Le Voleur d'Or (Золотой вор)
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Le Dr Tillois 'etait un jeune mari'e, il avait un enfant un peu moins ^ag'e que le petit Gustave. Le chirurgien oubliait la science, l’homme s’'epouvantait d’un drame dont il comprenait brusquement toute l’atrocit'e.
Un instant, il resta silencieux, puis il d'eclara froidement :
— Il faudra prendre les dispositions pour pr'evenir la famille, si cette femme a de la famille. En tout cas, je vais aujourd’hui m^eme avertir la police, le crime n’est pas douteux, l’assassinat est flagrant !
XII
Pour d'efendre l’autre
— Ba be bi bo bu… ba be bi bo bu…
— Ah ca, tais-toi donc, mon g'en'eral !… Tu deviens assommant, `a la fin !
— Ba be bi bo bu… ba be bi bo bu…
— Animal, va ! Voyons, rappelle-toi plut^ot la prise de Solf'erino…
— Ah ! c`a, c’'etait une bataille ! Ba be bi…
— Mon g'en'eral, si tu ne te tais pas, je te fourre dedans ! Ah ca, tu ne reconnais pas mes galons, ce soir ?
— Si donc, mon capitaine ! Mais je sonne la charge quand m^eme. Ba be bi…
— Zut !
— Et puis, j’ai bougrement mal `a mon pied.
— Des inventions extraordinaires ! Tu as mal `a ton pied, maintenant ? Sacr'e farceur, va ! Tu n’as pas mal `a ton pied, puisqu’il est en Italie `a six m`etres sous terre !
— Ca n’emp^eche pas !
— Mon g'en'eral, un fois, deux fois, tu vas te taire !
— Bien s^ur, mais tout de m^eme, ba be bi…
— Ah c`a, toi aussi, tu veux r'eveiller l’Autre ?
`A cette demande, le silence se fit brusquement. On n’entendit plus au lointain, dans la r'esonance d’un couloir d'esert, que le heurt r'egulier et monotone de deux b'equilles et de deux jambes de bois qui trottinaient d’un pas all`egre.
O`u cette sc`ene se passait-elle et quels en 'etaient les h'eros ?
La pi`ece 'etait immense et, avec son plafond bas, ses murs de pierre, la vingtaine de lits blancs qui la meublaient, elle avait un air de dortoir, une physionomie tranquille et reposante.
'Etait-ce donc un dortoir ?
Le mot e^ut paru injurieux `a ceux qui l’habitaient, ils ne l’eussent pas admis. On appelait cette pi`ece la chambr'ee, et m^eme elle portait un nom retentissant, c’'etait la chambr'ee Desaix.
Mais quels 'etaient les occupants de cette chambr'ee ? Quel 'etait surtout ce g'en'eral qui s’ent^etait `a chanter sur un air de marche guerri`ere le
Il avait au moins soixante-quinze ans. Sa chevelure blanche tombait en longues boucles sur ses 'epaules. Toutefois, ce n’'etait pas sur ces boucles que le regard s’arr^etait, c’'etait sur le visage du personnage, un visage 'energique, sculpt'e, semblait-il, `a coups de canif et que balafrait, dans toute la largeur, une effroyable cicatrice allant du sourcil droit jusqu’`a l’oreille gauche.
De plus, ce vieillard avait deux jambes de bois et, `a la place du bras droit, se balancait un moignon informe qu’il brandissait `a chaque instant, parlant de casser la figure, de briser en deux, de pourfendre et d’'ecraser ceux qui ne se pliaient pas `a son caprice.
Il avait m^eme l’air si terrible, ce bonhomme dont la t^ete tremblait un peu, que les enfants, dans la rue, ne manquaient pas de s’'ecarter `a son passage. On le connaissait aussi bien dans les environs, il avait m^eme son surnom, on l’appelait Croquemitaine, et cela n’'etait peut-^etre pas sans flatter un peu sa vanit'e.
Croquemitaine, d’ailleurs, `a part l’habitude qu’il avait prise de toujours chanter le
Avec cela, il 'etait content, le sourire ne quittait pas ses l`evres, et quand il se promenait il ne soulevait d’autre exclamation que des exclamations d’admiration sur son passage.
— Ah ! le bel invalide ! disait-on.
C’'etait, en effet, un invalide, et la chambr'ee Desaix n’'etait autre que le grand dortoir affect'e `a ceux de ces vieux braves qui, point encore malades, n’'etaient point devenus `a tout jamais les pensionnaires de l’infirmerie voisine.
Ils 'etaient l`a une trentaine `a vivre dans une grande chambr'ee, qui passaient leur temps `a se raconter leurs campagnes, `a comparer les d'ecorations qui brimbalaient sur leurs vieilles poitrines, qui, aussi bien, grondaient, perp'etuellement secou'es de furieuse col`ere, s’emportant contre la R'epublique qui, cependant, les hospitalisait, parlant de l’Autre qu’ils n’avaient pas connu pourtant, et petit `a petit se figurant qu’ils avaient 'et'e ses serviteurs.
Dans les Invalides m^eme, dans cet 'enorme b^atiment qui tient `a la fois du mus'ee et de l’asile, l’ombre de l’Empereur planait d’ailleurs. Elle emplissait tout. Le personnage semblait sorti de son tombeau, r^oder dans les couloirs et, par le seul prestige de sa gloire militaire, par la seule autorit'e de son nom, chaque jour faire des pros'elytes, se recruter une arm'ee, battre le rappel.
Lorsque les invalides arrivaient `a l’asile, leur brevet de retraite en poche, ils ne connaissaient pas toujours, forc'ement, les campagnes de Napol'eon le Grand. Ils 'etaient de vieux soldats, ayant combattu dans toutes les campagnes o`u le drapeau francais s’est illustr'e, ils avaient l’^ame guerri`ere, ils croyaient `a la supr'ematie de la France, mais c’'etait l`a tout.
Les nouveaux venus, alors, 'etaient recus par les autres avec une cordialit'e heureuse.
Imm'ediatement, la bande se chargeait de les instruire. La tradition se passait, en effet, de grognard en grognard et l’histoire 'etait cont'ee, point tr`es fid`element peut-^etre, mais toujours embellie, toujours magnifi'ee, devenant peu `a peu l'egendaire, miraculeuse, surnaturelle.
Et le ph'enom`ene classique se produisait alors, il arrivait que le nouvel hospitalis'e se prenait `a la fi`evre de ses coll`egues, il devenait plus imp'erialiste qu’eux tous, il parlait de l’Autre avec des hochements de t^ete significatifs, toute une admiration pieuse, tout un respect exag'er'e.