La main coup?e (Отрезанная рука)
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Bouzille, avait reconnu Fandor lui aussi.
L’air penaud et l’attitude embarrass'ee, Bouzille s’approcha du journaliste, en agitant les bras pour lui faire signe de se taire.
— Chut, murmura d’une voix imperceptible le chemineau, ne faites pas de bruit, ca mord.
— Qu’est-ce qui mord ? interrogea Fandor…
— Parbleu, poursuivit Bouzille, le poisson, j’en ai d'ej`a ramass'e quelques-uns, d’ici demain, j’en aurai un plein panier. Pourvu surtout que la mer continue `a ^etre mauvaise. Les vagues, vous comprenez, monsieur Fandor, ca trouble la transparence de l’eau et le poisson se laisse plus ais'ement prendre dans les filets.
Le journaliste, malgr'e lui, souriait `a l’ing'eniosit'e du bonhomme. Ce Bouzille, d'ecid'ement, n’'etait jamais en peine de combinaisons qui puissent lui rapporter quelque argent. Chaque jour, il inventait quelque chose de licite ou de clandestin. Bouzille respectait avant tout cet axiome :
— Il faut bien, expliquait-il en haussant les 'epaules, que je gagne ma vie, jusqu’au jour o`u ce bon M. Juve m’aura jug'e digne d’entrer dans la police.
Fandor tressaillit, il avait oubli'e un instant ses soucis, voil`a que Bouzille, maladroitement, lui remettait le nez dessus.
— Dans la police, grommela Fandor, m’est avis, Bouzille, que tu finiras plut^ot par aller en prison.
Bouzille, philosophe, rectifia :
— On commence par ^etre arr^et'e, puis on apprend `a arr^eter les autres ensuite, n’est-ce pas ainsi que ca se passe dans la vie, j’ai m^eme lu une histoire de ce genre dans un des feuilletons de votre journal : La Capitale.
Fandor haussa les 'epaules et sourit sans r'epondre.
— Et `a part cela, monsieur Fandor, qu’est-ce qui me vaut l’honneur de votre venue ?
Le journaliste avisa une petite embarcation mouill'ee `a quelques m`etres du rivage :
— C’est `a toi, ce bateau ? demanda-t-il…
— En toute propri'et'e, monsieur Fandor. Du moins jusqu’`a demain matin, car, lorsque le jour se l`evera, il y aura bien quelque matelot du port pour se pr'eoccuper de savoir « ousqu’est » pass'ee sa barque.
— Je comprends, fit le journaliste, en levant le col de son pardessus, car la pluie commencait `a tomber.
Bouzille demanda :
— Vous ne rentrez pas chez vous ?
— Non.
— Alors, puisque vous restez, montez dans le bateau, vous y serez plus `a votre aise et puis vous y trouverez un cir'e qui vous mettra `a l’abri de l’eau.
Bouzille ramena l’embarcation, Fandor y monta.
Mais `a peine le journaliste install'e s’'etait-il dissimul'e le visage et les 'epaules sous un grand capuchon jaune, qu’une voix retentissait de la rive :
— Oh'e, du canot.
Bouzille, imm'ediatement, redoutant l’arriv'ee d’un douanier, se blottit au fond du bateau :
— Ne bougeons plus, recommanda-t-il `a Fandor, ayons l’air de dormir, c’est encore des emb^eteurs, probablement.
Mais Fandor, en entendant appeler de nouveau, avait tressailli :
Cette voix qui avait cri'e
— Oh'e du canot, r'ep'etait-on avec insistance.
Fandor ordonna `a Bouzille :
— R'eponds.
— Mais, monsieur Fandor, balbutia le chemineau…
Le journaliste interrompit :
— R'eponds.
— Que voulez-vous ?
Ivan Ivanovitch, voyant qu’on l’avait entendu, descendait rapidement du haut de la falaise, arriva jusqu’au bord de l’eau :
— Il faut me conduire, demanda-t-il, en rade, au vaisseau de guerre qui se trouve l`a-bas. Combien voulez-vous, mon brave, pour cette course ?
Et l’officier ajouta aussit^ot.
— Allons, n’h'esitez pas, je suis press'e ; vous aurez dix francs.
— Accepte, ordonna le journaliste…
— Mais, objecta Bouzille en h'esitant, je ne suis gu`ere bon marin, et jamais je ne me « d'ebarbouillerai » dans cette mer toute noire. Conduire aussi loin ce particulier, c’est bien scabreux.
— R'eponds que tu acceptes, je me charge du reste.
— Bon, bon, d’accord…
— Par exemple, si tu ne veux pas que je te fasse conduire au violon sit^ot que tu d'ebarqueras, il faut me promettre de m’ob'eir aveugl'ement, quoi qu’il arrive, entends-tu, Bouzille ? quoi qu’il arrive.
Le chemineau cligna de l’oeil en regardant le journaliste :
— Compris, monsieur Fandor, je marche… je marche « `a votre compte ». Vous savez bien qu’avec un peu d’argent et de la consid'eration vous faites de Bouzille ce que vous voulez.
— Quand vous aurez fini tous les deux de discuter, criait Ivan Ivanovitch, est-ce oui, est-ce non ? Acceptez-vous dix francs pour me conduire jusqu’au Skobeleff. Il y en a pour une heure aller et retour.
— Voil`a, voil`a ne vous f^achez pas, r'epondit enfin Bouzille qui larguant l’amarre et s’emparant des avirons approcha le bateau du rivage.
Ivan Ivanovitch sauta `a bord prestement et s’installa au milieu de l’embarcation. Bouzille ramait.
Fandor, plac'e `a la barre, se trouvait face `a face avec Ivanovitch.
Mais l’officier ne pouvait le reconna^itre, Fandor 'etant envelopp'e d’un suro^it, des pieds jusqu’`a la t^ete et maintenait en outre le capuchon rabaiss'e sur le visage.