La main coup?e (Отрезанная рука)
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Toutefois, il fallait r'epondre quelque chose au directeur.
— Ma foi, monsieur, d'eclara toujours tr`es tranquillement Juve, il est de fait que depuis que je suis `a Monaco, depuis que nous sommes `a Monaco, plut^ot, mon ami Fandor et moi, les scandales se sont multipli'es. Mais il me semble que vous oubliez que mon intervention n’a pas toujours 'et'e inutile ?
— Rappelez-moi donc les services rendus ?
— Tr`es volontiers. Avez-vous perdu souvenir de certain truc que j’expliquais relativement `a votre table de roulette, o`u le 7 sortait avec une r'egularit'e ruineuse pour la banque ? Je crois que ce jour-l`a, monsieur de Vaugreland…
— Ce jour-l`a, r'epondit M. de Vaugreland, vous vous ^etes conduit comme le dernier des maladroits. Vous avez fait preuve d’une incapacit'e absolue. Il y avait truquage, c’est entendu. 'Etait-il bien n'ecessaire de le crier sur les toits comme vous l’avez fait ? Tenez, vous auriez voulu nuire au Casino que vous n’auriez pas agi autrement.
Juve, cette fois, ne r'epondait pas.
Il savait bien, l’excellent Juve, que ces reproches de M. de Vaugreland n’'etaient pas fond'es.
Les crimes s’'etaient multipli'es, c’est vrai, mais le policier 'etait s^ur d’avoir, par sa seule pr'esence, emp^ech'e d’autres crimes.
Et puis, enfin, ces meurtres myst'erieux, c’'etait lui qui les avait expliqu'es.
C’'etait lui qui avait d'ecouvert la facon dont Louis Meynan avait 'et'e tu'e, lui encore qui avait reconstitu'e l’assassinat d’Isabelle de Guerray.
Et tout cela allait conduire, sans doute tr`es prochainement `a l’arrestation des coupables.
D`es lors, pourquoi M. de Vaugreland fulminait-il ?
« Il est furieux, se disait Juve, mais ce n’est pas naturel, qui diable a pu l’exciter ? Il faut que je l’asticote `a mon tour.
Et Juve, tout bonnement, comme M. de Vaugreland finissait de parler, se d'ecidait `a interroger `a son tour :
— Ah c`a, o`u diable voulez-vous en venir ? j’imagine bien que vous ne m’avez pas convoqu'e uniquement pour me laver la t^ete ? Alors ? parlez franchement, que voulez-vous ?
— O`u je veux en venir ? `a ceci : que si dans quarante-huit heures l’assassin n’est pas sous les verrous, parbleu, j’en aurai beaucoup de regret, mais je ne pourrai pas h'esiter. J’'ecrirai de nouveau `a la S^uret'e de Paris et je demanderai que l’on m’envoie un de vos coll`egues. Vous serez libre, vous, monsieur Juve, vous et votre ami, votre extraordinaire secr'etaire, de vous d'esint'eresser de l’affaire.
— En somme, d'eclarait Juve, c’est un ultimatum que vous me posez, monsieur de Vaugreland ? `A votre avis, il faut, ou que j’arr^ete le coupable dans les quarante-huit heures, ou que je m’en aille ?
— Oui, c’est ca.
— Eh bien, malheureusement, monsieur le directeur, je crois que votre ultimatum restera sans effet. D’abord, et ceci dit sans vous offenser, permettez-moi de vous rappeler que ne suis nullement `a vos ordres et que par cons'equent, quand m^eme vous me diriez de m’en aller, je serais parfaitement libre de rester. Ensuite, songez bien qu’il n’y a pas de policier au monde qui puisse s’engager `a arr^eter un assassin, quel qu’il soit, dans un d'elai de quarante-huit heures. Ce coupable, je puis l’appr'ehender dans dix minutes, dans dix jours ou dans dix ans, nul ne le sait, et moi, moins encore que personne. Enfin, monsieur de Vaugreland, songez bien encore que si `a l’arriv'ee de votre d'ep^eche, on m’a envoy'e, moi, Juve, `a Monaco vous joindre et vous aider, c’est qu’`a la Pr'efecture on a estim'e que j’'etais seul capable d’arr^eter l’assassin de Norbert du Rand. Supposez-vous v'eritablement, maintenant, qu’un seul t'el'egramme de vous puisse faire changer d’avis mes chefs ? Non, monsieur le directeur, votre ultimatum n’offre aucun int'er^et. Je ne sais pas pourquoi vous essayez de vous d'ebarrasser de moi, mais je dois vous pr'evenir que vous n’y arriverez pas aussi facilement que vous semblez le croire.
Et tout en parlant, Juve continuait `a sourire, point trop f^ach'e, somme toute, d’avoir eu l’occasion de remettre `a sa place, un peu vigoureusement peut-^etre, le vaniteux directeur de la Soci'et'e des Bains.
Juve 'etait m^eme tr`es content de la lecon donn'ee `a M. de Vaugreland, lorsque la porte du cabinet directorial s’ouvrit.
C’'etait un huissier qui p'en'etrait dans la pi`ece, il avait vainement frapp'e, ni Juve, ni M. de Vaugreland n’avaient entendu son appel, tant ils 'etaient occup'es par leur propre discussion :
— Que voulez-vous ? demanda M. de Vaugreland…
— Vous remettre une d'ep^eche urgente, monsieur le directeur. C’est le s'emaphore qui vient de la faire porter, avec pri`ere de vous la remettre imm'ediatement.
— Bien, passez-moi ca.
M. de Vaugreland qui, dans son for int'erieur, 'etait tr`es satisfait de n’avoir point de r'eponse imm'ediate `a faire `a Juve, d'ecacheta vivement le t'el'egramme, y jeta les yeux.
Or, tandis qu’il lisait le texte de la d'ep^eche, M. de Vaugreland, qui 'etait un brave homme, ne pouvait s’emp^echer de fr'emir. Juve le voyait p^alir un peu, et, lui aussi, oublia ses ressentiments pour s’informer d’une voix soudain alarm'ee :
— Pas de f^acheuse nouvelle, j’esp`ere ? Il ne s’agit pas…
Sans pr'ecautions oratoires, M. de Vaugreland qui achevait de d'echiffrer le t'el'egramme, r'epondit :
— Il s’agit de votre ami Fandor. Ah, c’est abominable. Lisez, monsieur Juve, lisez vite. Si je comprends bien, on serait en train de l’assassiner.
Il s’agissait de Fandor.
Juve arracha le t'el'egramme, y jeta un coup d’oeil. Ce t'el'egramme 'etait presque incompr'ehensible :
« Du croiseurSkobeleff o`u je me trouve, je crois urgent de signaler `a la direction du Casino de Monaco pour quelle en avertisse qui de droit et sp'ecialement le policier Juve, des faits suivants : actuellement, `a la pointe nord de la falaise, on apercoit de mon bord un homme qui semble ^etre suspendu dans le vide au bout d’une corde et qui, assur'ement, court les plus grands dangers. Autant qu’il a 'et'e possible d’observer les 'ev'enements, 'etant donn'ee la grande distance o`u nous nous trouvons, il a sembl'e `a l’officier de quart qui m’en a fait rapport que l’individu qui est ainsi suspendu dans le vide a 'et'e attach'e l`a de force par une bande de r^odeurs aux accoutrements inqui'etants. Il est impossible duSkobeleff de distinguer exactement les traits de l’homme ainsi en danger de mort, mais toutefois il peut ^etre int'eressant de signaler que sa silhouette para^it ^etre celle du journaliste J'er^ome Fandor. Je c^able ces d'etails par t'el'egraphie sans fil et signe de mon nom et de mes qualit'es.
Ivan Ivanovitch, Commandant duSkobeleff .
'Etait-ce possible ?
Fandor courait-il un danger 'epouvantable ? C’'etait Ivan Ivanovitch, pr'ecis'ement, qui faisait avertir Juve ? N’'etait-ce pas un pi`ege que l’officier russe voulait tendre au policier ?
En courant au secours de Fandor, Juve n’allait-il pas tomber dans un guet-apens ?
Juve, boulevers'e, relisait la d'ep^eche, lorsque M. de Vaugreland l’interrompit :
— Eh bien ? `A quoi diable pensez-vous, monsieur Juve ? Vous ne courez pas au secours de votre ami ?
Visiblement, Juve h'esitait :
— Si, si, dit-il, au contraire, je me pr'ecipite.
Et tout en parlant de la sorte, Juve, qui relisait toujours le t'el'egramme et s’'etonnait de sa signature, quittait, sans se presser, le bureau de M. de Vaugreland.
Or, `a peine Juve avait-il ferm'e sur lui la porte du cabinet directorial, `a peine s’'etait-il engag'e dans la longue galerie qui y menait, que le policier sursauta : Juve venait d’apercevoir Ivan Ivanovitch qui descendait l’escalier devant lui, sifflotant un petit air. Juve s’arr^eta, changea d’id'ee, s’'elanca, pour s’arr^eter aussit^ot. Lui sauter au collet ? On risquait d’apprendre que rien n’emp^echait le commandant en second du Skobeleffde signer du nom de son chef les radiot'el'egrammes exp'edi'es du bord.