La main coup?e (Отрезанная рука)
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Il venait de mettre pied `a terre.
Mais d'ej`a, au coin d’une all'ee, disparaissait la jupe rose.
Fandor s’'elanca sur ses traces, peu soucieux du d'esordre de sa toilette, indiff'erent aux accrocs que comportait son v^etement, aux poussi`eres de pl^atre tomb'ees sur ses 'epaules.
Fandor avait aussi 'egar'e son chapeau, mais peu lui importait. Il se sentait sur une piste int'eressante, il fallait co^ute que co^ute suivre les traces et ne pas se laisser distancer.
H'elas, la r'ealisation de ce projet 'etait difficile. Il 'etait trois heures et demie environ, les promeneurs se faisaient nombreux dans les all'ees du joli jardin qui s’'etend entre l’immeuble du Casino et la terrasse de la mer. `A chaque instant, Fandor 'etait oblig'e de couper son 'elan, de faire des d'etours, de s’arr^eter pour repartir ensuite, de se glisser entre les groupes. Parfois, il tr'epignait sur place, impatient, rendu furieux par la pr'esence de quelque vieille dame ankylos'ee ou de quelque monsieur ob`ese qui l’emp^echait de passer.
La jupe rose gagnait insensiblement du terrain.
Mais elle aussi devait compter avec la foule des promeneurs.
Au bout de quelques instants, Fandor pistant toujours la fugitive, atteignit une all'ee ombreuse et d'eserte. En prenant le pas de course, il ne tarderait pas `a rattraper la fuyarde, g^en'ee sans doute par sa robe `a la mode : une jupe entrav'ee.
— Bon Dieu, jura Fandor, je saurai qui c’est et pourquoi diable elle nous a enferm'es.
Mais `a l’instant m^eme, Fandor, qui avait la t^ete baiss'ee, poussait un cri de douleur : le journaliste chancela, faillit tomber `a la renverse, cependant qu’un grognement humain retentissait en face de lui.
Fandor, instinctivement, au lieu de s’excuser, monta sur ses grands chevaux.
— Bougre d’imb'ecile, vous ne pourriez pas faire attention.
Le journaliste 'etait en face d’un homme contre la poitrine duquel il venait de se heurter. C’'etait un gaillard robuste et bien plant'e, large d’'epaules, au visage embroussaill'e d’une grande barbe, aux yeux clairs, `a la chevelure noire.
— Imb'ecile vous-m^eme, dit le barbu quelque peu estomaqu'e.
Fandor n’avait pas de temps `a perdre, il contourna le f^acheux promeneur, s’efforcant de passer `a sa droite. Mais l’homme, nullement apais'e pour autant, rattrapa Fandor par le bras :
— S’il vous pla^it, monsieur, un instant.
Fandor s’efforcait vainement de se d'egager :
— Idiot, cr'etin, cria-t-il, furieux, l^achez-moi. Vous voyez bien que je poursuis quelqu’un.
— Ca m’est bien 'egal, r'epondit l’interlocuteur, vous ^etes un malotru, vous m'eritez un ch^atiment, je vous enverrai mes deux t'emoins.
— `A votre aise, r'epondit le journaliste, je m’appelle J'er^ome Fandor, et je demeure `a l’h^otel.
Mais Fandor s’arr^eta, interdit. Le personnage qui le g^enait ainsi venait de se nommer aussi, et d`es lors, Fandor le consid'era stup'efait, ouvrant de grands yeux ahuris :
L’homme avait dit, en effet :
— Je suis le commandant Ivan Ivanovitch.
— Ah bah, fit-il, ah c’est vous ! Ah par exemple ! Eh bien, ca n’est pas banal. Mais peu importe, nous nous retrouverons tout `a l’heure. Pour le moment, je file.
Le journaliste, toujours maintenu par la manche, d'ecochait un coup de poing `a l’officier pour se faire l^acher, mais le Russe ne broncha pas.
— Qu’avez-vous donc `a poursuivre cette jeune fille ?
— Cette jeune fille, r'epliqua Fandor, quelle jeune fille ?
— Parbleu, fit l’officier, Mademoiselle Denise.
Une fois encore Fandor demeura interdit :
— Ah, c’est mademoiselle qui… que… la jupe rose l`a-bas, c’est Mademoiselle Denise ?
— Dame, vous le savez bien, je suppose, puisque vous courez apr`es elle comme un fou ?
— Nom de Dieu, voulez-vous oui ou non me l^acher ? hurla Fandor au comble de l’exasp'eration.
Le journaliste tr'epigna sur place.
Malgr'e sa situation pr'ecaire, incompr'ehensible, les pens'ees se pressaient en foule dans son esprit. D'ecid'ement les 'ev'enements le servaient, et en l’espace de quelques instants il venait de faire deux rencontres de la plus haute importance.
L’officier russe d’abord, cet Ivan Ivanovitch, dont l’attitude myst'erieuse et le r^ole dans les histoires confuses survenues `a Monaco avaient d'etermin'e son d'epart de Paris, puis cette jeune fille non moins myst'erieuse, qui, quelques instants auparavant l’avait enferm'e, lui, Fandor, dans le cabinet de M. de Vaugreland, avec Juve.
Le journaliste, 'edifi'e d'esormais, 'etait moins press'e de courir apr`es la jeune fille. Il savait le nom de la fugitive et la retrouverait sans peine.
Fandor abandonnait donc son projet de poursuivre imm'ediatement l’'enigmatique personne, mais en revanche il 'eprouvait une violente col`ere `a l’'egard de l’officier russe qui, non seulement l’avait interrompu dans sa poursuite, mais encore le brutalisait s'erieusement.
— Parbleu, se dit Fandor, il ne faut pas que je me laisse faire par ce moujik. S’il est plus fort, t^achons d’^etre plus malin. Payons d’audace.
Le Russe ne l^achait pas le brave Fandor, mais Fandor, `a charge de revanche appr'ehendait l’officier par son v^etement.
— Permettez, fit-il d’une voix autoritaire, M. Ivan Ivanovitch, j’'eprouve le tr`es vif d'esir de m’expliquer avec vous, et cela imm'ediatement.
— O`u donc, monsieur ?
— Au poste de police.
— Soit… De la sorte vous laisserez peut-^etre Mademoiselle Denise tranquille.
« Tiens, pensa Fandor, on dirait que ca l’int'eresse.
Et tout haut :
— Mademoiselle Denise, je saurai bien o`u la retrouver par la suite, allons, monsieur.
Toutefois, au moment de mettre son projet `a ex'ecution, Fandor se sentait tr`es g^en'e d’aller avec l’officier au poste de police, car le journaliste ignorait totalement l’endroit o`u se trouvait le bureau du commissaire.
Le Russe toutefois avait rebrouss'e chemin et entra^inait Fandor par un petit sentier.
— Laissons-nous conduire, se dit Fandor, le Russe sait peut-^etre apr`es tout o`u se trouve l’endroit o`u je veux l’amener.