Том 7. О развитии революционных идей в России
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Chaque seigneur r'ep'eta en petit le r^ole du grand prince de Moscou, et, de m^eme que les villes avaient perdu leurs libert'es parce qu'elles restaient dans le vague des usages, la commune dans sa lutte avec le seigneur eut le dessous contre le principe de l'autorit'e et de l'individualisme, plus 'energique et plus 'ego"iste qu'elle. Le tzarisme, bas'e lui-m^eme sur un pouvoir illimit'e, devait n'ecessairement prot'eger les attentats des seigneurs, en an'eantissant les d'efenseurs naturels des paysans, les jur'es, en soutenant le seigneur dans toutes ses contestations avec le paysan.Cependant la loi ne pr'ecisait et ne sanctionnait rien, il n'y avait qu'abus de la part du gouvernement et passivit'e de la part du peuple.
Ce fut dans cet 'etat de choses que le premier recensement ordonn'e par Pierre Ier, en 1710, fournit un terrain l'egal `a ces abus monstrueux, et ce fut lui, le civilisateur de la Russie, qui les sanctionna. Il serait difficile de d'eterminer les raisons qui le firent agir de la sorte. Fut-ce une faute, une rancune ou bien un fait providentiel? Ainsi que Pierre Ier fut le repr'esentant du tzarisme et de la r'evolution, de m^eme le seigneur devint le repr'esentant d'un pouvoir inique en m^eme temps que le v'eritable levain r'evolutionnaire. Pierre Ier a entra^in'e l'Etat dans le mouvement, et le seigneur entra^inera directement ou indirectement la commune indolente et passive dans la r'evolution. Ce ferment sera dissous, sans nul doute, mais ce ne sera qu'apr`es avoir consomm'e la perte de l'absolutisme. La commune, ce produit du sol, assoupit l'homme, absorbe son ind'ependance, elle ne peut ni s'abriter du despotisme, ni 'emanciper ses membres; pour se conserver, elle doit subir une r'evolution.
Toutes les libert'es communales p'erissaient de fait devant l'individualit'e prononc'ee des tzars de Moscou, mais par bonheur, la lignee des tzars aboutit `a Pierre, qui fut le v'eritable repr'esentant du principe r'evolutionnaire latent dans le peuple russe. Pierre I ainsi que l'a dit un jeune historien, fut la premi`ere individualite russe qui os^at se poser d'une mani`ere ind'ependante. Un r^ole semblable revient `a la noblesse russe: elle repr'esente le principe individuel en regard de la commune, et partant, l’opposition `a l'absolutisme.
Elle ne brisera pas la commune, elle l'opprimera jusqu a ce qu’elle se soul`eve. La commune qui s'est maintenue `a travers des si`ecles est indestructible. Pierre Ier, en d'etachant compl`etement la noblesse du peuple et en la dotant d'un pouvoir terrible `a l''egard des paysans, d'eposa au fond de la vie populaire un antagonisme qui ne s'y trouvait point, ou qui ne s'y trouvait au'`a un faible degr'e. Cet antagonisme aboutira `a une revolution sociale, et il n'y a pas de Dieu au Palais d'hiver qui puisse d'etourner cette coupe de la destin'ee de la Russie.
III
Pierre ier
Le d'esir de sortir de la situation lourde dans laquelle se trouvait l'Etat s'accroissait de plus en plus, lorsque, vers la fin du XVIIe si`ecle, il parut sur le tr^one des tzars un r'evolutionnaire audacieux dou'e d'un g'enie vaste et d'une volont'e inflexible.
Pierre Ier ne fut ni un tzar oriental ni un dynaste, ce fut un despote, `a l'instar du Comit'e de Salut public, despote en son propre nom et au nom d'une grande id'ee, qui lui assurait une sup'eriorit'e incontestable sur tout ce qui l'entourait. Il s'arracha au myst`ere dont s'entourait la personne du tzar, et jeta avec d'ego^ut loin de lui la d'efroque byzantine dont se paraient ses pr'ed'ecesseurs. Pierre Ier ne pouvait se contenter du triste r^ole d'un Dala"i-Lama chr'etien, orn'e d''etoffes dor'ees et de pierres pr'ecieuses, qu'on montrait de loin au peuple, lorsqu'il se transportait avec gravit'e de son palais `a la cath'edrale de l'Assomption, et de la cath'edrale de l'Assomption `a son palais. Pierre Ier para^it devant son peuple en simple mortel. On le voit, ouvrier infatigable, depuis le matin jusqu'`a la nuit, en simple redingote militaire, donner des ordres et enseigner la mani`ere dont il faut les ex'ecuter; il est mar'echal ferrant et menuisier, ing'enieur, architecte et pilote. On le voit partout sans suite, tout au plus avec un aide-de-camp, dominant la foule par sa taille. Pierre le Grand, comme nous l'avons dit, fut le premier individu 'emancip'e en Russie, et, par cela m^eme, r'evolutionnaire couronn'e. Il soupconnait ne pas ^etre le fils du tzar Alexis. Un soir il demanda na"ivement, au souper, au comte Iagoujinski s'il n''eta pas son p`ere? –
Pierre Ier cachait `a peine son indiff'erence ou son m'epris pour l''eglise grecque, qui devait n'ecessairement partager la disgr^ace de l'ancien ordre des choses. Il d'efendit de cr'eer de nouvelles reliques et interdit les miracles. Il remplaca le patriarche par un synode `a la nomination du gouvernement, et il y placa comme procureur de la couronne un officier de cavalerie. Le patriarche n'avait jamais eu des droits souverains et une position enti`erement ind'ependante du tzar, mais il imprimait une certaine unit'e `a l''eglise. Ce fut pour cela que Pierre Ier abattit son tr^one qui, habituellement, 'etait plac'e `a c^ot'e de celui des tzars. Pourtant Pierre Ier ne fut rien moins que le chef de l''eglise, son pouvoir 'etait tout `a fait temporel. Ce fut m^eme l`a le caract`ere distinctif qu'il imprima `a l'imp'erialisme de P'etersbourg; son but, ses moyens 'etaient pratiques, mondains, la"iques, il ne sortait pas de l'actualit'e, et, apr`es avoir neutralis'e l'action de l''eglise, il ne songea Plus ni `a l''eglise ni `a la religion. Il avait d'autres fantaisies, il r^evait une Russie colossale, un Etat gigantesque qui p^ut 'etendre ses branches jusqu'au fond de l'Asie, ^etre ma^itre de Constantinople et du sort de l'Europe.
En g'en'eral, l'Europe a une id'ee exag'er'ee de la puissance pirituelle des empereurs russes. Cette erreur a sa source, non ans l'histoire russe, mais dans les chroniques du Bas-Empire.
L’eglise grecque avait toujours eu une soumission passive `a l'Etat et faisait tout ce que le pouvoir voulait, mais le pouvoir, de son c^ot'e, ne se m^elait jamais directement des int'er^ets de la religion ou du clerg'e. L''eglise russe avait sa propre juridiction bas'ee sur le Nomocanon grec. Croit-on qu'il suffisait de se proclamer chef de l''eglise, `a la place de son chef naturel, pour acqu'erir un v'eritable pouvoir religieux? S'il se f^ut agi des tzars de Moscou, d'un Ivan IV par exemple, qui avait en lui quelque chose de Constantin Copronime et de Henri VIII et s'occupait de l'ex'eg`ese quand il n'avait personne `a tuer, cette supposition aurait 'et'e encore admissible, mais les successeurs de Pierre le Grand, au nombre desquels il y eut quatre femmes, dont une seule fut russe, rendent cette opinion insoutenable. L'id'ee de se faire chefs de l''eglise fut loin le leur pens'ee, pendant un si`ecle entier. L'honneur de l'avoir exhum'ee appartient `a Paul Ier. Jaloux peut-^etre de Robespierre, il se fit faire, pour son couronnement, un habit moiti'e de soldat et moiti'e de pr^etre, parla de sa supr'ematie spirituelle et voulut m^eme officier dans la cath'edrale de Kazan; on le d'etourna cependant de ce ridicule. On sait que ce m^eme Paul Ier, schismatique et mari'e, obtint le titre de grand-ma^itre de l'ordre de Malte, et l'on n'ignore gu`ere qu'en tous points ce fut un demi-fou.
Pour rompre compl`etement avec l'ancienne Russie, Pierre Ier abandonna Moscou et le titre oriental de tzar, pour habiter un port de la Baltique o`u il prit le titre d'empereur. La p'eriode de P'etersbourg qui s'ouvrit ainsi ne fut pas la continuation de la monarchie historique, ce fut le commencement d'un despotisme jeune, actif, sans frein, pr^et aux grandes choses comme aux grands crimes.
Il n'y eut qu'une seule pens'ee qui reli^at la p'eriode de P'etersbourg `a celle de Moscou, – la pens'ee d'agrandissement de l'Etat. Tout lui fut sacrifi'e, la dignit'e des souverains, le sang des sujets, la justice envers les voisins, le bien-^etre du pays entier… A part cette ressemblance, Pierre le Grand fut une protestation continuelle contre la vieille Russie. Nous l'avons vu, dans les questions dynastiques et religieuses, agissant en homme 'emancip'e; il se trouvait, par son genre de vie, dans une contradiction plus compl`ete encore avec les moeurs du pays. Ami des plaisirs bruyants, il les 'etalait au grand jour. Que de fois P'etersbourg vit, d`es l'aube du jour, son empereur sortant d'un repas copieux, sous l'influence du vin de Hongrie et de l'anisette, prendre un tambour et battre le rappel, au milieu de ses ministres plus ou moins chancelants sur leurs jambes. D'autres fois, on le voyait courir dans les rues avec des masques, costum'e lui-m^eme. Les vieux boyards, avec leur air grave et solennel, qui couvrait un ab^ime d'ignorance et de vanit'e, regardaient avec horreur les f^etes que le tzar donnait aux marins anglais ou hollandais o`u Sa Majest'e orthodoxe se livrait sans frein `a ses go^uts d'orgie. Une pipe de terre cuite `a la bouche, une cruche de bi`ere `a la main, il donnait le ton `a ses convives et ne leur c'edait pas en jurons. L'indignation des boyards fut `a son comble, lorsqu'il ordonna `a leurs femmes et `a leurs filles, enferm'ees comme dans l'Orient, de prendre part `a ces m^emes f^etes. Le r'evolutionnaire percait dans Pierre Ier partout sous la pourpre imp'eriale. Tandis qu'un si`ecle apr`es, Napol'eon couvrait chaque ann'ee de quelque.nouveau lambeau royal son origine bourgeoise, Pierre Ier se d'ebarrassait chaque jour de quelque lambeau du tzarisme pour rester lui-m^eme, avec sa grande pens'ee appuy'ee sur une volont'e inflexible, sur la cruaut'e d'un terroriste.
La r'evolution op'er'ee par Pierre Ier divisa la Russie en deux parties: d'un c^ot'e rest`erent les paysans des communes libres et seigneuriales, les paysans des villes et les petits bourgeois; c''etait la vieille Russie, la Russie conservative, traditionnelle, communale, strictement orthodoxe ou bien schismatique, toujours religieuse, portant le costume national et n'ayant rien accept'e de la civilisation europ'eenne. Cette partie de la nation, comme cela arrive dans les r'evolutions victorieuses, 'etait regard'ee par le gouvernement comme malcontente, presque comme insurg'ee. Elle 'etait en disgr^ace, suspendue, mise hors la loi et livr'ee a la merci de l'autre partie de la nation. La nouvelle Russie se composait do la noblesse form'ee par Pierre le Grand, de tous les lescendants des boyards, de tous les employ'es civils, et enfin, de l’arm'ee. La pr'ecipitation avec laquelle ces diff'erentes classes se d'epouill`erent de leurs moeurs fut surprenante. Elles abdiqu`erent leur pass'e sans aucune opposition; les str'elitz seuls tenaient de r'esister. C'est l`a une preuve de la mobilit'e du caract`eer et, en m^eme temps, de l'extr^eme opportunit'e de la r'evolution de Pierre le Grand. On 'etait enchant'e de quitter les formes lourdes et accablantes du r'egime moscovite. D'o`u venait donc la recalcitrance du paysan russe? Les paysans forment la partie la moins progressiste de toutes les nations; en outre, les paysans russes des communes restaient hors du mouvement et des atteintes du gouvernement. La centralisation politique n''etait pas soutenue par une centralisation administrative. Les mesures prises pour entraver la migration des paysans n'int'eressaient que ceux d'entre eux qui 'etaient 'etablis sur les terres seigneuriales, ou plut^ot la minorit'e remuante qui se d'eplacait. La r'eforme de Pierre se pr'esenta `a eux non seulement comme un attentat `a leurs traditions et `a leur mani`ere de vivre, mais encore comme une immixtion de l'Etat dans leurs affaires, comme une tracasserie bureaucratique, comme une aggravation vague et ind'efinie de leur servitude. Ils se r'esign`erent d`es lors `a cette opposition tacite et passive qui continue de nos jours, et qui est compl`etement justifi'ee par les mesures prises contre le peuple par Pierre Ier et ses successeurs. Le village est rest'e en dehors de la r'eforme; il est impossible d'^etre paysan russe lorsqu'on abandonne les anciennes moeurs; le paysan peut s'affranchir de la commune, devenir domestique ou employ'e du gouvernement, ou m^eme noble, mais il doit dans tous ces cas et avant tout quitter la commune. [4] Le membre de la commune rurale ne peut ^etre que paysan, et, comme tel, il doit porter la barbe et le costume national. Cela n'est r'egl'e par aucune loi, l'usage seul le veut ainsi et ne le rend que plus vivace. De cette facon, les paysans restent purs de toute participation au gouvernement, ils sont gouvern'es, mais ils n'ont rien sanctionn'e par leur adh'esion. Ils voient de mauvais oeil notre genre de vie, persistent dans leurs usages et sont en m^eme temps plus religieux que nous par opposition `a notre indiff'erence, et sectaires, par opposition `a l''eglise officielle qui pactise avec la civilisation allemande.
4
Voir aux annexes la note relative `a la commune russe.
C'est sous ce point de vue qu'on peut appr'ecier toute l'importance des ordres de Pierre Ier prescrivant de raser la barbe et de se v^etir `a l'allemande. La barbe et le costume forment une distinction tranch'ee entre la Russie humili'ee sous un triple joug et sauvegardant sa nationalit'e, et la Russie qui a accept'e la civilisation europ'eenne avec le despotisme imp'erial. Entre l'homme a la barbe qui porte la chemise par-dessus la culotte, qui n'a rien de commun avec le gouvernement, et l'homme ras'e, habill'e `a l'allemande, qui est 'etranger `a la commune, il n'y avait qu’un seul lien vivant, – le soldat. Le gouvernement s'en apercut et, craignant que le soldat ne redev^int paysan, il eut recours `a des mesures terribles: il fixa un terme monstrueux au service – 22 ans au commencement de ce si`ecle, et 15 `a 17 ans de nos jours. Sous pr'etexte d''elever les enfants de troupe, il cr'ea une v'eritable caste de kchatrias indiens en les encha^inant `a l''etat militaire, et, comme si ce n''etait pas assez, il obligea les v'et'erans, sous l'intimidation de graves peines, de raser la barbe et de ne jamais porter le costume national. Le peuple russe resta ainsi isol'e et hors de tout mouvement, dans une expectative douloureuse; s'il ne p'erit pas, ce fut gr^ace `a son naturel et `a la commune, mais il n'a rion gagn'e non plus. Aucune id'ee politique n'a p'en'etr'e jusqu'`a lui, mais il y a des int'er^ets qui ne manqueront pas d'agiter la commune russe.