Mar?a. Fran?ais
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–Emmene ce cheval au canot et nettoie le poulain pour moi.
Et se tournant vers moi, ayant remarque mon cheval, il ajouta :
–Carrizo avec le retinto !
Comment le bras de ce garcon s'est-il brise comme ca ? demandai-je.
–Ils sont si durs, ils sont si durs ! Il n'est bon qu'a s'occuper des chevaux.
On commenca bientot a servir le dejeuner, tandis que j'etais avec Dona Andrea, la mere d'Emigdio, qui avait presque laisse son fichu sans franges, et pendant un quart d'heure nous restames seuls a parler.
Emigdio est alle enfiler une veste blanche pour s'asseoir a table ; mais il nous a d'abord presente une femme noire paree d'une cape pastouze avec un mouchoir, portant une magnifique serviette brodee suspendue a l'un de ses bras.
La salle a manger nous a servi de salle a manger, dont l'ameublement etait reduit a de vieux canapes en peau de vache, quelques retables representant des saints de Quito, accroches en hauteur sur les murs pas tres blancs, et deux petites tables decorees de coupes de fruits et de perroquets en platre.
A vrai dire, il n'y avait rien de grandiose au dejeuner, mais la mere et les soeurs d'Emigdio savaient comment l'organiser. La soupe de tortillas aromatisee aux herbes fraiches du jardin, les bananes plantains frites, la viande rapee et les beignets de farine de mais, l'excellent chocolat local, le fromage de pierre, le pain au lait et l'eau servie dans de grandes cruches d'argent ne laissaient rien a desirer.
Pendant que nous dejeunions, j'ai apercu l'une des filles par une porte entrouverte ; son joli petit visage, eclaire par des yeux noirs comme des chambimbes, laissait supposer que ce qu'elle cachait devait etre en parfaite harmonie avec ce qu'elle montrait.
J'ai pris conge de Mme Andrea a onze heures, car nous avions decide d'aller voir Don Ignacio dans les paddocks ou il faisait du rodeo, et de profiter du voyage pour prendre un bain dans l'Amaime.
Emigdio enleve sa veste et la remplace par une ruana filetee ; il enleve ses bottes chaussettes pour mettre des espadrilles usees ; il attache des collants blancs en peau de chevre velue ; il met un grand chapeau Suaza avec une couverture en percale blanche, et monte l'ovin en prenant la precaution de lui bander les yeux avec un mouchoir au prealable. Comme le poulain se mettait en boule et cachait sa queue entre ses jambes, le cavalier lui cria : "Tu viens avec ta ruse !" en lui decochant aussitot deux coups de fouet retentissants avec le lamantin Palmiran qu'il brandissait. Alors, apres deux ou trois corcovos, qui n'ont meme pas fait bouger le monsieur sur sa selle de Chocontan, je suis monte et nous sommes partis.
Alors que nous arrivions sur le lieu du rodeo, distant de la maison de plus d'une demi-lieue, mon compagnon, apres avoir profite du premier plat apparent pour tourner et gratter le cheval, entra dans une conversation a batons rompus avec moi. Il deballait tout ce qu'il savait sur les pretentions matrimoniales de Carlos, avec qui il avait renoue des liens d'amitie depuis qu'ils s'etaient retrouves dans le Cauca.
Qu'en dites-vous ? finit-il par me demander.
J'ai sournoisement esquive la reponse et il a continue :
–A quoi bon le nier ? Charles est un travailleur : une fois qu'il est convaincu qu'il ne peut pas etre planteur a moins de mettre de cote ses gants et son parapluie d'abord, il doit bien se debrouiller. Il se moque encore de moi quand je fais du lasso, de la cloture et du barbecue pour les mules ; mais il doit faire la meme chose ou disparaitre. Ne l'avez-vous pas vu ?
–Non.
Crois-tu qu'il n'aille pas se baigner a la riviere quand le soleil est fort, et que si on ne selle pas son cheval, il ne monte pas a cheval, tout cela parce qu'il ne veut pas bronzer et se salir les mains ? Pour le reste, c'est un gentleman, c'est sur : il n'y a pas huit jours qu'il m'a sorti d'un mauvais pas en me pretant deux cents patacones dont j'avais besoin pour acheter des genisses. Il sait qu'il n'y a rien a perdre, mais c'est ce qui s'appelle servir a temps. Quant a son mariage… Je vais vous dire une chose, si vous me proposez de ne pas vous bruler.
–Dis, mec, dis ce que tu veux.
–Dans votre maison, on semble vivre avec beaucoup de tonus ; et il me semble qu'une de ces petites filles elevees parmi les suies, comme celles des contes, a besoin d'etre traitee comme une chose benie.
Il rit et continue :
–Je dis cela parce que ce Don Jeronimo, le pere de Carlos, a plus de coquilles qu'un siete-cueros, et il est aussi dur qu'un piment. Mon pere ne peut pas le voir car il l'a implique dans un conflit foncier et je ne sais quoi d'autre. Le jour ou il le trouve, le soir, nous devons lui donner des onguents de yerba mora et le frictionner avec de l'aguardiente et du malambo.
Nous etions arrives sur le site du rodeo. Au milieu du corral, a l'ombre d'un guasimo et a travers la poussiere soulevee par les taureaux en mouvement, je decouvris Don Ignacio, qui s'approcha pour me saluer. Il montait un quarter horse rose et grossier, harnache d'une ecaille dont l'eclat et la decrepitude proclamaient ses merites. La maigre figure du riche proprietaire etait ainsi decoree : de minables pauldrons de lion a tiges ; des eperons d'argent a boucles ; une veste de drap defait et une ruana blanche surchargee d'amidon ; pour couronner le tout, un enorme chapeau Jipijapa, de ceux qu'on appelle quand le porteur galope : Sous son ombre, le grand nez et les petits yeux bleus de Don Ignacio jouaient le meme jeu que sur la tete d'un paleton empaille, les grenats qu'il porte en guise de pupilles et le long bec.
J'ai raconte a Don Ignacio ce que mon pere m'avait dit au sujet du betail qu'ils devaient engraisser ensemble.
Il repondit : "C'est bon, dit-il, tu vois bien que les genisses ne peuvent pas etre meilleures : elles ressemblent toutes a des tours. Tu ne veux pas entrer et t'amuser un peu ?
Les yeux d'Emigdio s'ecarquillent en regardant les cow-boys a l'oeuvre dans le corral.
–Ah tuso ! cria-t-il ; "Attention a ne pas desserrer le pial.... A la queue ! a la queue !
Je me suis excuse aupres de Don Ignacio, le remerciant en meme temps ; il a continue :
Rien, rien ; les Bogotanos ont peur du soleil et des taureaux feroces ; c'est pourquoi les garcons sont gates dans les ecoles de la-bas. Ne me laissez pas vous mentir, ce joli garcon, fils de Don Chomo : a sept heures du matin, je l'ai rencontre sur la route, enveloppe dans un foulard, de sorte qu'un seul oeil etait visible, et avec un parapluie !.... Vous, a ce que je vois, vous n'utilisez meme pas ce genre de choses.
A ce moment, le cow-boy criait, la marque au fer rouge a la main, l'appliquant sur la palette de plusieurs taureaux couches et attaches dans le corral : "Un autre… un autre".... Chacun de ces cris etait suivi d'un mugissement, et Don Ignacio utilisait son canif pour faire une entaille de plus sur un baton de guasimo qui servait de foete.