Le petit Cheval bossu
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De l’ivresse, le r'eveille.
Daniel court `a la maison,
Dit `a son fr`ere d’un bas ton:
“Gabriel, 'ecoute, mon fr`ere,
Quels chevaux `a belle crini`ere
Appartiennent `a notre Idiot:
Tu n’as pas ou"i dire un mot”.
Donc, apr`es, les deux grands fr`eres,
Aussi vite qu’ils puissent le faire,
Sur l’ortie, courent, sans d'evier,
De toutes leurs forces, `a nus-pieds.
Ils tr'ebuchent trois fois en route,
Ont des yeux poch'es, sans doute,
En frottant ici et l`a,
Ils entrent dans la grange – voil`a:
Deux chevaux s’'ebrouent aux fr`eres,
Leurs yeux lancent une belle lumi`ere
De rubis; et leurs queues d’or
Fris'ees pendent au sol encore.
Leurs sabots de diamants brillent,
Et de grandes perles y scintillent.
Quel plaisir `a regarder!
Seul, le roi peut y monter!
Presque borgnes, les deux fr`eres
Les regardent, sans rien faire.
“O`u, donc, les a-t-il trouv'es? –
Dit Daniel, le fr`ere a^in'e. –
Aux sots, la vie est f'econde
En biens, comme on dit au monde.
Je me mets en quatre, mais,
Aucune pi`ece, je n’en gagn’rai.
Gabriel, la s’maine prochaine,
A la capitale, on m`ene
Ces chevaux, on les vendra;
En parties, on divis’ra
L’argent, avec quoi on mange
Et boit, sans qu’on nous d'erange,
Si on tape sur un sac gros.
Notre fr`ere cadet idiot
N’aura pas la conjecture,
O`u ses ch’vaux, par leur allure,
Sont partis: qu’il cherche l`a-bas.
Eh bien, mon ami, tope-l`a! ”.
Ayant mis tout ca en ligne,
Les deux fr`eres s’embrassent, se signent.
Puis, ils viennent `a la maison,
Faisant la conversation
Sur ces ch’vaux, sur une grande f^ete,
Sur un dr^ole de petite b^ete.
Le temps va son train toujours,
L’heure `a l’heure, le jour au jour.
Une semaine apr`es, les fr`eres
Partent pour la ville, pour faire
Ceci: vendre des denr'ees
Et apprendre sur le quai,
Si les barques all’mandes `a voiles
Y viennent pour ach’ter des toiles,
Si le roi Saltan y vient
Capturer de bons Chr'etiens.
Ayant fait bien de pri`eres,
Ayant demand'e au p`ere,
Ils prennent en secret deux ch’vaux
Et s’en vont sans dire un mot.
De la nuit, le soir s’approche,
Le temps du sommeil est proche.
Ivan marche sans penser trop,
Chante et mange son chanteau.
Et avec la conscience franche,
En mettant les mains aux hanches,
En dansant, comme un seigneur,
Dans la grange, il entre, poseur.
Tout est bien, sauf les ch’vaux, comme
S’ils n’'etaient pas l`a, en somme!
Seul, le p’tit Cheval-jouet
Tourne de joie pr`es des pieds,
Bat de longues oreilles sans cesse
Et sautille de l’all'egresse.
Ivan se met `a hurler,
S’appuie pour ne pas tomber
Contre le mur: “ Ch’vaux superbes!
A crini`ere d’or fine comme l’herbe!
Mais je vous ai tant aim'es,
Quel d'emon vous a vol'es?
Peste de lui, le chien, qu’il pleure!
Que, dans un ravin, il meure!
Qu’il s’effondre avec le pont
L`a, dans l’autre monde, c’est bon!
Oh, mes ch’vaux bruns-gris superbes,
A crini`ere d’or fine comme l’herbe!”
Le Ch’val fait un henniss’ment:
“Ne pleure pas, mon cher Ivan,
Ton malheur est une grande chose,
Je t’aid’rai `a cette cause.
N’accuse pas le diable en vain:
Tes fr`eres ont pris les ch’vaux. Tiens!
Ne dis pas de choses sottes,
Sois calme, ce n’est pas ta faute.
Mets-toi plus vite sur mon dos
Tiens-toi ferme comme il faut;
Bien que je sois de p’tite taille,
Mieux que d’autres, je travaille:
Je me mets vite `a courir,
Le diable, je peux le saisir”.
Il s’'etend devant son ma^itre,
Ivan monte au Ch’val, sans ^etre
L^ache; du p’tit Cheval, il prend
Les oreilles, en mugissant.
Le Cheval se l`eve de terre,
Branle sa petite crini`ere,
Il s’'ebroule, en s’animant,
Se lance comme une fl`eche, volant.
Il n’y a que de la poussi`ere
Qui y tourbillonne par terre.
En un clin d’oeil, ou en deux,
Il rattrape les astucieux.
Les fr`eres ont peur et s’appr^etent
A montrer vite qu’ils regrettent.
Ivan se met `a crier:
“C’est honteux de me voler!
Bien que vous soyez plus sages,
Je suis plus honn^ete, je gage:
Je ne vous ai rien vol'e”.
L’a^in'e de ses fr`eres, crisp'e,
Dit: “Ivan, notre cher fr`ere,
Rien `a nier – c’est notre affaire!
Mais tu dois aussi compter
Avec notre pauvret'e:
Tu sais qu’on n’a, quoiqu’on s`eme,
Pas de pain quotidien m^eme.
La red’vance, o`u la trouver? –
On n’arr^ete pas d’exiger.
C’est `a cause de cette tristesse
Qu’on a tant parl'e sans cesse
Toute la nuit et de bonne heure: