Pi?ces choisies
Шрифт:
ELLE. Pardon, la place est libre?
LUI. (Irrit'e.). Oui. Toute la table est libre, parce que j’ai fini de d^iner et que je vais partir.
ELLE. Donc, en attendant, je peux m’asseoir?
LUI. Comme il vous plaira.
La femme s’assoit.
LUI. Eh bien, que voulez-vous encore?
ELLE. Dire quelques mots en guise d’adieu. Asseyez-vous. Je ne serai pas longue.
LUI. (Il s’assoit.). Alors?
ELLE. Savez-vous pourquoi, il y a une heure de ca, je me suis approch'ee de vous?
LUI. Je le devine.
ELLE. Non, vous ne pouvez pas le deviner.
LUI. Eh bien, alors, dites.
ELLE. Ca faisait un moment que j’'etais assise `a proximit'e et que je vous observais. Et vous n’avez m^eme pas une fois jet'e un regard vers moi. Mais je ne dis pas ca parce que je serais vex'ee, pour quelle raison auriez-vous d^u me regarder? Et donc, je restais l`a, assise, et soudain j’ai pens'e que vous alliez partir et que je ne vous reverrais plus jamais. Et je vous ai imagin'e montant seul alors vers votre chambre nue et sans confort et j’ai compris que si vous partiez, alors je ne pourrais plus rien pour vous. Alors, tout `a coup, je me suis lev'ee et je vous ai abord'e sans rien esp'erer et sans aucun plan. Je vous ai simplement abord'e.
LUI. ('Etonn'e par cet aveu inattendu, il garde longtemps le silence, ne sachant pas comment r'eagir.). Vos paroles me laissent sans r'eponse.
ELLE. Mais elles n’exigent aucune r'eponse. Oubliez-les, voil`a tout.
LUI. Avouez que vous venez seulement d’inventer tout cela.
ELLE. Peut-^etre. Mais je n’avouerai pas.
LUI. Je suis certain que vous l’avez invent'e, mais quand m^eme c’est agr'eable.
ELLE. Eh bien, sur cette note agr'eable, nous achevons une rencontre qui n’a pas eu lieu. (Elle se l`eve.)
LUI. Vous ^etes une femme 'etrange.
ELLE. Merci pour le compliment. Je vais t^acher de le m'eriter.
LUI. Intelligente, instruite, pas d'esinvolte, bien 'elev'ee… Et avec ca… Non, c’est vrai, tr`es 'etrange.
ELLE. Est-ce mal d’^etre 'etrange?
LUI. Eh bien, pas `a un tel degr'e.
ELLE. Il vaut mieux ^etre comme tout le monde?
LUI. Sans doute.
ELLE. Mais ^etre normale, quel ennui! Mais si vous aimez l’ennui, allez vous ennuyer plus loin.
La femme retourne `a sa table. L’homme, apr`es une certaine h'esitation, se dirige `a nouveau vers elle.
LUI. (Manquant de r'esolution.). Savez-vous ce que j’ai pens'e? Peut-^etre, en effet, pourrions-nous monter dans ma chambre?
ELLE. `A quoi bon? N’^etes-vous pas un mod`ele de moralit'e?
LUI. Nous y boirons un caf'e.
ELLE. (Montrant sa tasse.). Ici aussi, on sert du caf'e.
LUI. Si ce n’est du caf'e, alors autre chose.
ELLE. (Avec un l'eger sourire.). Du champagne?
LUI. Et pourquoi pas?
ELLE. Mais c’est vous-m^eme qui m’aviez dit de ne pas y compter.
LUI. Allez-vous cesser? De toute facon, le restaurant ferme. Bon gr'e mal gr'e, il faut partir.
ELLE. Allez-y.
LUI. Et vous?
ELLE. Moi, je reste.
LUI. Pourquoi?
ELLE. Vous n’avez pas besoin de moi, m^eme gratuitement. C’est bien ce que vous avez dit?
LUI. Pourquoi gratuitement? Je suis pr^et `a payer.
ELLE. Et, malgr'e vos principes, vous feriez l’amour avec une femme v'enale?
LUI. En d'efinitive, nous ne sommes pas du tout oblig'es de faire l’amour.
ELLE. Et pour quoi, alors, me faites-vous monter dans votre chambre?
LUI. Eh bien, simplement pour parler. Vous avez une conversation int'eressante… Vous connaissez beaucoup de po'esies…
ELLE. Ne me faites pas rire. Soyez honn^ete avec vous-m^eme.
LUI. Bon, d’accord, nous savons tous les deux de quoi il retourne. Et apr`es?
ELLE. Je n’irai nulle part avec vous.
LUI. Mais vous-m^eme tout `a l’heure proposiez…
ELLE. Je ne m’en souviens pas. Mais m^eme si je l’ai propos'e, il fallait alors ^etre d’accord. Mais maintenant, j’ai chang'e d’avis.
LUI. Vous vous jouez de moi, comme le chat de la souris.
ELLE. Peut-^etre. Je crains seulement que le chat lui-m^eme ne devienne souris.
LUI. Je n’arrive pas `a vous comprendre. Il y a `a peine quelques instants, vous teniez de tels propos… Comme quoi je vous plaisais…
ELLE. Oui. Et je ne les renie pas. Mais venant de vous je n’ai pas entendu ces propos.
LUI. Vous ne voulez quand m^eme pas que je vous fasse une d'eclaration d’amour?
ELLE. Et pourquoi pas?
LUI. Mais ce serait simplement comique!
ELLE. Eh bien, riez!
LUI. Mais nous nous connaissons `a peine.
ELLE. Nous ne nous connaissons pas du tout.
LUI. Nous pouvons rem'edier `a cet inconv'enient.
ELLE. Vous n’^etes pourtant pas adepte des rencontres faciles.
LUI. (D'esabus'e.). Je vois que je ne vous persuaderai pas.
ELLE. On peut persuader n’importe quelle femme.
LUI. C’est possible, mais moi je ne sais pas comment on fait.
ELLE. Vous voulez un conseil?
LUI. Eh quoi, il y a une voie?
ELLE. Voil`a, vous m’invitez `a r'eciter des vers. Je peux ici m^eme vous r'eciter quelque chose pour commencer. Rachmaninov a une romance sur des paroles de Hugo. Elle s’intitule :
LUI. Non. Mais je pr'ef`ererais avoir une r'eponse `a ma question.