L'agent secret (Секретный агент)
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— Vous pr'etendez donc, observa le commandant Dumoulin, n’avoir pris la personnalit'e de Vinson qu’`a partir de cette date ?
— Je le pr'etends en effet, mon commandant.
— Mais, monsieur, s’'ecria celui-ci, c’est l`a toute l’affaire et c’est ce qu’il importe de prouver.
— La chose n’est pas difficile. J’ai de nombreux alibis `a l’appui de mon affirmation…
— Les alibis !.. les alibis !… s’'ecria-t-il, vous en venez toujours l`a, je vous demande un peu, qu’est-ce que cela prouve, les alibis ?…
— La v'erit'e ! mon commandant, car il n’y a pas d’^etre humain au monde, que je sache, qui poss`ede le don d’ubiquit'e… quand je suis `a Paris, je ne suis pas `a Ch^alons ou `a Verdun et r'eciproquement…
— Peuh ! fit-il, avec des gaillards de votre esp`ece qui se d'eguisent perp'etuellement et changent de t^ete comme je change de faux-col, peut-on jamais savoir ?… Fandor…
— Mon commandant ?
— Le mardi vingt-neuf novembre, vous 'etiez bien dans la peau de Vinson, n’est-ce pas ?
— Oui, mon commandant.
— Eh bien, poursuivit celui-ci triomphalement, ce m^eme mardi vingt-neuf novembre, vous 'etiez aussi sous les traits de J'er^ome Fandor au bal de l’'Elys'ee. Ainsi vous voyez…
— Pardon, mon commandant, r'etorqua le journaliste, j’avais une permission de vingt-quatre heures, une permission r'eguli`ere…
— Ah ! n’en parlons pas de ces permissions. Dieu sait avec quelle facilit'e, vous autres espions, vous parvenez `a vous les faire accorder… Au surplus, d'eclara-t-il, il y a quelque chose de bien plus grave dans votre cas.
— Quoi donc, grand Dieu ?
— Nous en parlerons tout `a l’heure… car auparavant nous allons proc'eder `a la confrontation que vous avez d'esir'ee… Lieutenant Servin, ajouta-t-il, voyez si les t'emoins sont l`a ?…
J'er^ome Fandor tressaillit.
C'edant aux instances du journaliste, Dumoulin avait convoqu'e deux hommes remplissant les fonctions de plantons `a la Place de Ch^alons : ils avaient v'ecu aux c^ot'es du v'eritable Vinson.
Deux soldats furent introduits.
D’un ton rogue, Dumoulin interrogea :
— Hiloire ?
— Pr'esent, mon commandant.
— Comment vous appelez-vous ?…
Le soldat 'ecarquilla les yeux et croyant qu’il s’agissait de donner son pr'enom, d'eclara en balbutiant :
— Justinien.
— Quoi, grommela le commandant qui froncait les sourcils, vous ne vous appelez pas Hiloire ?
D'ej`a l’homme perdait pied, il esquissa quelques explications confuses : il s’appelait `a la fois Hiloire et Justinien. Hiloire 'etant son nom de famille et Justinien son nom de bapt^eme.
— Bon, d'eclara le commandant qui proc'eda ensuite `a l’interrogatoire d’identit'e du deuxi`eme troupier, Tarbottin (Nicod`eme).
L’officier pour simplifier la proc'edure les questionnait ensemble :
— Vous ^etes bien soldats de 2 eclasse au 213 ede ligne et remplissez les fonctions de plantons d’'etat-major ?
Avec un bel ensemble les deux hommes r'epondirent :
— Oui, mon commandant.
— Vous connaissez le caporal Vinson ?
— Oui mon commandant.
Dumoulin, d’un geste de la main, d'esignait Fandor et poursuivait :
— Est-ce lui ?
— Oui, mon commandant ! r'epondirent encore les deux soldats…
Mais `a ce moment le lieutenant Servin fit observer `a son chef que les t'emoins avaient r'epondu affirmativement, sans m^eme tourner la t^ete du c^ot'e du pseudo caporal.
Le commandant se f^acha. Il cria :
— Esp`eces d’imb'eciles, avant de dire que l’on reconna^it quelqu’un, il faut commencer par le regarder. Regardez le caporal…
Les hommes ob'eirent.
— Est-ce le caporal Vinson ?
— Oui, mon commandant !…
L’officier insista encore :
— Vous en ^etes s^urs ?
— Non, mon commandant.
Le commandant Dumoulin s’exasp'erait de plus en plus contre eux.
— Ah, c`a, hurla-t-il, est-ce que vous vous foutez du monde ? je m’en vais vous coller huit jours de bo^ite si vous continuez `a ^etre aussi b^etes que ca. T^achez de comprendre ce que vous faites.. Savez-vous seulement pourquoi vous ^etes ici ?
Apr`es s’^etre consult'es du regard un instant, pour savoir lequel des deux prendrait la parole, Tarbottin, moins timide que son compagnon expliqua :
— C’est le sergent qui nous a dit comme ca, mon commandant, que nous 'etions envoy'es `a Paris pour reconna^itre le caporal Vinson… alors…
— Alors ?
— Alors, continua Hiloire… on le reconna^it !..
Et tous deux conclurent, fiers d’avoir compris la consigne :
— On a des ordres… on les ex'ecute.
Le commandant 'etait devenu 'ecarlate. D’un violent coup de poing, il envoya promener trois dossiers par terre et s’adressant au lieutenant Servin :
— Je ne comprends vraiment pas le capitaine d’'etat-major qui para^it avoir choisi expr`es les plus grandes brutes de son service. Que diable voulez-vous qu’on obtienne de ces gaillards-l`a ?
Il interrogeait encore son subordonn'e :
— A-t-on proc'ed'e `a la contre-'epreuve ? leur a-t-on montr'e le cadavre du vrai caporal Vinson ?