Le petit Cheval bossu
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Je prendrai ton cou, ma belle,
Voil`a comme tu es, saut'relle!
Sois s^ure, je suis tr`es s'erieux!”
Une minute apr`es, il peut
Courir vers la jument blanche,
Saisir sa queue en revanche
Et s’asseoir vite sur son dos
A l’inverse de comme il faut.
La jument blanche de jeune ^age,
Brille des yeux d’une forte rage,
Tourne la t^ete comme un serpent,
Se lance comme une fl`eche. Aux champs,
Elle saute et fait de grandes rondes,
Sursaute des foss'es en s’conde,
Galope `a travers des monts,
Se cabre aux for^ets de bonds,
Par la force ou par la fraude,
Pour le vaincre, elle cherche un mode.
Mais Ivan n’est pas peureux –
Il se tient bien par sa queue.
Final’ment, elle devient lasse.
“Ivan, – lui dit-elle, – de gr^ace!
Si tu as pu te tenir,
Je devrai t’appartenir.
Donne pour mon repos une place,
Comme tu peux, soigne-moi lasse.
Attention! A l’aube, trois fois
De suite, tu me permettras
Seule en rase campagne de faire
Une prom’nade volontaire.
Apr`es ces trois jours, il faut
Que j’accouche de deux chevaux –
Tels qu’on ne trouve pas au monde,
M^eme si on fait une grande ronde,
Et encore un p’tit Cheval,
Haut de cinq pouces, mais sp'ecial:
Sur le dos, il a deux bosses,
Des oreilles d’^ane lui haussent.
Si tu veux, vends ces deux ch’vaux,
Ne vends, ni pour un chapeau, –
Le p’tit, – ni pour une ceinture,
Ni pour une sorci`ere; j’assure –
Sur la terre et sous la terre,
Il s’ra ton ami en clair;
En hiver, du froid, il cache,
Et du chaud en 'et'e, – sache
Ca; si tu veux boire, manger –
Il pourra te le donner.
Apr`es, je prendrai la chance
Aux champs de toute ma puissance”.
Ivan pense: “Soit, c’est assez”,
Et dans la grange des bergers,
Il m`ene la jument en h^ate,
La ferme avec une natte
Et, `a l’arriv'ee du jour,
Au village, est de retour,
En chantant comme une casse-pierres:
“Un gars vient `a la rivi`ere…”
Alors, il monte au perron,
Saisit par sa main le rond,
Frappe si fort que tout le monde
Ait peur que le toit ne tombe;
Pour faire du chahut, il crie,
Comme si c’est une incendie.
Les fr`eres sautent vite de leurs couches,
B`egues de peur de quelque louche:
“Qui frappe fort au logis clos?” –
“Mais c’est moi, Ivan l’Idiot!”
Les fr`eres ouvrent vite la porte,
Il entre et se tient de sorte,
Qu’ils se mettent `a le gronder:
Comment il ose effrayer!
Ivan, sans qu’ils r'eussissent,
En chaussures et en pelisse,
Se dirige vers le four,
De l`a, il tient son discours,
Concernant son aventure,
Etonnant des oreilles pures:
“Eh bien, je n’ai pas dormi,
Comptant les 'etoiles la nuit;
La lune a pu aussi luire, –
Je n’ai pas vu, – rien `a dire.
Soudain, un diable est venu,
Tout barbu et moustachu;
Il a la gueule comme une chatte
Et les yeux comme deux grandes jattes!
Et il s’est mis `a sauter,
A battre par la queue le bl'e.
Je ne fais point de blagues sottes,
Alors, sur son cou, je saute.
Il m’a tant tra^in'e, tra^in'e,
M^eme, il m’a failli casser
La t^ete, pour que je le laisse,
Mais je l’ai tenu en presses.
Il battait fort, mon malin,
Et il m’a pri'e enfin:
“Ne fais pas me d'etruire:
Toute l’ann'ee, pour te suffire,
Je vais me conduire bien –
Laisser en paix des chr'etiens”.
Je ne suis pas trop aimable,
Mais j’ai cru mon petit diable”.
En b^aillant, il le dit, or,
Apr`es une s’conde, il s’endort.
Quoiqu’ils soient f^ach'es, les fr`eres
Rient trop, malgr'e leur col`ere.
Ils se tiennent aussi les flancs,
Riant de cette histoire longtemps.
Leur p`ere ne se tient pas m^eme
De rire aux larmes de ce th`eme,
Bien que ca soit mal aux vieux:
De ne pas rire tant, – c’est mieux.
Peu de temps ou trop ensuite
Fit de cette nuit la fuite, –
Moi, je ne l’entendis pas,
Car personne ne m’en parla.
Mais ce n’est pas une affaire
Pour nous, parce qu’il nous faut faire
Notre bon conte, sans compter
Toutes les ann'ees pass'ees.
Donc (`a une grande f^ete),
Dans la grange, avec la t^ete
Qui lui tourne, pleine d’hydromel,
Se tra^ina le fr`ere Daniel.
Il voit deux chevaux superbes
A crini`ere d’or, fine comme l’herbe,
Et un p’tit cheval-jouet
Haut de cinq pouces, comme on sait:
Sur le dos, il a deux bosses,
Des oreilles d’^ane lui haussent.
“Tiens! Pour ca, comme j’ai compris,
Notre Idiot y a dormi!” –
Se dit-il, et la merveille,