La main coup?e (Отрезанная рука)
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— Que voulez-vous dire ? haleta l’officier, qui malgr'e la col`ere qui grondait en lui n’osait faire un mouvement, maintenu qu’il 'etait immobile sous la menace du revolver et sentant que par derri`ere lui le complice de son agresseur – car c’'etait une v'eritable agression – l’homme qui tenait les avirons 'etait pr^et `a se pr'ecipiter sur sa personne.
Fandor, toujours sur ses gardes, pr'ecisa encore :
— Je suis fort satisfait, disait-il, de vous emp^echer de remonter `a bord de votre navire. Cela non pas par pur d'esir de vous contrarier, mais pour vous voir enfreindre les ordres qui vous ont 'et'e donn'es et que vous semblez si d'esireux d’ex'ecuter.
— Monsieur Fandor, g'emit l’officier, vous ne pouvez pas vous rendre compte de l’effroyable position dans laquelle vous me mettez en m’emp^echant de rejoindre mon bord, vous m’imposez la situation la plus terrible qui soit au monde.
— Le Skobeleffne court, j’esp`ere, aucun danger et peu importe au gouvernement russe, en fin de compte, que vous soyez ou non sur votre navire avant la fin de cette nuit.
— Qu’en savez-vous ? demanda le Russe.
— Je sais, poursuivit Fandor qui avait de la m'emoire, qu’il y a quelques heures au Casino, tenez, pr'ecis'ement, lorsque nous causions dans la galerie Sud, avant la mort de ce pauvre Meynan, vous m’avez d'eclar'e que peut-^etre vous iriez ce soir coucher `a l’h^otel et qu’en tout cas rien ne vous obligeait `a regagner votre bateau avant l’apr`es-midi de demain.
Ivan Ivanovitch, de plus en plus troubl'e baissa la t^ete. Apr`es un silence, il balbutia :
— Les circonstances ont modifi'e mes plans, les choses ont chang'e depuis…
— Allons donc, cria Fandor, ayez un peu de courage, expliquez-vous franchement, dites la v'erit'e, la v'erit'e vraie : qui ^etes-vous ?
Fandor esp'erait du fond du coeur qu’`a la question ainsi pos'ee, il obtiendrait enfin une r'eponse d'efinitive et cat'egorique.
L’officier qui avait commenc'e `a d'eclarer qu’il ne mentait pas, s’'etait interrompu brusquement lorsque Fandor lui avait demand'e :
— Qui ^etes-vous ?
L’officier regarda alors le journaliste avec un air de si profonde stup'efaction, un 'etonnement si sinc`ere que Fandor, `a regret d’ailleurs dut abandonner la derni`ere hypoth`ese qu’il avait formul'ee, `a savoir que le personnage qu’il avait devant lui n’'etait pas Ivan Ivanovitch.
Les yeux du journaliste, d’ailleurs, s’'etaient habitu'es `a l’obscurit'e, il n’y avait pas le moindre doute possible, c’'etait bien l’officier russe qui se trouvait devant lui.
Mais alors, que signifiait ce myst`ere ? et quels 'etaient les sous-entendus que contenaient ses d'eclarations perp'etuellement tronqu'ees ?
Cependant l’embarcation raclait le fond et Bouzille se servant d’un aviron comme d’une gaffe accostait doucement :
— Eh bien, fit-il en poussant un soupir de satisfaction, nous voil`a revenus `a la c^ote, m^eme que nous avons gagn'e cinq cents m`etres et que l’on est tout pr`es de chez moi.
Cette remarque dicta sa ligne de conduite `a Fandor.
— Commandant, fit Fandor, je vous demande un peu de patience. Vous 'etiez mon prisonnier sur mer. Vous l’^etes encore ici, promettez-moi d’ob'eir, c’est dans notre int'er^et mutuel que j’agis.
Le Russe, `a ce moment, jugea l’instant propice : il sauta `a terre, d’un coup de poing violent renversa Fandor au fond de la barque cependant que le revolver du journaliste roulait sur un rocher.
— Nom de Dieu, s’'ecria Fandor qui ne s’attendait point `a cette brusque attaque et se d'esesp'erait surtout, non pas tant d’avoir 'et'e surpris que de voir l’officier lui 'echapper.
Mais le journaliste en raisonnant ainsi oubliait Bouzille.
Le brave chemineau avait compris les intentions du commandant. Celui-ci voulait en effet remonter dans la barque, en chasser Fandor, au besoin le jeter `a l’eau si c’'etait n'ecessaire, puis il se serait 'elanc'e tout seul en pleine mer pour regagner co^ute que co^ute son navire conform'ement `a son imp'erieux d'esir, conform'ement aux ordres, aux ordres myst'erieux.
Bouzille eut une heureuse inspiration.
Il prit une corde d'ependant de son filet de p^eche, il la lanca comme un lasso et avec une extraordinaire habilet'e, en l’espace d’une seconde, ligota l’officier.
Celui-ci en vain se roula sur le sable, il avait les bras immobilis'es, il ne pouvait rien faire, et plus il s’agitait, plus ses liens se resserraient.
— Je crois, grommela Bouzille avec un calme tout plein d’ironie, que Monsieur voulait s’en aller sans payer mes dix francs.
L’officier hurla :
— C’est indigne, c’est abominable. C’est un guet-apens, un assassinat. Je porterai plainte, et j’exigerai des repr'esailles de mon Gouvernement.
Fandor haussa les 'epaules. Avec calme et fermet'e, il ordonna `a l’officier :
— Levez-vous, monsieur, et marchez. Il ne s’agit ni d’une tentative de crime ni m^eme d’une mauvaise plaisanterie. Je vous oblige `a faire ce que vous refusez de bonne gr^ace. Il faut, dans votre int'er^et comme dans le mien, que je puisse affirmer que de telle heure `a telle heure, vous 'etiez dans un lieu d'etermin'e et que vous n’en avez pas boug'e. Si je proc`ede de la sorte, c’est, non point pour vous d'eplaire, mais pour faire une exp'erience qui vraisemblablement vous sauvera.
« Nous avons nos adversaires, nous les connaissons, tandis que vous, monsieur, vous ^etes une victime peut-^etre et une victime qui ignore quels sont ses agresseurs.
Vaincu, dompt'e, mais ne d'ecol'erant pas, Ivan Ivanovitch, c'edant `a la force, 'etait bien oblig'e d’obtemp'erer aux ordres de Fandor.
Et celui-ci le suivant, cependant que Bouzille ouvrait la marche, lui faisait remonter la falaise jusqu’`a la fameuse grotte, perdue entre ciel et eau, `a l’acc`es extraordinairement difficile et dans laquelle Bouzille avait install'e son quartier g'en'eral.