Том 6. С того берега. Долг прежде всего
Шрифт:
Cet 'ecrit 'etait un reproche calme et sans amertume; il ressemblait `a un examen sans passion de la situation des Russes, mais c''etait le coup d'oeil irrit'e d'un homme profond'ement offens'e dans les plus nobles parties de son ^etre. S'ev`ere et froid, il demande compte `a la Russie de toutes les souffrances qu'elle pr'epare `a l'homme pensant, et, apr`es les avoir analys'ees toutes, il se d'etourne avec horreur, il maudit la Russie dans son pass'e, il d'edaigne son pr'esent, et ne proph'etise que malheur `a son avenir. On n'entendait pas de ces voix-l`a pendant la brillante 'epoque du lib'eralisme un peu exotique d'Alexandre, – elles n''eclat`erent m^eme pas dans les po'esies de Pouchkin; pour les arracher d'une poitrine humaine, il a fallu le poids intol'erable d'une terreur de dix ans: il nous a fallu voir la ruine de tous nos amis, la gloire du si`ege de Varsovie et la pacification de la Pologne.
Tschaadaeff avait tort en beaucoup de points, mais sa plainte 'etait l'egitime et sa voix avait fait entendre une terrible v'erit'e. C'est l`a ce qui explique son immense retentissement. A cette 'epoque, tout ce qui est de quelque importance en litt'erature prend un nouveau caract`ere. C'en est fait de l'imitation des Francais et des Allemands, la pens'ee se concentre et s'envenime; un d'esespoir plus amer et une plus am`ere ironie de son propre destin 'eclate partout, aussi bien dans les vers de Lermontoff que dans le rire moqueur de Gogol, rire, sous lequel, suivant l'expression de l'auteur, se cachent les larmes.
Si les 'el'ements de la vie nouvelle et du mouvement rest`erent alors isol'es; s'ils n'arriv`erent pas `a cette unit'e qui r'egnait avant le 26 d'ecembre, c'est, avant tout, que les questions les plus importantes devinrent beaucoup plus complexes et plus profondes. Tous les hommes s'erieux comprirent qu'il ne suffisait plus de se tra^iner `a la remorque de l'Europe, qu'il existe en Russie quelque chose qui lui est propre et particulier, et qu'il faut n'ecessairement 'etudier et comprendre dans le pass'e et dans le pr'esent.
Les uns, dans ce qui est propre `a la Russie, ne virent rien d'hostile ni d'antipathique aux institutions de l'Europe; loin de l`a, ils pr'evoyaient le temps, o`u la Russie, au-del`a de la p'eriode de P'etersbourg, et l'Europe, au-del`a du constitutionnalisme, viendraient `a se rencontrer. Les autres, au contraire, rejetant sur le caract`ere antinational du gouvernement tout le poids de la situation pr'esente, confondirent dans une m^eme haine tout ce qui tient `a l'Occident.
P'etersbourg enseigna `a ces hommes `a m'epriser toute civilisation, tout progr`es; ils voulaient retourner aux formes 'etroites des temps qui avaient pr'ec'ed'e Pierre Ier, et dans lesquels la vie russe se trouverait de nouveau `a peu pr`es 'etrangl'ee. Heureusement, le chemin, pour revenir `a la vieille Russie, s'est depuis longtemps couvert d'une 'epaisse for^et, et ni les slavophiles ni le gouvernement ne r'eussiront `a la raser.
La lutte de ces partis, a, depuis dix ans, donn'e `a la litt'erature une nouvelle vie; les journaux ont vu s'accro^itre consid'erablement le nombre de leurs souscripteurs, et, aux cours d'histoire, les bancs de l'universit'e de Moscou rompaient sous la foule des auditeurs. N'oubliez pas que, dans l'excessive pauvret'e d'organes de l'opinion publique, les questions de litt'erature et de science se sont transform'ees en une ar`ene pour les partis politiques. Tel 'etait l''etat de choses lorsque la R'evolution, de F'evrier 'eclata.
Le gouvernement, d'abord 'etourdi, ne fit rien, mais lorsqu'il vit l'allure humble et soumise de la modeste R'epublique, il reprit bient^ot ses sens. Le gouvernement russe d'eclara hautement qu'il se consid'erait comme le champion du principe monarchique et, pr'esageant la solidarit'e de la civilisation avec la R'evolution (`a l'exemple de l'Assembl'ee Nationale francaise) il ne cacha pas qu'il 'etait pr^et `a tout sacrifier pour la cause de l'ordre. Le gouvernement russe, avec plus d''energie que cette Assembl'ee, marcha, dans sa cynique hardiesse, `a l'an'eantissement de la civilisation et du progr`es.
Qu'en adviendra-t-il?.. En Russie, peut-^etre, la ruine de tout 'el'ement civilisateur. Epouvantable r'esultat! Mais la Russie n'en sera pas ab^im'ee pour cela. Il est m^eme fort possible que ce r'esultat devienne, pour le Peuple, le signal du r'eveil, et que s'ouvre alors une nouvelle `ere pour la justice et les droits du Peuple.
Le gouvernement, en attendant, semble avoir oubli'e, qu'il est n'e `a P'etersbourg, qu'il est le gouvernement de la Russie civilis'ee; qu'il est li'e, lui aussi, par les gages qu'il a donn'e `a la civilisation europ'eenne, et qu'en d'epit de ses airs actuels d'orthodoxie et de nationalit'e, le paysan russe le regarde toujours comme allemand.
Le sort du tr^one de P'etersbourg – admirez la sublime ironie! – est li'e `a la civilisation; en l'an'eantissant il se pr'ecipite dans un ab^ime effroyable, et s'il la laisse grandir, il tombe dans un autre ab^ime. – Il est possible, d'ailleurs, que la Russie, par suite d'une oppression intol'erable, se d'ecompose en un grand nombre de parties; peut-^etre aussi se pr'ecipitera-t-elle tout simplement en avant, et, dans son impatience, secouera-t-elle, de dessus son dos vigoureux, les cavaliers maladroits. Tout cela est encore dans l'avenir, et je ne suis pas ma^itre dans l'art de la divination.
Apr`es tout ce que j'ai dit, voil`a la question que l'on s'adresse involontairement. Quelle id'ee, quelle pens'ee apporte donc ce Peuple dans l'histoire? Jusqu'`a pr'esent, nous voyons seulement qu'il se pr'esente lui-m^eme, et c'est l`a, d'ordinaire, la condition de tout ce qui n'a pas encore m^uri. Quelle id'ee apporte un enfant dans la famille? Rien autre chose que la facult'e, la disposition, la possibilit'e d'un d'eveloppement. Quant `a savoir si cette possibilit'e existe, si les mucles de l'enfant sont vigoureux, si ses facult'es y r'epondent, ce sont l`a des questions abandonn'ees `a notre examen. Et voil`a pr'ecis'ement pourquoi j'insiste aujourd'hui plus que jamais sur la n'ecessit'e d''etudier la Russie.
En face de l'Europe, dont les forces se sont 'epuis'ees `a travers les luttes d'une longue vie, se pose un Peuple, dont l'existence commence `a peine, et qui, sous la dure 'ecorce ext'erieure du tzarisme et de l'imp'erialisme, a grandi et s'est d'evelopp'e, comme les cristaux croissent sous une g'eode; l''ecorce du tzarisme moscovite est tomb'ee, aussit^ot qu'elle est devenue inutile; l''ecorce de l'imp'erialisme adh`ere encore moins fortement `a l'arbre.
Il est vrai que, jusqu'`a pr'esent, le Peuple russe ne s'est en rien occup'e de la question de gouvernement; sa foi a 'et'e celle d'un enfant, sa soumission toute passive. Il ne s'est r'eserv'e qu'un seul fort, rest'e debout `a travers tous les ^ages: c'est sa commune rurale, et par l`a il est plus pr`es d'une R'evolution sociale que d'une R'evolution politique. La Russie na^it `a la vie comme Peuple, le dernier de tous, encore plein de jeunesse et d'activit'e `a une 'epoque, o`u les autres Peuples veulent du repos; il appara^it dans l'orgueil de sa force `a une 'epoque, o`u les autres Peuples se sentent fatigu'es et sur leur d'eclin. Son pass'e a 'et'e pauvre, son pr'esent est monstrueux; il est vrai que cela ne constitue encor aucuns droits.