`ece, remplaca son oreille par son oeil et regarda, cherchant `a voir. Le trou se trouvait situ'e `a environ un m`etre soixante au-dessus du sol. `A un moment donn'e, Juve, qui observait, ne put r'eprimer un tressaillement de joie.
— Oui ! murmura-t-il, ca y est, je tiens mon Baraban !
En effet, un homme venait de passer devant le trou perc'e dans la muraille. Juve n’avait vu que le haut de son corps, ses 'epaules et sa t^ete, mais cela suffisait pour l’identifier. Le personnage portait un veston `a carreaux noirs et jaunes, un faux col tr`es blanc, tr`es glac'e, mais ce qu’il y avait en lui de caract'eristique, c’'etait sa chevelure et la coupe de sa barbe. Il avait des cheveux tout blancs, une barbe blanche 'egalement ras'ee au menton, ne comportant que les favoris et la moustache.
Assur'ement, c’'etait l`a Baraban. Juve le reconnaissait `a merveille, car il avait, grav'e dans la m'emoire le portrait du vieillard tel qu’il l’avait trouv'e chez lui, rue Richer. Il en avait m^eme une photographie sur lui, il la regarda `a nouveau pour bien se convaincre et se d'eclara :
— Le moindre doute est impossible, c’est Baraban et c’est le vrai.
D'esormais Juve se rendait parfaitement compte que le Baraban qu’il avait vu, quelques semaines auparavant, d'ebarquer du train `a Vernon au moment o`u on arr^etait les Ricard, 'etait plus grand et plus fort que le v'eritable locataire de la rue Richer.
Oui, le Baraban qui 'etait venu `a Vernon, c’'etait celui que pistait Juve rue Richer, et qu’il reconnaissait pour ^etre Fant^omas. Mais, celui qui se trouvait d'esormais dans la chambre d’Alice, c’'etait le vrai Baraban, l’homme que l’on recherchait en vain depuis si longtemps, l’homme que la police enti`ere avait cru victime d’un assassinat, alors que Juve, `a de rares d'eceptions pr`es, avait toujours pr'etendu que celui-ci avait disparu dans le but de dissimuler une intrigue, une fugue amoureuse.
D’ailleurs, l’attitude qu’il avait avec Alice Ricard 'etait probante. C’'etaient bien un amant et sa ma^itresse que Juve entendait d'esormais bavarder famili`erement dans un bourdonnement confus, cependant qu’ils interrompaient leur entretien, de temps `a autre, par des bruits de tendres baisers et par des silences significatifs.
Juve triomphait. Sa th`ese avait 'et'e la bonne, et avant le soir, il l’aurait d'emontr'e. Que lui restait-il `a faire d'esormais si ce n’'etait d’arr^eter Baraban, arr^eter Alice, les faire tous les deux s’expliquer ?
Mais Juve, `a ce moment, sursauta. Il venait, tout d’un coup, de songer `a nouveau aux lettres d'ecouvertes par lui, la veille, dans la petite maison des Ricard, `a Vernon. Il avait cru, tout d’abord, qu’il s’agissait l`a d’une mise en sc`ene, de lettres r'edig'ees dans un sens tel qu’elles allaient duper la police.
D'esormais, Juve se demandait si les Ricard n’avaient pas dit l’un et l’autre la v'erit'e, s’il ne se trouvait pas d'esormais en pr'esence d’une simple et vulgaire intrigue d’amour, et si le malheureux Fernand ne s’'etait pas vraiment suicid'e ?
Depuis trois heures, Juve n’avait pas de nouvelles de Fandor. Le journaliste avait-il donc perdu la piste de Fernand Ricard ? Fallait-il adopter la th`ese de la S^uret'e de Cherbourg qui pr'etendait que le passager Ricard avait d^u, au cours de son voyage en paquebot, tomber ou se jeter `a l’eau ?
Juve ne tenait plus en place, tant il 'etait impatient d’agir, de savoir. Il arma son revolver, le mit dans sa poche, puis quitta sa chambre et s’avanca dans le couloir.
Le couloir 'etait obscur, et en fr^olant les murs de ses mains, le policier cherchait les moulures lui indiquant la porte de la pi`ece o`u se trouvaient les deux amants myst'erieux.
Juve s’arr^eta devant le 44 lorsque soudain il r'eprima un geste de surprise. Une main venait de se poser sur son 'epaule, tandis que quelqu’un murmurait `a son oreille, d’une voix cordiale et railleuse :
— Bonjour Juve.
— Fandor ! dit le policier.
Puis, tous deux se firent mutuellement signe de baisser la voix.
Leurs yeux, cependant, s’'etaient accoutum'es `a l’obscurit'e. Les deux amis se consid'eraient, stup'efaits :
— Ah ca, te voil`a Fandor ? Que fais-tu donc ? Explique-moi.
— Me voil`a, en effet, Juve, aussi surpris de vous voir que vous ^etes 'etonn'e d’^etre en face de moi. On a raison de le dire, il n’y a d'ecid'ement que les montagnes qui ne se rencontrent pas.
— Explique-toi, bon Dieu !
Mais Fandor, `a son tour, coupait la parole `a Juve. Du doigt, il d'esigna la porte de la chambre 44 :
— Eh bien Juve, ils sont l`a.
— Je sais, j’occupais la chambre voisine, le 46.
Il avait l’air fort satisfait, le bon Juve, en annoncant `a Fandor qu’il 'etait depuis longtemps d'ej`a au courant de ce que Fandor pr'etendait lui annoncer. Mais le journaliste ne se d'econcertait pas pour si peu, et tr`es heureux de l’effet qu’il produisait lui-m^eme, il d'eclara :
— Eh bien, moi, Juve, j’habite la chambre 42.
Le policier, cette fois, 'etait abasourdi.
— Ah par exemple, grogna-t-il, quel malheur que je ne l’aie pas su. Il y a longtemps que tu demeures l`a ?
Fandor haussa les 'epaules :
— Ma chambre est retenue depuis hier, mais `a vrai dire, je ne l’occupe que depuis quelques instants.
— 'Ecoute, mon petit, fit Juve, il ne s’agit pas de nous raconter des histoires incompr'ehensibles. Pr'ecise-moi ce que tu as fait, comment tu te trouves ici. Allez, grouille, Fandor, c’est urgent !