L'assassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам)
Шрифт:
— Apr`es tout, pensa-t-elle, peut-^etre que nous sommes deux…
Et, timide, la jeune fille n’osait pas prendre la parole, interrompre le gardien et lui signaler le fait. Elle n’en aurait, d’ailleurs, pas eu le temps. Fendant les rangs press'es de la foule, la femme qui s’'etait donn'ee pour Rose Coutureau s’approcha soudain de la jeune fille :
— Viens, fit-elle en la prenant par le bras, j’ai `a te causer.
Stup'efaite, Rose se laissa entra^iner dans un angle de la salle.
— Dis donc, commenca la grande pierreuse en prenant famili`erement la fille de l’habilleur par la taille, j’ai d^u t’'epater lorsque j’ai r'epondu : Pr'esente, `a ta place.
— Vous me connaissez donc ? interrogea la jeune fille.
— Probable, fit son interlocutrice en haussant les 'epaules, mais c’est pas de ca dont y s’agit. Faut que je t’explique et ca urge, rapport `a ce que nous allons ^etre oblig'ees de nous s'eparer dans un instant. Voil`a donc de quoi il retourne : moi, je m’appelle la Grande Berthe, j’ai 'et'e boucl'ee ici pour r'ebellion aux agents, des b^etises sans importance, quoi. J’en ai pour vingt-quatre heures de bo^ite et comme j’ai d'ej`a tir'e douze heures de pr'eventive, ce soir, `a six heures, apr`es les flagrants d'elits, on me rel^achera. Toi, y para^it que c’est pas le m^eme truc, t’es ici pour vol, et tu vas trinquer. L’instruction d’abord, une affaire de huit jours, quoi, puis, huit jours encore avant de passer au tourniquet [25]. La condamnation ensuite, enfin, ma fille, t’en as pour une paye avant de sortir de t^ole. Or, para^it qu’il faut que tu te d'ebines d`es ce soir.
Rose Coutureau 'ecoutait sans comprendre ce d'eluge de paroles. Elle 'etait abasourdie par ce pr'eambule, elle le fut bien plus encore, lorsque la grande Berthe lui eut expos'e ses derni`eres intentions :
— Voil`a ce qu’on va faire, poursuivit la pierreuse : quand tout `a l’heure les gardiens viendront chercher Rose Coutureau, c’est moi qui partirai `a ta place. Naturellement, lorsqu’on demandera la grande Berthe, tu r'epondras que c’est toi, et tu reconna^itras devant le juge, que tu as bien trait'e les agents de vaches. Tu ajouteras que tu 'etais ivre, que tu regrettes.
« Comme ca, tu comprends, insistait la pierreuse, tu seras libre ce soir, tu peux y compter, je connais le tarif. Pendant ce temps-l`a, moi, je trinquerai `a ta place. Inutile de me raconter comment tu as fait ton coup, ton homme m’a mis au courant. »
Cette fois, Rose Coutureau comprit, et son coeur se gonfla d’une immense gratitude `a l’'egard de cette excellente femme qui consentait b'en'evolement `a prendre sa place, `a se faire condamner, alors qu’elle n’avait rien fait, `a subir enfin la peine qu’elle m'eritait, elle, Rose Coutureau.
Qui donc avait pu avoir l’id'ee de cette substitution ? La fille de l’habilleur n’osait croire que c’'etait son amant, si bourru cependant, que c’'etait Beaum^ome qui avait imagin'e cette merveilleuse combinaison.
D’autre part, pour quelle raison la pierreuse agissait-elle ainsi ? Rose Coutureau 'etait na"ive, mais pas au point de croire qu’une inconnue avait consenti `a se substituer `a elle pour le simple plaisir de lui rendre service.
Mais la grande Berthe r'epondit `a la question implicite que se posait la jeune fille.
— T’as pas besoin d’avoir de scrupules, dit-elle. Si je fais la combine, c’est parce que le truc me va. Tu as de la veine d’avoir un amant qui est plein aux as, il m’a gav'ee de p`eze, et au fond, moi, tu sais, plut^ot que de trimer sur la rade par tous les temps, et de ne rien ramasser que des rebuffades, j’aime encore mieux passer quelques semaines en t^ole, `a me la couler douce, bien nourrie, bien log'ee. Qu’est-ce que tu veux, moi j’ai pas de chance. Pour faire le truc, faut ^etre gentille ! Ca allait bien il y a dix ans, mais maintenant que je suis moche, autant changer de m'etier.
Une voix, soudain, surmonta le murmure confus de la grande salle du D'ep^ot. Un gardien criait, appelait des femmes :
— Alice Binet ! Jeanne Dubourg ! Rose Coutureau !
— Pr'esente ! r'epondit la grande Berthe d’une voix forte.
En h^ate, elle prenait cong'e de la jeune fille.
— Ca y est, fit-elle, ca commence, `a bient^ot. On se reverra. Tu remercieras ton homme, qui a 'et'e g'en'ereux pour moi.
Elle ajouta :
— Para^it qu’il y a une plainte d'epos'ee contre toi. Si tu pouvais obtenir que la gonzesse que t’as vol'ee veuille bien la retirer, ou tout au moins ne vienne pas `a l’audience et qu’elle 'ecrive au pr'esident, ca vaudrait mieux. Adieu.
La pierreuse partit, puis revint encore sur ses pas :
— N’oublie pas de r'epondre quand on appellera la grande Berthe. Et quand tu seras dans le tourniquet, fais l’imb'ecile, reconnais que tu t’es r'ebellionn'ee contre les agents, mais ajoute que t’'etais so^ule et que tu regrettes.
***
Les choses se pass`erent comme l’avait dit la myst'erieuse pierreuse, et Rose Coutureau, sans comprendre exactement pourquoi cette substitution avait lieu, sans deviner surtout quel pouvait bien ^etre l’homme assez g'en'ereux, assez intelligent pour s’occuper d’elle ainsi, avait n'eanmoins accept'e la situation.
Apr`es le d'epart de la grande Berthe, qu’on emmenait `a l’instruction sous le nom de Rose Coutureau, la fille de l’habilleur 'etait rest'ee encore quelque temps au D'ep^ot, puis on avait appel'e vers midi
La jeune fille alors, toujours sous le nom de Berthe, avait 'et'e conduite `a l’audience des flagrants d'elits. Heureusement pour elle, les agents qui, la veille au soir, avaient arr^et'e la pierreuse n’'etaient pas cit'es comme t'emoins, l’inculp'ee ayant d'eclar'e dans son interrogatoire au commissariat de police, reconna^itre les faits qui lui 'etaient reproch'es. Comme dans un r^eve, Rose Coutureau s’entendit gourmander, traiter de fille perdue, qualifier de femme apache, puis, un vieux monsieur assist'e de deux autres plus jeunes, v^etus de noir, de derri`ere un grand bureau, l’admonesta paternellement :
— Il ne faut plus vous enivrer, ma petite, ni ^etre ainsi en r'ebellion. Voyons, vous ^etes jeune et gentille, t^achez d’^etre raisonnable !
Les deux gardes municipaux qui avaient amen'e Rose la reconduisirent au D'ep^ot.
La jeune fille, qui n’avait rien compris `a ce qui s’'etait pass'e, se retrouva dans la grande salle obscure et froide, dont le personnel se renouvelait sans cesse.
Et peu `a peu, au fur et `a mesure que les heures passaient, Rose Coutureau s’inqui'etait. Qu’allait-il advenir d’elle ? Elle avait peur que la supercherie ne f^ut d'ecouverte et que la substitution ne cr'e^at d’ennuyeuses complications. Une voix forte, vers six heures du soir, appela pourtant :