Том 6. С того берега. Долг прежде всего
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Grand nombre de Peuples ont disparu de la sc`ene de l'histoire, sans avoir v'ecu dans toute la pl'enitude de la vie; mais ils n'avaient pas, comme la Russie, des pr'etentions aussi colossales sur l'avenir. Vous le savez: dans l'histoire on ne peut pas dire tarde venientibus ossa, au contraire, les meilleurs fruits leur sont r'eserv'es, s'ils sont capables de s'en nourrir. Et c'est ici la grande question.
La force du Peuple russe est avou'ee de toute l'Europe par la crainte m^eme qu'il lui inspire; il a montr'e ce dont il est capable dans la p'eriode de P'etersbourg; il a beaucoup fait, et cela, malgr'e les cha^ines dont ses mains 'etaient charg'ees: chose 'etrange et vraie cependant, comme il est vrai que d'autres peuples, pauvrement dou'es, ont consum'e des si`ecles entiers sans rien faire, quoique jouissant d'une pleine libert'e. La justice n'appartient pas aux qualit'es eminentes de l'histoire; la justice est trop sage et trop prosa"ique, tandis que la vie, dans son d'eveloppement, est au contraire capricieuse et po'etique. Au point de vue de l'histoire, la justice donne `a qui n'a pas m'erit'e; le m'erite trouve d'ailleurs sa r'ecompense dans le service m^eme qu'il a rendu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Voil`a, mon cher ami, tout ce que je voulais vous dire pour cette fois. Je pourrais fort bien terminer ici, mais il me vient `a cette heure une pens'ee bizarre: c'est qu'il se rencontrera.quantit'e de bonnes gens, d'oreille un peu dure, qui verront dans ma lettre un patriotisme exclusif, une pr'ef'erence pour la Russie, et qui s''ecrieront l`a-dessus qu'ils avaient concu de ce pays une tout autre id'ee.
Oui, j'aime la Russie.
En g'en'eral, je regarde comme impossible ou comme inutile d''ecrire sur un sujet, pour lequel on ne ressent ni amour ni haine. Mais mon amour n'est point le sentiment bestial de l'habitude; ce n'est point cet instinct naturel dont on a fait la vertu du patriotisme; j'aime la Russie parce que je la connais, avec conscience, avec raison. Il y a aussi beaucoup de choses en Russie que je hais sans mesure et avec toute la puissance d'une premi`ere haine. Je ne dissimule ni l'un, ni l'autre.
En Europe on ne conna^it point du tout la Russie; en Russie on conna^it tr`es mal l'Europe. Il fut un temps o`u, en pr'esence des Monts-Ourals, je me faisais de l'Europe une id'ee fantastique; je croyais `a l'Europe et surtout `a la France. Je profitai du premier moment de libert'e pour venir `a Paris.
C''etait encore avant la R'evolution de F'evrier. Je consid'erai les choses d'un peu plus pr`es et je rougis de ma pr'evention. Maintenant je suis furieux de l'injustice de ces publicistes au coeur 'etroit qui ne reconnaissent le tzarisme que sous le 59e degr'e de latitude bor'eale. Pourquoi ces deux mesures? Injuriez tant qu'il vous plaira, et accablez de reproches l'absolutisme de P'etersbourg et la pers'ev'erance de notre r'esignation; mais injuriez partout et reconnaissez le despotisme sous quelque forme qu'il se pr'esente, s'appel^at-il pr'esident d'une R'epublique, gouvernement provisoire ou Assembl'ee nationale.
C'est une honte, en l'an 1849, apr`es avoir perdu tout ce qu'on avait esp'er'e, tout ce qu'on avait acquis, `a c^ot'e des cadavres de ceux qui sont tomb'es et que l'on a fusill'es, a c^ot'e de ceux que l'on a encha^in'es et d'eport'es, `a l'aspect de ces malheureux, chass'es de contr'ee en contr'ee, `a qui on donne l'hospitalit'e comme aux Juifs dans le moyen-^age, `a qui l'on jette, comme aux chiens, un morceau de pain pour les obliger ensuite `a poursuivre leur chemin: en l'an 1849, dis-je, c'est une honte de s'arr^eter au point de vue 'etroit du constitutionnalisme lib'eral, de cet amour platonique et st'erile pour la politique.
L'illusion d'optique, au moyen de laquelle on donnait `a l'esclavage l'aspect de la libert'e, s'est 'evanouie; les masques sont tomb'es, nous savons maintenant, au juste, ce que vaut la libert'e r'epublicaine de la France et la libert'e constitutionnelle de l'Allemagne; nous voyons maintenant (ou, si nous ne le voyons pas, c'est notre faute), que tous les gouvernements subsistants, depuis le plus modeste canton en Suisse jusqu'`a l'autocrate de toutes les Russies, ne sont que des variations d'un seul et m^eme th`eme.
“Il faut sacrifier la libert'e a l'ordre, l'individu a la soci'et'e; donc, plus le gouvernement est fort, mieux cela vaut».
Encore une fois: s'il est horrible de vivre en Russie, il est tout aussi horrible de vivre en Europe. Pourquoi donc ai-je quitt'e la Russie? Pour r'epondre `a cette question, je vous traduirai quelques paroles de ma lettre d'adieux `a mes amis:
«Je ne crois ici `a rien qu'au mouvement; je ne plains rien ici que les victimes; je n'aime rien ici que ce que l'on pers'ecute; et je n'estime rien que ce que l'on supplicie, et cependant je reste. Je reste pour souffrir doublement de notre douleur et de celle que je trouve ici, peut-^etre pour ^etre ab^im'e dans la dissolution g'en'erale. Je reste, parce que la lutte ici est ouverte, parce qu'ici elle a une voix.
Malheur `a celui qui est ici vaincu! Mais il ne succombe pas sans avoir fait entendre sa voix, sans avoir 'eprouv'e sa force dans le combat; et c'est `a cause de cette voix, `a cause de cette lutte ouverte, `a cause de cette publicit'e que je reste ici».
Voil`a ce que j''ecrivais le 1er mars 1849. Les choses, depuis lors, ont bien chang'e. Le privil`ege de se faire entendre et de combattre publiquement s'amoindrit chaque jour davantage; l'Europe, chaque jour davantage, devient semblable `a P'etersbourg; il y a m^eme des contr'ees qui ressemblent plus `a P'etersbourg que la Russie m^eme. Les Hongrois le savent, eux qui se sont r'efugi'es, dans le d'elire de leur d'esespoir, sous la protection des drapeaux russes…
Et si l'on en vient ici `a nous mettre aussi un b^aillon sur la bouche, et que l'oppression ne nous permette pas m^eme de maudire `a haute voix nos oppresseurs, je m'en irai alors en Am'erique. Homme, je sacrifierai tout `a la dignit'e de l'homme et `a la libert'e de la parole.
Probablement vous viendrez m'y rejoindre?..
Londres, le 25 ao^ut 1849.
Россия*
Г. Г-гу
Дорогой друг. Вам хотелось ознакомиться с моими русскими размышлениями об истории современных событий: вот они. Охотно посылаю их вам. Ничего нового вы в них не найдете. Это все те же предметы, о которых мы с вами так часто и с такой грустью беседовали, что трудно было бы к ним что-либо прибавить. Тело ваше, правда, еще привязано к этому косному и дряхлому миру, в котором вы живете, но душа ваша уже покинула его, чтоб осмотреться и сосредоточиться. Вы достигли, таким образом, той же точки, что и я, удалившийся от мира несовершенного, еще погруженного в детский сон и себя не осознавшего.
Вам было тесно среди почернелых стен, потрескавшихся от времени и грозящих повсюду обвалом; я, со своей стороны, задыхался в жаркой и сырой атмосфере среди известковых испарений неоконченного здания: ни в больнице, ни в детском приюте жить невозможно. Выйдя с двух противоположных концов, мы встретились в одной и той же точке. Чужие в своем отечестве, мы нашли общую почву на чужой земле. Моя задача, надобно сознаться, была менее тягостна, чем ваша. Мне, сыну другого мира, легко было избавиться от прошлого, о котором я знал лишь понаслышке и которого не познал личным опытом.