Том 7. О развитии революционных идей в России
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Russie Blanche.
Le jeune homme d'ep'erissait dans cette existence ennuyeuse; il devint triste, m'elancolique, au point que ses sup'erieurs commencaient `a avoir des craintes s'erieuses sur l''etat de sa sant'e, et gr^ace `a cela, on ne s'opposa pas, lorsqu'une ann'ee plus tard il donna sa d'emission. Libre du service, contre le d'esir de son P`ere, sans liaisons, sans appui, sans argent, il vint `a Moscou. C''etait en 1836. Il 'etait comme perdu dans cette ville qui lui 'etait inconnue; il cherchait `a donner des lecons de math'ematiques, seule science qu'il connaissait un peu, et n'en trouvait pas. Heureusement, quelque temps apr`es, on le pr'esenta `a une dame que toute la jeunesse litt'eraire d'alors aimait et estimait beaucoup, `a Mme C. L'evachoff (on peut bien nommer cette sainte femme; il y a plus de dix ans qu'elle n'existe plus). C''etait une de ces existences pures, d'evou'ees, pleines de sympathies 'ele, v'ees et de chaleur d'^ame, qui font rayonner autour d'elles l'amour et l'amiti'e, qui r'echauffent et consolent tout ce qui s'approche d'elles. Dans les salons de Mme L'evachoff on rencontrait les hommes les plus 'eminents de la Russie, Pouchkine, Michel Orloff (non le ministre de la police, mais son fr`ere, le conspirateur), enfin, Tchaada"ieff, son ami le plus intime et qui lui a adress'e ses c'el`ebres lettres sur la Russie.
Mme L'evachoff devina par cette intuition sagace, particuli`ere aux femmes dou'ees d'un grand coeur, la forte trempe du caract`ere et les facult'es extraordinaires de l'ex-artilleur. Elle l'introduisit dans le cercle de ses amis. C'est alors qu'il rencontra Stank'evitch et B'elinnski, avec lesquels il se lia intimement.
Stank'evitch [75] le poussa `a l''etude de la philosophie. La rapidit'e avec laquelle Bakounine, qui ne connaissait alors que tr`es peu la langue allemande, s'assimilait les id'ees de Kant et de Hegel et se rendait ma^itre et de la m'ethode dialectique, et du contenu sp'eculatif de leurs 'ecrits, a 'et'e 'etonnante. Deux ann'ees apr`es son arriv'ee `a Moscou, ses amis 'etaient tellement devanc'es par lui, qu'ils s'adressaient ordinairement `a lui, lorsqu'ils trouvaient quelques difficult'es. Bakounine avait un don magnifique pour d'evelopper les th`eses les plus abstraites, avec une lucidit'e qui les mettait `a la port'ee de chacun et sans rien perdre de leur profondeur id'ealiste. C'est pr'ecis'ement le r^ole que je pr'etends ^etre celui qui est d'evolu au g'enie slave par rapport `a la philosophie; nous avons de grandes sympathies pour la sp'eculation allemande, mais nous aspirons encore plus vers la clart'e francaise.
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J'ai parl'e de ce jeune homme remarquable, mort en Italie,dans
Bakounine pouvait parler des heures enti`eres, disputer depuis le soir jusqu'au matin sans se fatiguer, sans perdre ni le fil dialectique de l'entretien, ni Г ardeur de la persuasion. Et il 'etait toujours pr^et `a commenter, 'eclaircir, r'ep'eter, sans le moindre dogmatisme. Cet homme 'etait n'e missionnaire, propagandiste, pr^etre. L'ind'ependance, l'autonomie de la raison, telle 'etait sa banni`ere alors, et, pour 'emanciper la pens'ee, 1 faisait la guerre `a la religion, la guerre `a toutes les autorit'es. Et comme chez lui l'ardeur de la propagande s'alliait `a un tr`es grand courage personnel, on pouvait d`es lors pr'evoir que, dans e 'epoque telle que la n^otre, il deviendrait un r'evolutionnaire fougueux, ardent, h'ero"ique. Toute, son existence n''etait qu'une oeuvre de propagande. Moine de l''eglise militante de la r'evolution, il allait par le monde pr^echant la n'egation du christianisme, l'approche du dernier jugement de ce monde f'eodal et bourgeois, pr^echant le socialisme `a tous et la r'econciliation aux Russes et aux Polonais. Il n'avait pas d'autre vocation dans sa vie, ni d'autre int'er^et; il 'etait compl`etement indiff'erent aux conditions ext'erieures de son existence.
Quittant sa patrie, Bakounine ne s'est jamais souci'e de ce qu'il abandonnait son h'eritage. Il n'a jamais pens'e comment il ferait pour d^iner le lendemain. Avait-il un peu d'argent – il le d'epensait, sans compter, follement; il le donnait `a d'autres. N'en avait-il pas? Cela n'abattait pas son courage, il en riait avec ses amis, il savait r'eduire sa vie `a presque rien, il se refusait tout, et non seulement il ne s'en plaignait pas beaucoup, mais en effet il souffrait moins que les autres, il acceptait le manque d'argent, comme une maladie.
Il 'etait jeune, beau, il aimait faire des pros'elytes parmi les femmes, beaucoup 'etaient enthousiasm'ees de lui, et pourtant aucune femme n'a jou'e un grand r^ole dans la vie de cet asc`ete r'evolutionnaire; son amour, sa passion 'etaient aillieurs.
J'ai fait la connaissance de Bakounine en 1839. Je revenais alors `a Moscou d'un premier exil et commencais `a travailler dans des 'ecrits p'eriodiques, dirig'es par B'elinnski, ami intime de Bakounine. Nous pass^ames ensemble une ann'ee. Bakounine me poussait de plus en plus dans l''etude de Hegel, je t^achais d'importer plus d''el'ements r'evolutionnaires dans sa science aust`ere.
L'automne de 1840 Bakounine quitta la Russie; il se rendit a Berlin pour terminer ses 'etudes. Seul de ses amis, j'allais le reconduire jusqu'`a Gronstadt. A peine le bateau `a vapeur fut-il sorti de la Neva, qu'un de ces ouragans baltiques, accompagnes de torrents d'une pluie froide, se d'echa^ina contre nous.
Force fut au capitaine de retourner. Ce retour fit une impression extr^emement p'enible sur nous deux. Bakounine regardait tristement comment le rivage de P'etersbourg, qu'il pensait avoir quitt'e pour des ann'ees, s'approchait de nouveau avec ses quais parsem'es de sinistres figures de soldats, de douaniers d'officiers de police et de mouchards, grelottant sous leurs parapluies us'es.
Etait-ce un signe, un avis providentiel?.. Une circonstance semblable retint Cromwell, lorsqu'il voulait s'embarquer pour J'Am'erique. Mais Cromwell quittait l'Old England et il 'etait au fond enchant'e d'avoir trouv'e un pr'etexte pour y rester. Bakounine quittait la nouvelle cit'e des tzars. Ah! Monsieur, il faut voir l'enthousiasme sans bornes, la joie, les larmes aux yeux, chaque fois qu'un Russe passe la fronti`ere de sa patrie et pense qu'il se trouve maintenant hors du pouvoir de son tzar!
Je montrai `a Bakounine l'aspect lugubre de P'etersbourg et je lui citai ces vers magnifiques de Pouchkine, o`u il jette les mots comme des pierres, sans les lier entre eux, en parlant de P'etersbourg:
Bakounine 'etonna d'abord par sa fougue, par ses talents et par la hardiesse des cons'equences qu'il osait accepter, les professeurs de Berlin; mais bient^ot il s'ennuya et rompit avec le qui'etisme de la science allemande. Bakounine ne voyait d'autre moyen de r'esoudre l'antinomieentre la pens'ee et le fait, que la lutte, et il devint de plus en plus r'evolutionnaire. Il fut au nombre des jeunes litt'erateurs qui protest`erent dans les Annales de Halle, dirig'ees par Arnold R"uge, contre la mani`ere st'erile, aristocratique et inhumaine des professeurs allemands de comprendre la science, contre leur fuite dans les sph`eres de l'absolu, contre leur abstention sans coeur qui ne voulait participer en rien aux fatigues de l'homme contemporain
Les articles de Bakounine, 'ecrits avec beaucoup de verve et de hardiesse, 'etaient sign'es Jules Elysard. Au reste il 'ecriait tr`es peu et travaillait difficilement quand il fallait recourir `a la plume.
En 1843 Bakounine, poursuivi par les r'eactionnaires suisses, fut d'enonc'e par l'un d'eux, Bl"untchli, et recut aussit^ot la sommation de rentrer en Russie. Bl"untchli, journaliste et membre du gouvernement `a Zurich, lors de l'affaire du communiste Weitling, compromit une quantit'e de personnes. Ayant entre ses mains les dossiers de Weitling et de ses amis, il fit une brochure, o`u il rendit public tout ce qu'il devait garder secretr comme magistrat. Il n'y avait aucune lettre adress'ee `a Bakounine ou adress'ee par lui `a Weitling, mais dans je ne sais quel billet Weitling parlait de Bakounine, socialiste russe. Cela a suffi `a Bl"untchli. Apr`es cette d'enonciation il 'etait impossible de rentrer; Bakounine refusa par cons'equent d'obtemp'erer `a l'ordre imp'erial. Alors le tzar le fit juger par son S'enat; on le condamna `a la perte de tous ses titres et `a la d'eportation perp'etuelle des qu'il rentrerait «pour avoir d'esob'ei aux ordres de S. M. et pour avoir tenu une conduite inconvenante `a un officier russe». Bakounine remercia l'empereur par une lettre qu'il fit ins'erer dans les journaux de Paris, o`u il vint se fixer, de lui avoir retir'e ses titres de noblesse.