Bel-Ami / Милый друг
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M. Walter tenait la lampe a bout de bras, et repetait en riant d'un rire polisson:
– Hein? Est-ce drole? est-ce drole?
Puis il eclaira:
– Un Sauvetage, par Lambert.
Au milieu d'une table desservie, un jeune chat, assis sur son derriere, examinait avec etonnement et perplexite une mouche se noyant dans un verre d'eau. Il avait une patte levee, pret a cueillir l'insecte d'un coup rapide. Mais il n'etait point decide. Il hesitait. Que ferait-il?
Puis le patron montra un Detaille: La Lecon, qui representait un soldat dans une caserne, apprenant a un caniche a jouer du tambour, et il declara:
– En voila de l'esprit!
Duroy riait d'un rire approbateur et s'extasiait:
– Comme c'est charmant, comme c'est charmant, char…
Il s'arreta net, en entendant derriere lui la voix de Mme de Marelle qui venait d'entrer.
Le patron continuait a eclairer les toiles, en les expliquant.
Il montrait maintenant une aquarelle de Maurice Leloir: L'Obstacle. C'etait une chaise a porteurs arretee, la rue se trouvant barree par une bataille entre deux hommes du peuple, deux gaillards luttant comme des hercules. Et on voyait sortir par la fenetre de la chaise un ravissant visage de femme qui regardait… qui regardait… sans impatience, sans peur, et avec une certaine admiration le combat de ces deux brutes.
M. Walter disait toujours:
– J'en ai d'autres dans les pieces suivantes, mais ils sont de gens moins connus, moins classes. Ici c'est mon Salon carre. J'achete des jeunes en ce moment, des tout jeunes, et je les mets en reserve dans les appartements intimes, en attendant le moment ou les auteurs seront celebres.
Puis il prononca tout bas:
– C'est l'instant d'acheter des tableaux. Les peintres crevent de faim. Ils n'ont pas le sou, pas le sou…
Mais Duroy ne voyait rien, entendait sans comprendre. Mme de Marelle etait la, derriere lui. Que devait-il faire? S'il la saluait, n'allait-elle point lui tourner le dos ou lui jeter quelque insolence? S'il ne s'approchait pas d'elle, que penserait-on?
Il se dit:
La visite des murs etait finie. Le patron alla reposer sa lampe et saluer la derniere venue, tandis que Duroy recommencait tout seul l'examen des toiles comme s'il ne se fut pas lasse de les admirer.
Il avait l'esprit bouleverse. Que devait-il faire? Il entendait les voix, il distinguait la conversation. Mme Forestier l'appela:
– Dites donc, monsieur Duroy.
Il courut vers elle. C'etait pour lui recommander une amie qui donnait une fete et qui aurait bien voulu une citation dans les Echos de la Vie Francaise.
Il balbutiait:
– Mais certainement, madame, certainement…
Mme de Marelle se trouvait maintenant tout pres de lui. Il n'osait point se retourner pour s'en aller.
Tout a coup, il se crut devenu fou; elle avait dit, a haute voix:
– Bonjour, Bel-Ami. Vous ne me reconnaissez donc plus?
Il pivota sur ses talons avec rapidite. Elle se tenait debout devant lui, souriante, l'oeil plein de gaiete et d'affection. Et elle lui tendit la main.
Il la prit en tremblant, craignant encore quelque ruse et quelque perfidie. Elle ajouta avec serenite:
– Que devenez-vous? On ne vous voit plus.
Il begayait, sans parvenir a reprendre son sang-froid:
– Mais j'ai eu beaucoup a faire, madame, beaucoup a faire. M. Walter m'a confie un nouveau service qui me donne enormement d'occupation.
Elle repondit, en le regardant toujours en face, sans qu'il put decouvrir dans son oeil autre chose que de la bienveillance:
– Je le sais. Mais ce n'est pas une raison pour oublier vos amis.
Ils furent separes par une grosse dame qui entrait, une grosse dame decolletee, aux bras rouges, aux joues rouges, vetue et coiffee avec pretention, et marchant si lourdement qu'on sentait, a la voir aller, le poids et l'epaisseur de ses cuisses.
Comme on paraissait la traiter avec beaucoup d'egards, Duroy demanda a Mme Forestier:
– Quelle est cette personne?
– La vicomtesse de Percemur, celle qui signe:
Il fut stupefait et saisi par une envie de rire:
– Patte blanche! Patte blanche! Moi qui voyais, en pensee, une jeune femme comme vous! C'est ca, Patte blanche? Ah! elle est bien bonne! bien bonne!
Un domestique apparut dans la porte et annonca:
– Madame est servie.
Le diner fut banal et gai, un de ces diners ou l'on parle de tout sans rien dire. Duroy se trouvait entre la fille ainee du patron, la laide, Mlle Rose, et Mme de Marelle. Ce dernier voisinage le genait un peu, bien qu'elle eut l'air fort a l'aise et causat avec son esprit ordinaire. Il se troubla d'abord, contraint, hesitant, comme un musicien qui a perdu le ton. Peu a peu, cependant, l'assurance lui revenait, et leurs yeux, se rencontrant sans cesse, s'interrogeaient, melaient leurs regards d'une facon intime, presque sensuelle, comme autrefois.
Tout a coup, il crut sentir, sous la table, quelque chose effleurer son pied. Il avanca doucement la jambe et rencontra celle de sa voisine qui ne recula point a ce contact. Ils ne parlaient pas, en ce moment, tournes tous deux vers leurs autres voisins.
Duroy, le coeur battant, poussa un peu plus son genou. Une pression legere lui repondit. Alors il comprit que leurs amours recommencaient.
Que dirent-ils ensuite? Pas grand'chose; mais leurs levres fremissaient chaque fois qu'ils se regardaient.
Le jeune homme, cependant, voulant etre aimable pour la fille de son patron, lui adressait une phrase de temps en temps. Elle y repondait, comme l'aurait fait sa mere, n'hesitant jamais sur ce qu'elle devait dire.
A la droite de M. Walter, la vicomtesse de Percemur prenait des allures de princesse; et Duroy, s'egayant a la regarder, demanda tout bas a Mme de Marelle:
– Est-ce que vous connaissez l'autre, celle qui signe: «Domino rose»?
– Oui, parfaitement: la baronne de Livar?