L'?vad?e de Saint-Lazare (Побег из Сен-Лазар)
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Assur'ement sa r'esolution 'etait prise lorsqu’il arriva rue de la Chapelle, car il courut `a la poste et jeta sa lettre dans la bo^ite. Il rebroussa chemin, ensuite revint dans la direction de l’impasse Urbain. Mais Didier s’arr^eta encore.
— `A quelle heure sera-t-elle distribu'ee ? se demandait-il.
Il revint au bureau, lut l’inscription : sa lettre ne parviendrait `a sa m`ere que le lendemain vers onze heures.
— C’est bien tard, pensa-t-il, et malgr'e tout elle se tourmentera inutilement. Si seulement je pouvais la faire pr'evenir.
Mais Didier ne s’arr^eta pas `a ce projet, il savait que sa m`ere et ses fr`eres se couchaient de bonne heure :
— Quel scandale si j’envoyais un messager quelconque. Il ne parviendrait `a l’usine que vers minuit. Non il faut 'eviter cela.
Retourner, remonter chez Blanche, c’'etait 'evidemment la solution qui tentait le plus Didier, mais il ne s’y arr^eta pas encore. La jeune femme avait eu raison en lui conseillant de ne pas exasp'erer la col`ere de sa m`ere. Mieux valait, peut-^etre encore, essayer de s’arranger avec elle et s’efforcer par cons'equent de lui d'eplaire le moins possible.
Pendant une bonne demi-heure, Didier qui n’'etait pas l’homme des d'ecisions rapides, erra sur le trottoir de la rue de la Chapelle. Il s’apercut enfin du temps perdu et son incertitude ne fit que s’accro^itre.
— Je monte chez Blanche, se dit-il, tant pis.
Mais une pens'ee l’arr^eta. Il y avait d'ej`a pr`es d’une heure qu’il avait quitt'e sa ma^itresse et il ne poss'edait pas la clef du logement, il allait donc falloir la troubler dans son sommeil, r'eveiller aussi peut-^etre le petit Jacques.
Brusquement, Didier apr`es avoir pris cette r'esolution adopta le parti contraire :
— Je rentre `a Saint-Denis, fit-il.
Et, pour ne pas changer d’avis, il courut jusqu’`a la barri`ere dans l’intention de prendre le dernier tramway. Au moment o`u il franchissait la grille d’octroi, il vit partir le v'ehicule, celui-ci 'etait trop loin d'ej`a pour que le jeune homme put le rattraper. Cette malchance aurait d^u d`es lors modifier sa d'ecision, il n’en fut rien !
— Tant pis, se dit Didier, je rentrerai `a pied, ca me changera les id'ees.
4 – LUI, TOUJOURS LUI ET SA GRANDE OMBRE
`A mi-chemin de la grande avenue qui joint la barri`ere de la Chapelle `a Saint-Denis se trouve une voie d'eserte et sinistre, plant'ee d’arbres maigres et sans branches, bord'ee par des terrains vagues o`u la Compagnie des Chemins de fer du Nord a construit ses ateliers pour la r'eparation des wagons et des locomotives. La nuit, cette partie de l’avenue est noire. Seul un point se trouve 'eclair'e. C’est la facade des ateliers de la Compagnie du Nord.
L`a, dans un renfoncement de palissade, se dresse un cabaret. Ce n’est pas un des honn^etes mastroquets de la banlieue parisienne, mais un bouge qui sue le vice et le crime, pouss'e l`a comme un champignon v'en'eneux. Sa client`ele se compose de tous les r^odeurs des fortifications, de tous les trimardeurs vivant de besognes louches aux portes de l’octroi, les
Le troquet ne porte aucune enseigne. Dans la journ'ee, mal clos par des volets de bois que le vent agite et secoue, il para^it d'esert, abandonn'e, et le plafond de la boutique est si bas qu’il semble pr^et `a rentrer sous le sol pour y cacher sa honte.
Le soir, d`es la nuit tomb'ee, lorsque la clignotante lumi`ere des r'everb`eres troue seule l’ombre 'epaisse, le cabaret se r'eveille. Le patron du nom d’Hilaire est un colosse. Aid'e d’autres garcons `a biceps, il d'ecroche les volets, sort quelques tables, suspend quelques enseignes, allume les lampes. Et d`es lors, le bouge illumin'e de gaz, avec ses glaces imp'en'etrables tant la bu'ee les recouvre vite, appara^it comme une sorte d’'epouvantable rendez-vous.
Une porte basse dont le bec-de-cane ext'erieur est presque toujours absent, sert d’entr'ee. Il faut frapper. Un garcon survient, vous examine, ouvre, referme sur vous. Qui ne conna^it le lieu a l’impression, quand la porte retombe, qu’il est litt'eralement prisonnier. Dans le bouge, r`egne toujours la m^eme atmosph`ere empuantie de relents de pipe et d’alcools. Le comptoir est surcharg'e de flacons divers, le patron trempe, de ses grosses mains rouges, des verres sales dans une eau laiteuse. Un alambic ronronne dans un coin. On cause. On parle. Il y a peu de monde, et pourtant, quand par hasard un passant attard'e s’y arr^ete un instant, il se sent imm'ediatement de trop. Il s’en va.
Ce bouge, qui inspire l’effroi, que la police conna^it, surveille, mais ne viole jamais en vertu d’une convention tacite conclue sans doute avec Hilaire, a pourtant une fid`ele client`ele. On y vient en habitu'e, on y cause, on y boit, on y dort et certains s’y trouvent si bien qu’ils ont l’impression d’y ^etre chez eux.
Outre la porte qui donne sur l’avenue menant `a Saint-Denis, il y a une fen^etre permettant de communiquer avec les terrains occup'es par les chemins de fer du Nord. Il entre beaucoup plus de monde par la porte de la rue qu’il en ressort, et cela permet de supposer que la fen^etre est un passage tr`es fr'equent'e.
Ce sont d’ailleurs des physionomies bizarres et inqui'etantes qui hantent le cabaret d’Hilaire. Encore qu’ils appr'ecient hautement le luxe canaille et criard de l’'eclairage a giorno, ces clients 'evitent pourtant en g'en'eral, de stationner sous la grande lumi`ere. Les tables qui sont rang'ees pr`es des vitres de l’avenue de Saint-Denis sont les plus appr'eci'ees. On s’y assoit en tournant le dos `a la rue. Les visages, de la sorte, se trouvent dissimul'es. Alors, on cause, on boit, on rit. Certains soirs, des conversations se tiennent qui feraient frissonner les ^ames les plus aguerries. Certains autres, on se croirait dans une buvette tranquille, nul ne parle d’assassinat. Deibler ne fait plus les frais de toutes les conversations. On rit, on chante. Ces soirs-l`a, peut-^etre, le bouge est encore plus lugubre, ces soirs-l`a ce sont les lendemains d’affaires 'epouvantables, ce sont les veilles de crimes horribles, car la client`ele du lieu passe son temps, soit `a se partager les b'en'efices de ses entreprises, soit `a en pr'eparer de nouvelles.
Il faut pourtant qu’`a certains moments les natures m^eme les plus cruelles se d'elassent. Et ce soir-l`a, tandis que Didier quittait son amie, tandis qu’il s’appr^etait `a revenir `a pied chez sa m`ere, ayant manqu'e le dernier tramway, le bouge, par exception, retentissait d’'eclats de rire non pas sinistres mais simplement joyeux. Peu de monde. Dans un coin, deux consommateurs m^el'es dans l’ombre, invisibles presque, couverts de v^etements sombres, coiff'es de chapeaux mous, devisaient tranquillement, en jouant aux dominos. Devant le comptoir, d’autres individus, `a mine d’ouvriers en rupture d’atelier, faisaient cercle, buvant avec insouciance le poison vert d’absinthe, si 'epais que la cuill`ere y tenait debout.