Bel-Ami / Милый друг
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Il se sentait enferme dans ce metier mediocre de reporter, mure la-dedans a n'en pouvoir sortir. On l'appreciait, mais on l'estimait selon son rang. Forestier meme, a qui il rendait mille services, ne l'invitait plus a diner, le traitait en tout comme un inferieur, bien qu'il le tutoyat comme un ami.
De temps en temps, il est vrai, Duroy, saisissant une occasion, placait un bout d'article, et ayant acquis par ses echos une souplesse de plume et un tact qui lui manquaient lorsqu'il avait ecrit sa seconde chronique sur l'Algerie, il ne courait plus aucun risque de voir refuser ses actualites. Mais de la a faire des chroniques au gre de sa fantaisie ou a traiter, en juge, les questions politiques, il y avait autant de difference qu'a conduire dans les avenues du Bois, etant cocher, ou a conduire etant maitre. Ce qui l'humiliait surtout, c'etait de sentir fermees les portes du monde, de n'avoir pas de relations a traiter en egal, de ne pas entrer dans l'intimite des femmes, bien que plusieurs actrices connues l'eussent parfois accueilli avec une familiarite interessee.
Il savait d'ailleurs, par experience, qu'elles eprouvaient pour lui, toutes, mondaines ou cabotines, un entrainement singulier, une sympathie instantanee, et il ressentait, de ne point connaitre celles dont pourrait dependre son avenir, une impatience de cheval entrave.
Bien souvent il avait songe a faire une visite a Mme Forestier; mais la pensee de leur derniere rencontre l'arretait, l'humiliait, et il attendait, en outre, d'y etre engage par le mari. Alors le souvenir lui vint de Mme de Marelle, et, se rappelant qu'elle l'avait prie de la venir voir, il se presenta chez elle un apres-midi qu'il n'avait rien a faire.
Il sonnait a sa porte a deux heures et demie.
Elle habitait rue de Verneuil, au quatrieme.
Au bruit du timbre, une bonne vint ouvrir, une petite servante depeignee qui nouait son bonnet en repondant:
– Oui, madame est la, mais je ne sais pas si elle est levee.
Et elle poussa la porte du salon qui n'etait point fermee.
Duroy entra. La piece etait assez grande, peu meublee et d'aspect neglige. Les fauteuils, defraichis et vieux, s'alignaient le long des murs, selon l'ordre etabli par la domestique, car on ne sentait en rien le soin elegant d'une femme qui aime le chez soi. Quatre pauvres tableaux, representant une barque sur un fleuve, un navire sur la mer, un moulin dans une plaine et un bucheron dans un bois, pendaient au milieu des quatre panneaux, au bout de cordons inegaux, et tous les quatre accroches de travers. On devinait que depuis longtemps ils restaient penches ainsi sous l'oeil negligent d'une indifferente.
Duroy s'assit et attendit. Il attendit longtemps. Puis une porte s'ouvrit, et Mme de Marelle entra en courant, vetue d'un peignoir japonais en soie rose ou etaient brodes des paysages d'or, des fleurs bleues et des oiseaux blancs, et elle s'ecria:
– Figurez-vous que j'etais encore couchee. Que c'est gentil a vous de venir me voir! J'etais persuadee que vous m'aviez oubliee.
Elle tendit ses deux mains d'un geste ravi, et Duroy, que l'aspect mediocre de l'appartement mettait a son aise, les ayant prises, en baisa une, comme il avait vu faire a Norbert de Varenne.
Elle le pria de s'asseoir; puis, le regardant des pieds a la tete:
– Comme vous etes change! Vous avez gagne de l'air. Paris vous fait du bien. Allons, racontez-moi les nouvelles.
Et ils se mirent a bavarder tout de suite, comme s'ils eussent ete d'anciennes connaissances, sentant naitre entre eux une familiarite instantanee, sentant s'etablir un de ces courants de confiance, d'intimite et d'affection qui font amis, en cinq minutes, deux etres de meme caractere et de meme race.
Tout a coup, la jeune femme s'interrompit, et s'etonnant:
– C'est drole comme je suis avec vous. Il me semble que je vous connais depuis dix ans. Nous deviendrons, sans doute, bons camarades. Voulez-vous?
Il repondit:
Il la trouvait tout a fait tentante, dans son peignoir eclatant et doux, moins fine que l'autre dans son peignoir blanc, moins chatte, moins delicate, mais plus excitante, plus poivree.
Quand il sentait pres de lui Mme Forestier, avec son sourire immobile et gracieux qui attirait et arretait en meme temps, qui semblait dire: «Vous me plaisez» et aussi: «Prenez garde», dont on ne comprenait jamais le sens veritable, il eprouvait surtout le desir de se coucher a ses pieds, ou de baiser la fine dentelle de son corsage et d'aspirer lentement l'air chaud et parfume qui devait sortir de la, glissant entre les seins. Aupres de Mme de Marelle, il sentait en lui un desir plus brutal, plus precis, un desir qui fremissait dans ses mains devant les contours souleves de la soie legere.
Elle parlait toujours, semant en chaque phrase cet esprit facile dont elle avait pris l'habitude, comme un ouvrier saisit le tour de main qu'il faut pour accomplir une besogne reputee difficile et dont s'etonnent les autres. Il l'ecoutait, pensant: «C'est bon a retenir tout ca. On ecrirait des chroniques parisiennes charmantes en la faisant bavarder sur les evenements du jour.»
Mais on frappa doucement, tout doucement a la porte par laquelle elle etait venue; et elle cria:
– Tu peux entrer, mignonne.
La petite fille parut, alla droit a Duroy et lui tendit la main.
La mere, etonnee, murmura:
– Mais c'est une conquete. Je ne la reconnais plus.
Le jeune homme, ayant embrasse l'enfant, la fit asseoir a cote de lui, et lui posa, avec un air serieux, des questions gentilles sur ce qu'elle avait fait depuis qu'ils ne s'etaient vus. Elle repondait de sa petite voix de flute, avec son air grave de grande personne.
La pendule sonna trois heures. Le journaliste se leva.
– Venez souvent, demanda Mme de Marelle, nous bavarderons comme aujourd'hui, vous me ferez toujours plaisir. Mais pourquoi ne vous voit-on plus chez les Forestier?
Il repondit:
– Oh! pour rien. J'ai eu beaucoup a faire. J'espere bien que nous nous y retrouverons un de ces jours.
Et il sortit le coeur plein d'espoir, sans savoir pourquoi.
Il ne parla pas a Forestier de cette visite.
Mais il en garda le souvenir, les jours suivants, plus que le souvenir, une sorte de sensation de la presence irreelle et persistante de cette femme. Il lui semblait avoir pris quelque chose d'elle, l'image de son corps restee dans ses yeux et la saveur de son etre moral restee en son coeur. Il demeurait sous l'obsession de son image, comme il arrive quelquefois quand on a passe des heures charmantes aupres d'un etre. On dirait qu'on subit une possession etrange, intime, confuse, troublante et exquise, parce qu'elle est mysterieuse.
Il fit une seconde visite au bout de quelques jours.
La bonne l'introduisit dans le salon, et Laurine parut aussitot. Elle tendit, non plus sa main, mais son front, et dit:
– Maman m'a chargee de vous prier de l'attendre. Elle en a pour un quart d'heure, parce qu'elle n'est pas habillee. Je vous tiendrai compagnie.
Duroy, qu'amusaient les manieres ceremonieuses de la fillette, repondit:
– Parfaitement, mademoiselle, je serai enchante de passer un quart d'heure avec vous; mais je vous previens que je ne suis point serieux du tout, moi, je joue toute la journee; je vous propose donc de faire une partie de chat perche.