Том 7. О развитии революционных идей в России
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Un homme libre qui refuse de se courber devant la force n'aura bient^ot d'autre refuge en Europe que le pont d'un vaisseau faisant voile pour l'Am'erique.
Ne devons-nous pas nous poignarder `a la mani`ere de Caton parce que notre Rome succombe et que nous ne voyons rien, ou ne voulons rien voir hors de Rome?..
On sait pourtant ce que fit le penseur romain qui sentait profond'ement toute l'amertume de son temps; accabl'e de tristesse et de d'esespoir, comprenant que le monde auquel il appartenait allait crouler – il jeta ses regards au-del`a de l'horizon national et 'ecrivit un livre: De moribus Germanorum. Il eut raison, car l'avenir appartenait `a ces peuplades barbares.
Nous ne proph'etisons rien, mais nous ne croyons pas non. plus que les destins de l'humanit'e soient clou'es `a l'Europe occidentale. Si l'Europe ne parvient pas `a se relever parune transformation sociale, d'autres contr'ees se transformeront; il y en a qui sont d'ej`a pr^etes pour ce mouvement, d'autres s'y pr'eparent. L'une est connue, les Etats de l'Am'erique du Nord; l'autre est pleine de vigueur, mais aussi pleine de sauvagerie, on la conna^it peu ou mal.
L'Europe enti`ere, sur tous les tons, dans les parlements et dans les clubs, dans les rues et dans les journaux a r'ep'et'e le cri du Krakehler berlinois
Et chaque fois qu'elle reprochera aux Russes d'^etre esclaves, les Russes auront le droit de demander: «Et vous, ^etes-vous libres?» A dire vrai, le XVIIIe si`ecle accordait `a la Russie une attention plus profonde et plus s'erieuse que ne le fait le XIXe, peut-^etre parce qu'il la redoutait moins.
Les hommes comme Muller, Schlosser, Ewers, L'evesque, consacr`erent une partie de leur vie `a l''etude de l'histoire de la Russie, d'une mani`ere tout aussi scientifique que s'en occup`erent, sous le rapport physique, Pallas et Gmelin. De leur c^ot'e, des philosophes et des publicistes observaient avec curiosit'e le ph'enom`ene d'un gouvernement despotique et r'evolutionnaire `a la fois. Ils voyaient que le tr^one, fond'e par Pierre Ier, avait peu d'analogie avec les tr^ones f'eodaux et traditionnels de l'Europe. Les deux partages de la Pologne furent la premi`ere infamie qui souilla la Russie. L'Europe ne comprit pas toute la port'ee de cet 'ev'enement; car elle 'etait alors distraite par d'autres soins. Elle assistait, respirant `a peine, aux grands 'ev'enements par lesquels s'annoncait d'ej`a la R'evolution franchise. L'imp'eratrice de Russie tendit naturellement sa main toute d'ego^utante de sang polonais `a la r'eaction. Elle lui offrit l''ep'ee de Souvoroff, de ce boucher f'eroce de Prague. La campagne que Paul fit en Suisse et en Italie n'eut absolument aucun sens, elle ne pouvait que soulever l'opinion publique contre la Russie.
L'extravagante 'epoque de ces guerres absurdes, que les Francais nomment encore aujourd'hui la p'eriode de leur gloire, finit avec leur invasion en Russie; ce fut une aberration de g'enie, comme la campagne d'Egypte. Il plut `a Bonaparte de se montrer `a l'univers, debout sur un monceau de cadavres. A l'ostentation des Pyramides, il voulut ajouter celle de Moscou et du Kremlin. Cette fois il ne r'eussit pas; il souleva contre lui tout un peuple qui saisit r'esolument les armes, traversa l'Europe derri`ere lui, et prit Paris.
Le sort de cette partie du monde fut, pendant quelques mois, entre les mains de l'empereur Alexandre, mais il ne sut profiter ni de sa victoire, ni de sa position; il placa la Russie sous le m^eme drapeau que l'Autriche, comme si entre cet empire pourri et mourant et le jeune Etat qui venait d'appara^itre dans sa splendeur, il y e^ut quelque chose de commun, comme si le repr'esentant le plus 'energique du monde slave p^ut avoir les m^emes int'er^ets que l'oppresseur le plus ardent des Slaves.
Par cette monstrueuse alliance avec la r'eaction europ'eenne, la Russie, `a peine grandie par ses victoires, fut abaiss'ee aux yeux de tous les hommes pensants. Ils secou`erent tristement la t^ete en voyant cette contr'ee qui venait, pour la premi`ere fois, de prouver sa force, offrir aussit^ot apr`es sa main et son aide `a tout ce qui 'etait r'etrograde et conservateur, et cela, contrairement m^eme `a ses propres int'er^ets.
Il ne manquait que la lutte atroce de la Pologne pour soulever d'ecid'ement toutes les nations contre la Russie. Lorsque les nobles et malheureux restes de la R'evolution polonaise, errant par toute l'Europe, y r'epandirent la nouvelle des horribles cruaut'es des vainqueurs, il s''eleva de toutes parts, dans toutes les langues europ'eennes, un 'eclatant anath`eme contre la Russie. La col`ere des Peuples 'etait juste…
Rougissant de notre faiblesse et de notre impuissance, nous comprenions ce que notre gouvernement venait d'accomplir par nos mains, et nos coeurs saignaient de douleur, et nos yeux s'emplissaient de larmes am`eres.
Chaque fois que nous rencontrions un Polonais, nous n'avions pas le courage de lever sur lui nos regards. Et cependant je ne sais s'il est juste d'accuser tout un peuple et de le rendre seul responsable de ce qu'a fait son gouvernement.
L'Autriche et la Prusse n'y ont-elles pas aid'e? La France, dont la fausse amiti'e a caus'e `a la Pologne autant de mal que la haine d'eclar'ee d'autres peuples, n'a-t-elle donc pas, dans le m^eme temps, par tous les moyens, mendi'e la faveur de la cour de P'etersbourg; l'Allemagne, alors d'ej`a, n''etait-elle pas volontairement, `a l''egard de la Russie, dans la situation o`u se trouvent aujourd'hui forc'ement la Moldavie et la Valachie; n''etait-elle pas alors comme maintenant gouvern'ee par les charg'es d'affaires de la Russie et par ce proconsul du tzar qui porte le titre de roi de Prusse?
L'Angleterre seule se maintint noblement sur le pied d'une amicale ind'ependance; mais l'Angleterre ne fit rien non plus pour les Polonais; elle songeait peut-^etre `a ses propres torts envers l'Irlande. Le gouvernement russe n'en m'erite pas moins de haine et de reproches; je pr'etends seulement faire aussi retomber cette haine sur tous les autres gouvernements, car on ne doit pas les s'eparer l'un de l'autre; ce ne sont que les variations d'un m^eme th`eme.
Les derniers 'ev'enements nous ont beaucoup appris; l'ordre r'etabli en Pologne et la prise de Varsovie sont rel'egu'es `a l'ar-ri`ere-plan, depuis que l'ordre r`egne `a Paris et que Rome est prise; depuis qu'un prince prussien pr'eside aux fusillades, et que la vieille Autriche, dans le sang jusqu'aux genoux, essaie d'y rajeunir ses membres paralys'es.
C'est une honte en l'an 1849, apr`es avoir perdu tout ce qu'on avait esp'er'e, tout ce qu'on avait acquis, `a c^ot'e des cadavres de ceux que l'on a fusill'es, 'etrangl'es, `a c^ot'e de ceux qu'on a jet'es dans les fers,d'eport'es sans jugement; `a l'aspect de ces malheureux chass'es de contr'ee en contr'ee, `a qui on donne l'hospitalit'e, comme aux Juifs du moyen ^age, `a qui l'on jette, comme aux chiens, un morceau de pain, pour les obliger de continuer leur – chemin – en l'an 1849, c'est une honte de ne reconna^itre le tzarisme que sous le 59 degr'e de latitude bor'eale. Injuriez tant qu'il vous plaira et accablez de reproches l'absolutisme do P'etersbourg et la triste pers'ev'erance de notre r'esignation; mais injuriez le despotisme partout et reconnaissez-le sous quelque forme qu'il se r'esente. L'illusion optique, au moyen de laquelle on donnait `a l'esclavage l'aspect de la libert'e s'est 'evanouie.
Encore une fois: s'il est horrible de vivre en Russie, il est tout aussi horrible de vivre en Europe. Pourquoi ai-je donc quitt'e la Russie? Pour r'epondre `a cette question, je traduirai quelques paroles de ma lettre d'adieux `a mes amis:
Ne vous y trompez pas! Je n'ai trouv'e ici ni joie, ni distractions, ni repos, ni s'ecurit'e personnelle; je ne puis m^eme imaginer que personne aujourd'hui puisse trouver en Europe ni repos ni joie.
Je ne crois ici `a rien qu'au mouvement; je ne plains rien que les victimes; je n'aime rien que ce que l'on pers'ecute; et je n'estime rien que ce que l'on supplicie, et cependant je reste. Je reste pour souffrir doublement de notre douleur et de celle que je trouve ici, peut-^etre pour succomber dans la dissolution g'en'erale. Je reste, parce qu'ici la lutte est ouverte, parce qu'ici elle a une voix.