Том 6. С того берега. Долг прежде всего
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Le temps est pass'e d'attirer l'attention sur la Russie et les Cosaques. La proph'etie de Napol'eon a perdu son sens: peut-^etre est-il possible d'^etre `a la fois r'epublicain et cosaque. Mais il y a une chose 'evidemment impossible, c'est d'^etre r'epublicain et bonapartiste. Honneur aux jeunes Polonais! eux, les offens'es, les d'epouill'es, eux `a qui le gouvernement russe a ravi la patrie et les biens, ce sont eux qui, les premiers, tendaient la main au Peuple russe; ils ont s'epar'e la cause du Peuple de celle de son gouvernement. Si les Polonais ont pu dompter `a notre 'egard leur juste haine, les autres Peuples pourront aussi bien dompter leur panique effroi.
Mais revenons aux 'ecrits sur la Russie. Il n'a paru dans ces derni`eres ann'ees que deux ouvrages importants: le voyage de Custine (1842) et le voyage de Haxthausen (1847) [81] . L'ouvrage de Custine a 'et'e dans toutes les mains, il a eu cinq 'editions; le livre de Haxthausen, au contraire, est tr`es peu connu, parce qu'il s'applique `a un objet sp'ecial. Ces deux 'ecrits sont particuli`erement remarquables, non comme oppos'es entre eux, mais parce qu'ils repr'esentent les deux c^ot'es dont se compose, en effet, la vie russe. Custine et Haxthausen diff`erent dans leurs r'ecits, parce qu'ils parlent de choses diverses. Chacun d'eux embrasse une sph`ere diff'erente; mais il n'y a point entre eux de contradiction. C'est comme si l'un d'ecrivait le climat d'Arkangel, l'autre celui d'Odessa: tous deux restent toujours en Russie.
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II va sans dire que nous ne parlons pas ici des articles publi'es c`a et l`a, dans diff'erents iournaux, sur la Russie. A l'exception des ouvrages que nous venons d'indiquer, nous ne connaissons rien oui offre un tout, un ensemble. Il y a sans doute d'excellentes observations dans le Voyage zoolagique de Blasius, dans les Tableaux de la litt'erature russe de Koenig. On peut relever certains passages dans les froides compilations; de Schnitzler, qui ne sont pas exemptes d'une influence officielle… Mais tout ce qui est myst`eres, secrets, m'emoires de diplomates, etc., n'appartient en rien au domaine d'une litt'erature s'erieuse. – Le livre de Haxthausen a paru en allemand et en francais.
Custine, par sa l'eg`eret'e d'esprit, est tomb'e dans de grandes m'eprises; par sa pr'edilection pour les phrases, il s'est laiss'e entra^iner `a d''enormes exag'erations d''eloge ou de bl^ame, mais il est d'ailleurs un bon et fid`ele observateur. Il s'abandonne tout d'abord `a la premi`ere impression et ne rectifie jamais un jugement une fois port'e. De l`a vient que son livre fourmille de contradictions; mais ces contradictions m^emes, loin de cacher la v'erit'e au lecteur attentif, la lui montrent sous plusieurs c^ot'es. L'egitimiste et j'esuite, il vint en Russie avec la plus grande v'en'eration pour les institutions monarchiques, il la quitta, en maudissant l'autocratie aussi bien que l'atmosph`ere empest'ee qui l'entoure.
Le voyage, comme on voit, profita `a Custine.
A son arriv'ee en Russie, il ne vaut pas mieux lui-m^eme que tous les courtisans, auxquels il lance les traits de sa satire. A. moins peut-^etre qu'on ne lui fasse un titre d'estime de ce qu'il accepta volontairement le r^ole que ceux-ci remplissaient comme un devoir?
Je ne crois pas qu'aucun courtisan ait mis autant d'affectation `a relever chaque parole, chaque geste de l'imp'eratrice; `a parler du cabinet et de la toilette de l'imp'eratrice, de l'esprit et de l'amabilit'e de l'imp'eratrice; aucun n'a si souvent r'ep'et'e `a l'empereur qu'il 'etait plus grand que son Peuple (Custine alors ne connaissait le Peuple russe que par les cochers de fiacre de P'etersbourg); plus grand que Pierre Ier, que l'Europe ne lui rendait pas justice; qu'il 'etait un grand po`ete et que ses po'esies l'attendrissaient jusqu'aux larmes.
Une fois dans la sph`ere de la cour, Custine ne la quitte pas; il ne sort pas des antichambres et s''etonne de n'y trouver que des valets; c'est aux gens de cour qu'il s'adresse pour en tirer des informations. Ceux-ci savent qu'il est 'ecrivain, ils craignent son bavardage et le trompent. Custine est indign'e; il s'irrite et met le tout sur le compte du Peuple russe. Il va `a Moscou, il va `a Nijni-Novgorod; mais partout il est `a P'etersbourg; partout l'atmosph`ere de P'etersbourg l'environne et donne aux objets qui passent sous ses yeux une teinte uniforme.
Aux relais seulement, il jette de rapides coups d'oeil sur la vie du Peuple; il fait d'excellentes remarques, il proph'etise `a ce Peuple un avenir colossal, il ne peut assez admirer la beaut'e et l'agilit'e du paysan, il dit qu'il se sent beaucoup plus libre `a Moscou, que l'air y est moins lourd et que les hommes y vivent plus contents.
Il dit, – et poursuivant sa marche sans se mettre en peine le moins du monde d'accorder ces observations avec celles qui ont pr'ec'ed'e, sans s''etonner de rencontrer chez un seul et m^eme Peuple des qualit'es tout-`a-fait oppos'ees, – il ajoute:
Gustine n'a pas seulement n'eglig'e la mani`ere de vivre du Peuple russe (dont il se tint toujours 'eloign'e), mais il ne savait rien non plus du monde litt'eraire et savant, bien plus rapproch'e de lui; il connaissait le mouvement intellectuel de la Russie tout aussi peu que ses amis de cour, qui ne se doutaient pas m^eme, qu'il y e^ut des livres russes et quelqu'un pour les lire; c'est seulement par hasard et `a l'occasion d'un duel qu'il a entendu parler de Pouchkin.
«Po`ete sans initiative», dit de lui le brave marquis, et oubliant que ce n'est pas des Francais qu'il parle, il ajoute: «Les Russes sont g'en'eralement incapables de comprendre nettement quelque chose de profond et de philosophique». Peut-on apr`es cela s''etonner que Custine termine son livre pr'ecis'ement, comme il l'a commenc'e, en disant que la cour est tout en Russie?
Franchement, il a raison, par rapport `a ce monde qu'il avait choisi pour centre de son action, et qu'il nomme lui-m^eme si excellement le monde des facades. Sans doute, c'est sa faute s'il n'a voulu rien voir derri`ere ces facades, et l'on aurait quelque droit de lui en faire reproche, car il r'ep`ete cent fois dans son livre que l'avenir de la Russie est grand; que plus il apprend `a conna^itre ce pays, plus il tremble pour l'Europe; qu'il voit en lui une puissance grandissant dans sa force, qui s'avance en ennemi contre cette partie du monde qui s'affaiblit chaque jour davantage.
Nous serions donc autoris'es, en raison m^eme de ces pr'esages, `a exiger de lui une 'etude un peu plus approfondie de ce Peuple; n'eanmoins nous devons avouer que s'il a n'eglig'e les deux tiers de la vie russe, il en a compris tr`es bien le dernier tiers et l'а d'epeint de main de ma^itre en beaucoup d'endroits. Quoiqu'en dise l'autocratie de la cour de P'etersbourg, encore faut-il qu'elle accorde que le portrait est frappant dans ses traits principaux.
Custine sentait lui-m^eme qu'il n'avait 'etudi'e que la Russie gouvernementale, la Russie de P'etersbourg. Il prend comme 'epigraphe le passage de la Bible: «Tel <qu'est> le prince de la ville, tels sont aussi les citoyens». Mais ces paroles ne conviennent pas `a la Russie dans sa p'eriode actuelle. Le proph`ete pouvait le dire des Juifs de son temps, comme aujourd'hui chacun peut le dire de l'Angleterre. La Russie ne s'est pas encore form'ee. La p'eriode de P'etersbourg fut une r'evolution n'ecessaire en son temps, mais dont la n'ecessit'e est d'ej`a moindre aujourd'hui.
Rien ne saurait ^etre plus oppos'e au brillant et l'eger marquis de Custine, que le flegmatique agronome westphalien, baron de Haxthausen, conservateur, 'erudit de vieille souche et l'observateur le plus bienveillant du monde. Haxthausen vint en Russie dans un but qui n'y avait amen'e encore personne avant lui. Il voulait 'etudier `a fond les moeurs des paysans russes. Apr`es s'^etre occup'e longtemps d''economie rurale en Allemagne, il rencontra par hasard quelques d'ebris des institutions de la commune rurale chez les Slaves; il s'en 'emerveilla d'autant plus, qu'il les trouva enti`erement oppos'ees `a toutes les autres institutions du m^eme genre.