La main coup?e (Отрезанная рука)
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— Mais si, mais si. Tu y conna^itras tout le monde, au contraire. 'Ecoute, il y aura l`a, d’abord, moi, et puis encore Daisy Kissmi, ca, tu sais, c’est une assurance que les vins sont bons. Daisy ne vient que dans les maisons o`u la cave est excellente. Et puis il y aura encore… tiens, parbleu, mon amant, le vieux, tu sais le d'eput'e et puis Mario, l’amant de Kissmi. Tu n’auras l’air de rien, hein ? tu ne feras pas de gaffe ?
— Mais non, mais non.
— Alors, c’est dit, hein. Tu viens ? Attends. Isabelle 'etait tout `a l’heure `a la roulette, mais je suis s^ure qu’elle a un peu perdu. Elle a d^u cesser de jouer… Nous la retrouverons au th'e. Je vais te pr'esenter.
— D’ailleurs, expliquait Louppe, enchant'ee de son id'ee, tu vas peut-^etre lui tourner la t^ete `a Isabelle. Elle aime les gens un peu trapus. Ca ne serait pas b^ete, tu sais, c’est une bonne fille.
Puis, subitement, Louppe s’arr^eta en riant :
— Dieu que je suis sotte, voil`a que je vais te pr'esenter, et que je ne sais pas seulement comment tu t’appelles. Dis voir, c’est Dubois ou Duval ?
— C’est Dupont. Dupont.
— En un mot ?
— Oui, en un mot.
10 – MAIS QUELQU’UN TROUBLA LA F^ETE
Juve s’amusait prodigieusement.
Apr`es s’^etre fait inviter avec le plus parfait sans-g^ene au d^iner qu’offrait `a ses amis Isabelle de Guerray, le policier assistait en spectateur impassible, mais int'eress'e et curieux au plus haut point, `a l’arriv'ee des personnages qui constituaient le fond des relations de la ma^itresse de maison.
La c'el`ebre demi-mondaine r'eunissait ce soir-l`a une quinzaine de personnes environ appartenant `a tous les milieux.
Il y avait l’in'evitable comte de Massepiau, comte authentique peut-^etre, mais pique-assiette certain, que l’on trouvait partout o`u l’on donnait `a manger.
Le diplomate Paraday-Paradou figurait aussi parmi les invit'es.
Pour la circonstance, le vieux beau avait remplac'e la rosette multicolore qu’il portait ordinairement `a sa boutonni`ere par une cravate de commandeur d’un ordre 'etranger que l’on e^ut pris pour la L'egion d’honneur, n’e^ut 'et'e un mince filet vert faufil'e dans le rouge.
Il y avait encore le d'eput'e Laurans, quelques jeunes gens connus d’Isabelle de Guerray autour des tables de roulette et, `a un moment donn'e, le ma^itre d’h^otel avait annonc'e :
— Le Signor Mario Isolino.
Isolino 'etait plus pommad'e que jamais, plus rampant qu’`a son ordinaire et v^etu avec la derni`ere recherche selon les r`egles du plus parfait mauvais go^ut.
C^ot'e femmes, toutes tr`es 'el'egantes, surcharg'ees de dentelles et de bijoux, Conchita Conchas qui, s’'eventant derri`ere un large 'eventail espagnol, n’avait pas quitt'e des yeux la porte d’entr'ee jusqu’au moment o`u le grand sec M. H'eberlauf 'etait entr'e timidement, rasant les murs, tr`es g^en'e.
Daisy Kissmi, `a jeun `a cette heure, 'etait charmante dans une robe tr`es simple, et enfin la petite Louppe allait et venait dans le salon, passant d’un coin de table `a un bras de fauteuil, caquetant avec tous et troublant de ses 'eclats de rire et de ses gestes d'esordonn'es le silence des invit'es attendant le moment de se mettre `a table.
Quant `a la ma^itresse de maison, avec beaucoup de gr^ace, elle recevait les hommages de ses h^otes.
Et `a en juger par l’attitude des convives on ne se serait certainement pas cru l’invit'e d’une personne chez qui se nouaient les plus faciles intrigues, les amours les moins durables, mais plut^ot dans un salon du faubourg Saint-Germain.
Toutefois, ces attitudes ne devaient pas tarder `a changer : d`es le commencement du d^iner, et sit^ot l’absorption des premiers vins, les langues se d'eli`erent.
Les intimit'es s’affirm`erent et du langage ch^ati'e que l’on observait jusqu’alors on en vint rapidement aux propos les plus libres.
Louppe avait d'echa^in'e une temp^ete de rires en allant plonger d'elib'er'ement sa main d'elicate et menue dans le saladier et en se servant de la sorte avec la fourchette du p`ere Adam…
Conchita Conchas avait suivi le mouvement, elle ne se g^enait pas pour boire dans le verre de l’aust`ere M. H'eberlauf, auquel le champagne montait `a la t^ete et qui s’'evertuait `a pincer les genoux de sa voisine sans souci du qu’en-dira-t-on,
Daisy Kissmi, `a qui on avait apport'e une bouteille de whisky, 'etait d'ej`a un peu grise et appuyant volontiers sa jolie t^ete blonde sur l’'epaule de son voisin, le signor Isolino, elle ne craignait pas de lui dire, dans son pittoresque jargon anglo-francais, que jamais elle n’avait connu ni aim'e un homme aussi distingu'e que lui.
Juve, trait'e comme un invit'e de marque et qui passait pour un bourgeois cossu, 'etait `a droite de la ma^itresse de maison, laquelle d’ailleurs, apr`es lui avoir fait mille amabilit'es, l’engageait, d`es les hors-d’oeuvre, `a lui pr'eciser son nom par 'ecrit afin qu’elle puisse s’en souvenir et le recevoir en t^ete `a t^ete quand il lui plairait de venir.
Juve, toutefois, s’il avait eu des vues sur Isabelle de Guerray, aurait 'et'e concurrenc'e dans ses entreprises par le voisin de gauche de la ma^itresse de maison.
Celui-ci n’'etait autre qu’un certain caissier du casino, M. Louis Meynan, petit homme sec et terre `a terre qui appr'eciait la bonne ch`ere et le bon vin.
`A la fin du d^iner, `a part Juve, tous les convives 'etaient gris.
Lorsqu’on se leva de table, ce fut un titubement g'en'eral. La salle `a manger donnait l’impression d’un salon de paquebot qui serait agit'e par un tangage violent. Au cours du repas Juve avait constat'e :
1° Le flirt tr`es s'erieux et « pour le bon motif » de sa voisine et du caissier ; 2° la r'eunion prochaine dans une intimit'e tr`es amoureuse de deux personnages fort diff'erents l’un de l’autre, Conchita Conchas et l’aust`ere H'eberlauf ; 3° les attitudes du signor Mario Isolino, personnage qui lui paraissait de plus en plus r'epugnant et suspect.