La main coup?e (Отрезанная рука)
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L’un tenant l’autre, les deux hommes parcoururent quelques instants encore une all'ee d'eserte qui s’inclinait par une pente rapide et abrupte vers le rivage.
— Mais nous allons au bord de l’eau, pensa Fandor, c’est curieux, je n’aurais jamais imagin'e qu’`a Monaco le commissariat se trouvait dans le voisinage du port.
Et Fandor regardant autour de lui, remarquait `a part lui-m^eme :
— Je n’apercois que des cabines de bain.
Brusquement, ayant contourn'e un rocher, ils s’arr^et`erent au ras des flots.
Le sentier qu’ils suivaient 'etait coup'e net.
Fandor, surpris, tr'ebucha, et il serait infailliblement tomb'e `a l’eau si une embarcation ne s’'etait trouv'ee l`a.
Le Russe, d’ailleurs, d’une violente pouss'ee l’envoya sur le bateau, et Fandor s’affala dans les bras d’une demi-douzaine de marins.
Le journaliste 'etait si abasourdi de ce qui venait de se passer qu’il n’avait pas eu le temps de dire une seule parole. D'ej`a Ivan Ivanovitch avait donn'e ses ordres :
— Ce monsieur d'esire absolument faire une promenade en mer. Vous allez l’emmener. Il veut se promener pendant six heures cons'ecutives, apr`es quoi vous le ram`enerez ici. Sous aucun pr'etexte, ne rentrez avant.
Dans une langue incompr'ehensible pour Fandor, un quartier-ma^itre reconnaissable `a ses galons, r'epondit quelque chose au commandant.
Puis, `a force de rames, l’embarcation, – une jolie baleini`ere – s’'ecartait du rivage.
— Ah c`a, jura Fandor qui reprenait peu `a peu possession de lui-m^eme, mais ces gens-l`a se foutent de moi.
Et le journaliste, dans un mouvement d’irr'esistible col`ere, tenta de se jeter `a l’eau pour regagner la terre.
Quatre vigoureux gaillards l’assirent de force sur une banquette.
Fandor ne pouvait plus faire un geste, et au fur et `a mesure que les secondes s’'ecoulaient, il voyait s’'eloigner la c^ote.
— Eh bien, pensa le journaliste r'esign'e, voil`a une aventure qui n’est pas ordinaire. Mais puisque je ne suis pas le plus fort il faut c'eder. Attendons. J’en ai para^it-il, pour six heures. Pourvu que ces sauvages ne soient pas assez brutes pour me d'ebarquer au milieu de la mer. C’est 'egal, je me demande ce que veut dire tout cela ?
***
Peut-^etre Fandor aurait-il 'et'e renseign'e si au lieu de s’en aller faire une promenade hygi'enique et involontaire dans une baleini`ere de l’'Etat russe, au beau milieu de la M'editerran'ee, il avait pu rester `a terre et suivre l’officier qui, d'esormais d'ebarrass'e de son encombrante personne, remontait paisiblement par le petit sentier qui longeait la falaise.
Ivan Ivanovitch 'etait soucieux.
Regrettait-il son coup de force ?
Ex'ecutait-il un ordre ?
Avait-il pris sur lui de proc'eder ainsi ?
Ivan Ivanovitch erra environ pendant une heure, et sans but pr'ecis, sans but apparent, dans les jardins du Casino. Apr`es quoi, ayant fait un crochet en ville, il se rendit lentement dans le quartier des villas et prit l’all'ee des Rosiers, dans laquelle se trouvait non seulement la fameuse Conchita Conchas, la danseuse espagnole, mais encore la villa, plac'ee juste en face, des 'epoux H'eberlauf, directeurs de la pension de famille o`u demeurait Mademoiselle Denise.
L’officier sonna chez les H'eberlauf, le domestique vint ouvrir :
— Mademoiselle Denise, demanda le commandant, est-elle rentr'ee ?
— Je ne sais pas, monsieur, r'epondit le valet de chambre, monsieur veut-il se donner la peine d’attendre un instant ?
Le Russe resta dans le jardin, o`u quelques jours auparavant sa jeune et myst'erieuse amie lui avait fait d’amers reproches relatifs `a ses pertes au Casino.
Il n’y avait pas tennis cet apr`es-midi-l`a, et la tonnelle 'etait d'eserte.
De la maison H'eberlauf, ordinairement si bruyante, ne s’'echappait nul bruit.
Au bout de quelques minutes, le domestique revint et s’adressa `a l’officier :
— Si monsieur veut me suivre, Mademoiselle Denise est pr^ete `a le recevoir.
L’officier, dont le coeur battait `a se rompre, monta rapidement deux 'etages derri`ere le domestique et fut introduit dans un boudoir tendu de toiles de Jouy.
Sur une berg`ere, Mademoiselle Denise.
Le visage de la jeune fille 'etait loin de pr'esenter son calme ordinaire.
C’'etait en vain qu’elle s’'eventait pour chasser le rouge qui lui 'etait mont'e aux pommettes. C’est en vain qu’elle faisait de longues et profondes aspirations pour att'enuer l’essoufflement qui lui agitait la poitrine.
Sans r'epondre aux salutations du Russe, elle lui d'esigna de la main un si`ege et demanda :
— Que voulez-vous ?
— Qu’avez-vous donc, mademoiselle Denise, fit-il, vous semblez tout 'emue… Vous est-il arriv'e quelque chose ?
Denise rougit jusqu’`a la racine des cheveux. Elle demeura quelques instants sans r'epondre, puis, du ton embarrass'e d’une personne qui dissimule la v'erit'e, elle expliqua :
— Je viens de subir une vive 'emotion, expliqua-t-elle, c’est au sujet de cette danseuse qui demeure en face, cette Conchita Conchas. M. et M meH'eberlauf ont 'echang'e des paroles violentes, et comme j’aime beaucoup ces braves gens et que j’assistais `a cette dispute, vous comprenez ma surprise, mon 'emotion, n’est-ce pas ?
Plus la jeune fille parlait, plus elle s’embarrassait.
— Mademoiselle Denise, dit Ivan Ivanovitch, je ne vous comprends pas. Je sais bien qu’il se passe depuis quelque temps des choses peu ordinaires, extraordinaires m^eme. Nous avons l’air d’y ^etre m^el'es l’un et l’autre, sans pouvoir nous expliquer pourquoi ni comment. H'elas, il y a dans ma vie, depuis quelques jours, un secret, un secret formidable que je ne puis r'ev'eler, mais que vous importe. D’ici peu, d’ailleurs, dans quelques jours, dans quelques heures, je serai relev'e de ma promesse, car je le veux, je me le suis jur'e.