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Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)
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— Dans ma jeunesse ? Mais je ne suis pas un g^ateux. Je n’ai pas cinquante ans. Et pour ce qui est de faire des fredaines, je suis bien capable d’en remontrer `a d’autres. Vous savez nous autres, anciens militaires, on est toujours un peu l`a.

Cependant les invit'es s’'etaient empress'es autour de l’oncle Baraban, qui racontait son aventure, `a demi-mot, s’entend :

— Voyez-vous, faisait l’oncle Baraban, ces gens de la police sont bien ennuyeux. Je suis c'elibataire, pas vrai ? Libre de faire ce qu’il me pla^it, pas vrai ? Je m’en vais donc un certain matin de chez moi, sans dire o`u je vais, et, je ne m’occupe pas de ce qui se passe. Et voil`a que la police arrive `a mon domicile, met mon appartement sens dessus dessous et pr'etend, comme ca, sans savoir, que j’ai 'et'e assassin'e.

— On a trouv'e des taches de sang, chez vous.

— Parbleu, j’ai bien le droit de saigner du nez, je pense. C’est ce qui m’est arriv'e. Signe de bonne sant'e, ca. Saigner du nez, trop de force, trop de vigueur, voil`a ce que ca prouve !

Et il se penchait `a l’oreille d’une vieille dame qui paraissait l’'ecouter avec la plus grande attention :

— Vous pensez bien, lui disait-il `a mi-voix, en clignant de l’oeil, que je n’'etais pas tout seul dans ce voyage.

La vieille dame ne l’entendait pas, elle 'etait sourde. Mais les paroles de Baraban ne pass`erent pas inapercues. Les hommes se touch`erent du coude, et les autres femmes, elles, rican`erent, tout en prenant des airs offusqu'es.

— Quel type que ce M. Baraban, murmura-t-on. Ah, ces Parisiens, on a bien raison de dire qu’ils sont d'evergond'es !

L’oncle Baraban, cependant, poursuivait :

— Enfin, un beau jour, je quitte la campagne, un petit trou pas cher o`u j’'etais install'e. Naturellement je ne lisais pas les journaux. J’arrive `a Paris, ma concierge tourne de l’oeil en me voyant appara^itre et s’'ecrie :

« J'esus Maria, voil`a le mort qui ressuscite ! » Je finis par me faire expliquer la situation, et je pense aussit^ot `a mes chers neveux, `a ma gentille petite Alice, `a mon brave Fernand, qui doivent se faire un mauvais sang de tous les diables. Je saute dans le train. J’arrive `a Vernon, juste `a temps pour voir ces pauvres petits, encha^in'es comme des malfaiteurs, et sur le point d’^etre emmen'es dans je ne sais quelle prison. Enfin, tout est bien qui finit bien. Mais c’est 'egal, quand il y a une gaffe `a faire, on peut ^etre s^ur que la police est toujours l`a.

Fernand Ricard cependant, d'ebouchait le champagne.

— `A la sant'e de l’oncle Baraban ! cria-t-il.

Une fois encore, puis une autre, puis une troisi`eme, on but `a la sant'e de Baraban, les t^etes s’'echauffaient, les conversations devenaient plus vives, et, d'esormais, dans toute la maison, c’'etait un vrai brouhaha.

Les amis qui 'etaient venus f'eliciter les Ricard de l’heureuse solution de l’extraordinaire aventure dont ils avaient failli ^etre les victimes, ne s’en allaient plus. Les Ricard, cependant, semblaient avoir h^ate d’^etre seuls, et, d`es qu’ils trouv`erent un instant pour s’'echapper, les deux 'epoux s’accord`erent un t^ete-`a-t^ete au cours duquel ils 'echang`erent de graves propos.

Tout bas, Alice Ricard demandait en tremblant `a son mari :

— Y comprends-tu quelque chose ?

— Non, d'eclarait-il, pas encore. Mais ca viendra s^urement tout `a l’heure. En tout cas, t^ache de te secouer, de n’avoir l’air de rien tant qu’il y aura du monde.

— Oh je voudrais qu’ils restent tous l`a, qu’ils ne s’en aillent pas, murmura-t-elle. J’ai peur de les voir partir. Je suis terrifi'ee `a l’id'ee que nous allons ^etre seuls avec…

— Que veux-tu, dit-il, cela ne peut pas durer 'eternellement. Il va bien falloir qu’on s’explique t^ot ou tard.

L’oncle Baraban, d’ailleurs, qui semblait au mieux avec tous les amis de ses neveux, encore qu’on ne l’e^ut jamais vu jusqu’alors `a Vernon, avait pris la parole et n’h'esitait pas `a d'eclarer, avec cette bonhomie de certaines gens qui peuvent dire les choses les plus insolentes sans qu’il soit possible de leur en vouloir :

— Vous ^etes tous bien gentils, et je vous aime de tout mon coeur mais, soit dit sans vous offenser, je serais bien content de me reposer et de finir ma soir'ee en t^ete `a t^ete avec mon neveu et ma ni`ece. Vous le savez, malgr'e tout, moi, je suis un homme qui aime la famille. La famille, il n’y a que cela de vrai au monde. On se retrouvera une autre fois, demain peut-^etre. J’irai vers onze heures au caf'e prendre l’ap'eritif.

Les gens avaient compris. Des mains se tendirent vers celles de l’oncle Baraban, qui les 'etreignit avec condescendance et cordialit'e.

Lebrenet s’'etait approch'e de lui, et le retrait'e disait au Parisien :

— Vous ^etes un gaillard vous ! Mais j’en ai connu qui vous valaient. H'e, h'e, `a votre ^age, s’en aller comme ca passer quelques jours `a la campagne, on sait ce que ca veut dire.

Nortier s’approchait `a son tour, et, se penchant `a l’oreille de Baraban, il lui souffla :

— Il y avait du linge avec vous, pas vrai ?

— Comment donc ! dit Baraban. Mais c’est pas la peine de le crier sur les toits, je vous raconterai ca en d'etail demain, lorsque nous serons entre hommes.

La foule s’'ecoula peu `a peu. Baraban s’'etait mis `a la fen^etre, et, `a la mani`ere du h'eros qui rentre dans sa ville natale, apr`es s’^etre couvert de gloire, il saluait de gestes larges et majestueux tous ces nouveaux amis qui, enthousiastes, se retiraient en criant :

— Vive Baraban ! Vive les Ricard ! `A bas la police !

Il ne restait plus dans le salon du premier 'etage que la vieille dame sourde `a laquelle Fernand hurlait dans l’oreille :

— Il faut vous en aller, il n’y a plus personne !

La vieille dame finit par comprendre, enfin, que son devoir 'etait de se retirer, et, lorsqu’elle s’en alla, serrant la main d’Alice, elle lui demanda d’une voix chevrotante :

— Mais enfin, ma ch`ere petite, de quoi s’agit-il ? Que s’est-il pass'e ?

Cependant la nuit 'etait venue, et la petite bonne des Ricard, abasourdie, s’'etait terr'ee dans la cuisine. Alice Ricard finit par l’y d'ecouvrir :

— Eh bien, lui dit-elle, et la lumi`ere ?

La petite bonne, machinalement pr'epara ses lampes, elle les apporta quelques instants apr`es, au premier 'etage.

L’oncle Baraban qui s’'etait tenu `a la fen^etre, pour saluer le d'epart des visiteurs, venait de fermer les persiennes. Il tira les rideaux, et s’assit dans un fauteuil, en face de Fernand Ricard.

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