Том 6. С того берега. Долг прежде всего
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Et qui prononcerait le veto?
La France, peut-^etre? La France, comme lady Macbeth, ne lavera pas sit^ot les taches de sang sur ses mains fratricides. La France est trop coupable pour oser 'elever la voix contre l'iniquit'e d'autrui.
L'Angleterre, peut-^etre? Elle est forte, mais on traitera avec elle. On lui donnera l'Egypte. On pourrait lui donner P'etersbourg sans perdre `a ce march'e! En attendant, elle br^ulera les vaisseaux de quelques n'egociants russes, elle stipulera un trait'e de commerce avec d'immenses avantages, et elle occupera provisoirement quelques ^iles qu'elle oubliera de restituer.
L'Autriche? Mais est-ce qu'il existe une Autriche? C'est une r'eminiscence historique, une expression g'eographique, un cadavre qu'on n'a pas encore eu le temps d'ensevelir.
Serait-ce, par hasard, le pacha russe de Berlin? Mais ce gouvernement peut-il ^etre autre chose que russe?
Et n'eanmoins je ne conseillerais pas `a l'empereur Nicolas d'aller se chauffer au soleil qui resplendit sur les rives du Bosphore. Il fait plus froid `a Saint-P'etersbourg, mais il y fait plus s^ur. Constantinople conquise, le sceptre de fer de Pierre Ier se rompra en voulant s'allonger jusqu'aux Dardanelles; Constantinople conquise, la dynastie des Romanoff devient impossible, inutile et n'a plus de signification.
La dynastie des Romanoff va se perdant depuis le r'eveil de la nationalit'e russe en 1812, depuis la maudite Sainte-Alliance, depuis la r'esurrection du sentiment politique en 1825. L'autorit'e imp'eriale ne cr'ee plus rien, a perdu toute initiative et ne fait que se maintenir, en r'eprimant tout mouvement, en s'opposant `a tout progr`es; son oeuvre est toute n'egative.
La Russie, pleine de vie et de force, recule ou reste immobile. L'absolutisme, voulant absorber tout et craignant tout, entrave la marche de la Russie. C'est un pesant sabot attach'e aux roues du char, lequel s'enfonce davantage `a chaque pas et finira par arr^eter la machine, la faire voler en pi`eces ou se briser lui-m^eme.
Voyez l'attitude du gouvernement de P'etersbourg depuis le 24 F'evrier. Avide d'agrandissements, ses yeux ne se d'etournent pas de la Galicie, du grand duch'e de Posen et des principaut'es danubiennes. Son inqui`ete avidit'e p`ese les chances de s'approprier les Slaves autrichiens; et il n'ose! tant il craint d'inoculer la R'evolution `a la Russie, et de voir crouler, au premier mouvement, ce pesant et informe 'edifice de despotisme militaire et de bureaucratie germanique. Pierre Ier a bien trouv'e le moyen de sortir de l'orni`ere de l'antique Russie; mais il n'a pas indiqu'e `a ses successeurs le chemin pour sortir de la t'en'ebreuse p'eriode de P'etersbourg.
Le pass'e lie et contraint le gouvernement russe. Le pass'e, lui, est toujours pr'esent, vivant dans son sang et sa cervelle. Le pass'e jette l'inqui'etude et la terreur dans le coeur et attriste la pens'ee; il existe comme souvenir et comme remords, et les remords sur le tr^one rev^etent deux formes: la peur et la f'erocit'e.
Les fautes commises s'expient par des crimes et par l'apoth'eose du crime. Si un homme de g'enie, pour ^etre r'evolutionnaire, s'est fait despote, son neveu 'ecrit sur sa banni`ere: «Autocrate», comme si une forme de gouvernement, surtout l'absolutisme, pouvait ^etre tout pour un Peuple.
Le monde slave ne demande que de s'asseoir en une f'ed'eration libre; la Russie est le monde slave organis'e, c'est l 'Etat slave. C'est `a elle qu'appartient donc l 'h'eg'emonie, mais le tzar la repousse. Au lieu d'appeler `a lui les Peuples, fr`eres de son Peuple, il les d'enonce; au lieu de se mettre `a la t^ete du mouvement slave, il pr^ete son bras et son or aux bourreaux des Slaves. Il craint tout mouvement, toute vie; il craint la nationalit'e, il craint la propagande, il craint l'arm'ee qui ne voudra pas rentrer dans ses foyers et se r'evoltera… L'arm'ee qui est vaillante mais non d'evou'ee, qui ne fuit pas devant l'ennemi, mais d'eserte en temps de paix, qui est lasse de mauvais traitements et d'insupportables fatigues, et qui porte, elle, le d'esespoir d'une existence perdue!
Le soldat russe doit servir quinze et m^eme dix-sept ans, et on veut par-l`a qu'il cesse d'^etre homme pour devenir l'instrument du gouvernement. Il commence pourtant `a comprendre cette monstrueuse iniquit'e; il murmure, et le gouvernement contemple avec une triste anxi'et'e l'attitude sombre et sinistre de ses r'egiments, sans savoir comment y porter rem`ede. S'il diminue les cadres de l'arm'ee, il ne pourra plus contenir le pays; s'il r'eduit l'exorbitante dur'ee du service, et qu'il jette chaque ann'ee dans les campagnes une masse de jeunes gens experts au maniement des armes, les paysans se l`everont en masse: ce sera le signal d'une Jacquerie.
Et toutefois, vous savez que les paysans russes ne manquent pas de terre et poss`edent une organisation communale qui rend impossible le prol'etariat; pourquoi donc se l`everaient-ils en masse? Parce que les Romanoff, au lieu d'^etre les r'eformateurs, les civilisateurs, au lieu d'abolir l'humiliante servitude du paysan, l'ont 'etendue et consacr'ee; parce qu'eux-m^emes ont exerc'e et exercent encore le droit barbare du seigneur sur le paysan; parce qu'ils ont l'egalis'e l'abus, g'en'eralis'e ces moeurs cruelles, dans le but de captiver la noblesse et de s'appuyer sur quelque chose dans la nation. Ils ont cr'e'e la noblesse en la pr'edestinant `a la civilisation et `a l'esclavage, et ils en ont eu raison en commencant `a la corrompre.
Malheureux paysans russes, qu'a-t-on fait pour vous depuis le commencement du dix-huiti`eme si`ecle? N'est-ce pas l'amie de Voltaire, Catherine II, la m`ere de la patrie, qui introduisit la servitude dans la Petite Russie, qui transforma en serfs les cosaques de l'Ukraine?
Les cosaques, malheureux soldats cultivateurs, sont devenus l''epouvante de l'Europe par une fatalit'e cruelle ou par un caprice ignorant, tandis que les arm'ees permanentes, qui devraient ^etre l'objet d'une terreur nullement imaginaire, rest`erent cantonn'ees dans la Petite Russie pour prot'eger l'ex'ecution de cette imp'eriale d'emence. Catherine II d'epouilla les couvents de la Russie centrale pour donner les communes, qui leur appartenaient, comme salaire `a ses druides; et au milieu de si nobles soins, elle trouvait dans son esprit assez d'am'enit'es, dans ses lettres `a Ferney, pour plaisanter sur le compte du barbare cosaque Pougatcheff. Son fils, le maniaque couronn'e, r'ecompensait, `a la veille du XIXe si`ecle, la servilit'e de ses courtisans, par le don de quelques milliers de paysans esclaves et achetait ainsi la prolongation de quelques jours d'existence.
Lorsque le gouvernement s'apercut de toute l'iniquit'e, ou plut^ot de toute la folie de cette politique spoliatrice `a l'avantage d'une caste, il 'etait trop tard pour y rem'edier. La noblesse ne voulut pas abandonner sa proie sans conqu'erir au moins les droits politiques. D'etach'ee du Peuple et mise en opposition avec lui par l'oeuvre du gouvernement, tra^in'ee dans la voie de la civilisation officielle, la noblesse 'etait le plus ferme soutien du tr^one et de la famille imp'eriale; et toutefois elle fut la premi`ere qui se d'etacha du gouvernement; et si, entre les deux, il y a encore un lien qui les unisse, c'est la domination qu'ils exercent, `a profit commun, sur le paysan.Monstrueuse complicit'e! Le gouvernement s'en apercut et s'indigna de l'ingratitude de la noblesse; il avait cru pouvoir jouer avec la civilisation, mais il oubliait que le dernier mot de la civilisation s'appelle R'evolution!