Том 7. О развитии революционных идей в России
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L'acquisition de la Russie fut une immense victoire pour l'empire expirant `a Byzance et pour l''eglise humili'ee par sa rivale. Le clerg'e de Constantinople, avec cette astuce qui le caract'erise, le comprit fort bien; il entourait ses princes de moines et d'esignait les chefs de la hi'erarchie cl'ericale. L'h'eritier, le d'efenseur, le vengeur de tout ce que l''eglise grecque avait souffert ou avait `a souffrir fut trouv'e, non en Anatolie, non en Antioche, mais dans un peuple qui touchait d'un c^ot'e `a la Mer Noire et d'un autre `a la Mer Blanche.
L'orthodoxie grecque forma un lien ins'eparable entre la Russie et Constantinople; elle affermit l'attraction naturelle des Slavo-Russes vers cette ville, et pr'epara par sa conqu^ete regieuse la conqu^ete future de la m'etropole orientale par le seul geuple puissant qui profess^at l'orthodoxie grecque.
L''eglise se jeta aux pieds des princes russes, lorsque Mahomet II entra en vainqueur `a Constantinople, et, depuis ce temps, le clerg'e ne cessa de leur montrer du doigt le croissant sur l''eglise de Sainte-Sophie. M. Fallmerayer raconte dans ses Fragments de l'Orient, comme le clerg'e grec, 'etait 'electris'e, lorsqu'on entendait la canonnade de Pask'evitch `a Tr'ebisonde, et comme les moines d'Haygyon-Horos et d'Athos attendaient leur lib'erateur orthodoxe. La domination turque aura 'et'e beaucoup plus favorable que contraire au d'eno^ument que nous pr'evoyons. L'Europe catholique n'aurait pas laiss'e le Bas-Empire en repos pendant les quatre derniers si`ecles. Une fois d'ej`a les Latins avaient r'egn'e sur l'empire d'Orient. On aurait probablement rel'egu'e les empereurs dans qeulque coin de l'Asie Mineure et converti la Gr`ece au catholicisme. La Russie d'alors n'aurait pu rien faire contre les empi'etements des Occidentaux; les Turcs ont donc sauv'e, par leur conqu^ete, Constantinople de la domination papale. Le joug des Osmanlis a 'et'e dur, impitoyable, sanguinaire au commencement; mais lorsqu'ils n'eurent plus rien `a craindre, ils laiss`erent les peuples conquis jouir en repos de leur religion, de leurs moeurs, et c'est ainsi que s''ecoul`erent les quatre derniers si`ecles. La Russie devint virile depuis ce temps, l'Europe vieillit, et la Sublime-Porte elle-m^eme a d'ej`a subi l''emancipation de la Mor'ee et un sultan r'eformateur.
A l'influence byzantine se joignit bient^ot une influence encore plus 'etrang`ere `a l'esprit occidental, l'influence mongole. Les Tartares pass`erent sur la Russie comme une nu'ee de sauterelles, comme un ouragan d'emolissant tout ce qu'il rencontrait sur son chemin. Ils saccageaient les villes, br^ulaient les villages, s entre-pillaient les uns les autres, et, apr`es toutes ces horreurs, ils disparaissaient derri`ere les bords de la Mer Caspienne, en envoyant de temps `a autre des hordes f'eroces pour rappeler leur domination `a la m'emoire des peuples conquis. Quant `a l’organisation int'erieure de l'Etat, `a son administration et `a son gouvernement, ces conqu'erants nomades n'y touchaient pas. Non seulement ils laissaient une pleine libert'e `a l'exercice de la religion grecque, mais ils bornaient leur domination sur les princes russes `a exiger d'eux de venir chercher leur investiture chez les khans, de reconna^itre leur souverainet'e, et de payer l'imp^ot prescrit. Le joug mongol n'eanmoins porta un coup terrible au pays: le fait mat'eriel des d'evastations renouvel'ees `a plusieurs reprises avait ext'enu'e le peuple, il fl'echit sous une mis`ere accablante. Il d'esertait les villages, errait dans les bois, il n'y avait plus de s'ecurit'e pour les habitants; les charges s'accrurent de l'imp^ot que venaient percevoir, au moindre retard, des Baskaks avec des pleins pouvoirs et des milliers de Tartares et de Kalmouks. C'est `a partir de ces temps n'efastes, qui dur`erent pr`es de deux si`ecles, que la Russie se laissa devancer par l'Europe. Le peuple pers'ecut'e, ruin'e, toujours intimid'e, acquit l'astuce et la servilit'e des opprim'es; l'esprit public s'avilit. L'unit'e m^eme de l'Etat 'etait pr^ete `a se rompre, de grandes crevasses se faissaient de tous c^ot'es: le sud de la Russie commencait de plus en plus `a se d'etacher de la Russie centrale, une partie penchait vers la Pologne, une autre 'etait sous la domination des Lithuaniens. Les grands princes de Moscou ne s'inqui`etent plus de Kiev. L'Ukraine se couvre de Cosaques ind'ependants, de ces hordes arm'ees formant des r'epubliques militaires, se recrutant de d'eserteurs et d'emigrants de toutes les parties de la Russie, qui ne reconnaissaient aucune souverainet'e. Novgorod et Pskov, prot'eg'es des Mongols par les distances et les marais, cherchaient `a se rendre ind'ependants de la Russie centrale ou `a la dominer. Au centre de l'Etat, dans la partie la plus d'evast'ee, on voyait une nouvelle ville, sans autorit'e, sans nom populaire, lever la t^ete avec la pr'etention orgueilleuse au titre de la capitale de la Russie. Il semblait que cette ville, perdue au fond des bois de sapin, n'avait aucun avenir, mais ce fut l`a justement que se noua le noeud central de la vie russe.
Le pouvoir des grands princes changea de caract`ere d`es qu'ils eurent quitt'e Kiev. A Vladimir, ils devinrent plus absolus. Les princes commenc`erent `a consid'erer leur apanage comme leur propri'et'e, ils se crurent inamovibles, h'er'editaires. A Moscou, les princes chang`erent l'ordre de la succession, ce ne fut plus le fr`ere a^in'e, mais le fils a^in'e qui succ'eda. Ils diminu`erent de plus en plus les apanages des autres membres de la famille. L''el'ement populaire ne pouvait ^etre fort dans une ville jeune, sans traditions, sans coutumes. C'est l`a ce qui attachait le plus les princes `a Moscou. L’d'ee d'une r'eunion de toutes les parties de l'Etat fut la pens'ee dirigeante de tous les princes de Moscou, depuis Ivan Kalita, type du souverain de cette 'epoque, politique, fourbe, astucieux, adroit, cherchan t `a s'assurer la protection des Mongols par la plus grande soumission, et en m^eme temps s'emparant de tout et profitant de tout ce qui pouvait accro^itre sa puissance. Moscou progressait avec une c'el'erit'e inou"ie. Aux pers'ev'erances de ses princes se joignit sa position g'eographique. Moscou fut le v'eritable centre de la Grande-Russie, ayant en son pouvoir, `a de petites distances de cent cinquante `a deux cents kilom`etres, les villes de Tver, Vladimir, Iaroslaf, Riazan, Kalouga, Orel, et dans une p'eriph'erie un peu plus 'etendue, Novgorod, Kostroma, Voron`eje, Koursk, Smolensk, Pskov et Kiev.
La n'ecessit'e d'une centralisation 'etait 'evidente; sans elle on ne pouvait ni secouer le joug mongol, ni sauver l'unit'e de l'Etat. Nous ne croyons pas cependant que l'absolutisme moscovite ait 'et'e le seul moyen de salut pour la Russie.
Nous n'ignorons pas quelle place pitoyable occupent les hypoth`eses dans l'histoire, mais nous ne voyons pas de motif pour rejeter sans examen toutes les probabilit'es en se renfermant dans les faits accomplis. Nous n'admettons nullement ce fatalisme qui voit une n'ecessit'e absolue dans les 'ev'enements, id'ee abstraite, th'eorique, que la philosophie sp'eculative a import'ee dans l'histoire comme dans la nature. Ce qui a 'et'e, a certainement eu des raisons d'^etre, mais cela ne veut nullement dire que toutes les autres combinaisons aient 'et'e impossibles; elles le sont devenues-par la r'ealisation de la chance la plus probable, c'est l`a tout ce qu'on peut admettre. L'histoire est beaucoup moins fixe qu'on ne le pense ordinairement.
Au XVe, m^eme au commencement du XVIe si`ecle, il y avait encore dans la marche des 'ev'enements en Russie une fluctuation telle qu'il n''etait point d'ecid'e lequel des deux principes formant la vie populaire et politique aurait le dessus: le prince ou la commune, Moscou ou Novgorod. Novgorod, libre du joug mongol, grande et forte, mettant toujours les droits des communes au-dessus des droits des princes, cit'e habitu'ee `a se croire souveraine, m'etropole ayant de vastes ramifications coloniales en Russie, Novgorod 'etait riche par le commerce actif qu'elle entretenait avec les villes ans'eatiques. Moscou, fid`ele fief de ses princes, s''elevant sur les ruines des anciennes villes par la gr^ace des Mongols, ayant une nationalit'e exclusive, n'ayant jamais connu la v'eritable libert'e communale de la p'eriode de Kiev, Moscou l'emporta; mais Novgorod aussi a eu des chances pour elle, ce qui explique la lutte acharn'ee entre ces deux villes et les cruaut'es exerc'ees `a Novgorod par Jean le Terrible. La Russie pouvait ^etre sauv'ee par le d'eveloppement des institutions communales ou par l'absolutisme d'un seul. Les 'ev'enements prononc`erent en faveur de l'absolutisme, la Russie fut sauv'ee; elle est devenue forte, grande; mais `a quel prix? C'est le pays le plus malheureux du globe, le plus asservi; Moscou a sauv'e la Russie, en 'etouffant tout ce qu'il y avait de libre dans la vie russe.
Les grands princes de Moscou 'echang`erent leur titre contre celui de Tzars de toutes les Russies. L'humble titre de grand prince ne leur suffit plus, il leur rappelait trop l''epoque de Kiev et les v'etch'es. Vers le m^eme temps, le dernier empereur de By-zance tomba perc'e de coups, sous les murs de Constantinople. Ivan III 'epousa Sophie Pal'eologue; l'aigle `a deux t^etes, chass'e de Constantinople, apparut sur le pavillon des tzars moscovites. Les moines grecs proph'etisaient dans tout l'Orient chr'etien que la vengeance n''etait pas loin et qu'elle viendrait du Nord: le clerg'e byzantin craignait comme le plus grand malheur, de voir les Latins venir `a leur secours, et n'avait d'espoir qu'en l'aide des tzars. Ce fut alors qu'il commenca avec une nouvelle ardeur, `a byzantiniser le gouvernement. Le clerg'e devait n'ecessairement d'esirer organiser la Russie selon la mani`ere des Comn`ene et des Pal'eologue, d'en faire un empire muet, ob'eissant `a une foi aveugle, d'enu'e de lumi`eres, et au-dessus duquel planerait un tzar divinis'e, mais brid'e par la puissance cl'ericale.
Remis peu `a peu des ravages des Mongols, le peuple russe se trouva face `a face avec le tzar, avec une monarchie illimit'ee, devenue accablante par le poids qu'elle avait acquis `a l'ombre du khanat. Le tzar avait d'ej`a r'euni une grande partie des apanages et les avait incorpor'es au domaine de Moscou. Il 'etait devenu beaucoup plus puissant que les autres princes r'eunis et le peuple des villes. S'il trouvait des rebelles, il les soumettait, princes ou villes avec une f'erocit'e sanguinaire. Novgorod tint bon, mais elle finit par succomber; la grande cloche qui appelait le peuple sur la place publique, la cloche dite des v'etch'es fut transport'ee comme un troph'ee `a Moscou, cette ville qui nagu`ere encore avait et'e m'epris'ee des Novgorodiens. Les ambassadeurs de Novgorod dirent `a Ivan III:
Le byzantinisme inocul'e par le clerg'e au pouvoir restait pourtant plus `a la surface qu'il ne d'epravait le fond de la nation. Il n''etait en rapport ni avec le caract`ere national, ni m^eme avec le gouvernement.Le byzantinisme, c'est la vieillesse, la fatigue, la r'esignation de l'agonie; le peuple russe 'etait ruin'e, abaiss'e, il n'avait pas assez d''energie pour se relever, mais il 'etait jeune, et, en r'ealit'e, il n'y avait pas en lui de d'esespoir, il avait plut^ot d'esert'e le champ de bataille qu'il n'avait 'et'e vaincu; perdant ses droits dans les villes, il les conservait au sein des communes rurales. Comment pouvait-il donc descendre vivant au cercueil, comme l'a fait Charles V, et se borner aux fun'erailles pompeuses et solennelles d'apr`es le rite byzantin!
Ceci est tellement vrai, que chaque individualit'e 'energique qui occupa le tr^one de Moscou, s'efforca de rompre le cercle 'etroit de formalisme dans lequel se trouvait plac'e son pouvoir. Ivan IV, Boris Godounoff, le pseudo-D'em'etrius travaill`erent, avant Pierre Ier, `a changer l'atmosph`ere soporifique et lourde du palais de Kremlin; ils suffoquaient eux-m^emes. Ils voyaient que, sous ce regime de formalit'es pu'eriles et d'esclavage r'eel, le pays se d'emoralisait de plus en plus, que rien ne progressait,que l'administration provinciale devenait toujours plus on'ereuse pour les sujets, sans aucun profit pour l'Etat. Ils voyaient que les pri`eres du patriarche de Moscou et les images miraculeuses venant du mont Athos ne suffisaient pas pour les tirer de cet 'etat de torpeur pr'ecoce.