La livr?e du crime (Преступная ливрея)
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— Un fant^ome ! mais ca n’existe pas les fant^omes ! Quand il est pass'e devant vous, vous l’avez suivi des yeux, j’imagine ? O`u a-t-il 'et'e ?
— Ma foi, dit l’un des p^echeurs, quand il 'etait devant nous, on l’a vu qui pressait encore sa marche, qui faisait des enjamb'ees plus grandes et il a continu'e son chemin, tout droit, suivant le lit de la rivi`ere.
— Vous ne savez pas s’il a repris terre ?
— Si, peut-^etre bien, on a cru le voir dans la baie, l`a-bas.
— Il faut y aller tout de suite.
Mais les p^echeurs ne semblaient gu`ere se soucier d’accompagner Juve. Ils 'echangeaient des regards timides, effray'es, et l’un d’eux avoua :
— Un homme qui marche sur l’eau, ma foi, ca fait de l’impression. Apr`es tout, il vaudrait peut-^etre mieux le laisser tranquille et chacun rentrer chez soi. Ces choses-l`a, il ne faut pas y regarder de trop pr`es, ca porte malheur.
— Allons donc, dit Juve, nous sommes cinq ici, et `a cinq, nous ne risquons rien. Il n’est pas possible que nous laissions les choses se passer de la sorte. Que diable, ceux qui ont peur n’ont qu’`a rester chez eux. Les autres, venez avec moi.
Ce fut une marche p'enible, la baie que les p^echeurs avaient d'esign'ee `a Juve 'etait encore assez 'eloign'ee. Il fallut bien cinq minutes au policier et `a ses compagnons pour l’atteindre. Enfin, ils y furent, ils commenc`erent `a fouiller les environs. L`a, comme ailleurs, le fleuve coulait tranquille, les arbres se balancaient mollement au vent du soir mais rien n’apparaissait qui f^ut de nature `a renseigner Juve sur l’homme qui avait march'e sur l’eau.
Apr`es vingt minutes de recherches vaines, l’un des p^echeurs proposa :
— Si on rentrait ?
— 'Evidemment, on ne trouvera rien maintenant. Nous avons 'et'e trop longs `a arriver, il a d'ecamp'e.
Mais, voil`a que Juve qui depuis quelques instants examinait le bord m^eme de la rivi`ere, poussait une exclamation :
— Ah, sapristi, je m’en doutais. Voil`a avec quoi il marchait sur l’eau.
Et tout en parlant, le policier brandissait quelque chose, un long morceau de bois, qu’il venait de tirer d’une anfractuosit'e de la berge. Autour de Juve, les p^echeurs s’assembl`erent. Ils regardaient le morceau de bois que tendait Juve, les yeux ronds mais sans comprendre.
Juve poursuivit son soliloque :
— Parbleu, disait le policier, il marchait sur l’eau, c’est tout `a fait naturel. Il avait des 'echasses aux pieds. Assur'ement, ici, la rivi`ere n’est pas profonde, 'etant donn'ee sa largeur, et par cons'equent, avec ses 'echasses, ses pieds 'etaient au niveau du flot, il pouvait avancer sans se mouiller et en donnant l’impression de marcher sur l’eau.
Il s’arr^eta puis reprit :
— C’est entendu, l’homme qui marchait sur l’eau marchait avec des 'echasses. Voil`a un des c^ot'es du myst`ere 'eclairci.
***
Un quart d’heure apr`es avoir d'ecouvert le moyen simple, mais ing'enieux, dont l’inconnu s’'etait servi pour marcher sur l’eau, Juve regagnait la villa des Marquet-Monnier.
C’est tout juste si le policier n’essuya pas un coup de feu lorsqu’il se pr'esenta, car le jardinier, arm'e de son revolver, perdait de plus en plus la t^ete. Juve se fit reconna^itre, 'ecarta les domestiques.
— O`u est madame Marquet-Monnier ?
Elle n’'etait pas loin. Derri`ere ses trois domestiques effar'ee, elle passait la t^ete, tremblant encore, elle aussi :
— Mon mari ? O`u est mon mari ?
Juve, pour toute r'eponse, p'en'etra dans le salon puis, de l`a, dans le cabinet d’o`u Nathaniel avait si myst'erieusement disparu.
— Venez, madame, il faut que nous causions.
Au nez des trois domestiques, Juve referma les portes derri`ere lui. Il 'etait seul avec Mme Marquet-Monnier :
— D’abord, commencait le policier, rassurez-vous, je vous en prie, dans tout ce qui para^it myst'erieux croyez bien que le myst`ere n’est en r'ealit'e qu’apparent. Tout est toujours tr`es simple au contraire.
— Tr`es simple, monsieur ? Dieu vous entende. Mais enfin, l’homme qui marchait sur l’eau ?
— L’homme qui marchait sur l’eau, madame, marchait avec des 'echasses et c’'etait votre mari.
— Mon mari ?
— 'Ecoutez, rien ne sert de vouloir nier l’'evidence. L’homme qui marchait sur l’eau 'etait votre mari, et ce ne pouvait ^etre que lui. Il fuyait.
— Il fuyait ? de quel terme vous servez-vous ? il fuyait ? devant qui ? pourquoi ?
— Pas si vite. Vous songez bien, madame, `a ce qui s’est pass'e, n’est-ce pas ? Votre mari est entr'e ici par cette porte, cette unique porte. Quand nous l’avons franchie nous-m^emes, nous n’avons plus trouv'e personne. En revanche, cette fen^etre 'etait ouverte. Cette fen^etre donne sur la rivi`ere et sur la rivi`ere nous avons vu, vous avez vu un homme qui s’en allait en marchant sur l’eau. Comment voulez-vous que ce ne soit pas votre mari ?
— Peut-^etre, monsieur. Admettons que c’'etait mon mari, mais pour qu’il e^ut agi ainsi, il faudrait 'evidemment un motif. Rappelez-vous les faits, vous aussi : Nathaniel est pass'e dans ce cabinet pour serrer dans ce coffre-fort les traites que vous veniez de lui restituer. Pourquoi voulez-vous qu’`a ce moment il se soit, comme vous dites, enfui par la fen^etre ?
— Je n’en suis pas encore `a vous donner l’explication du d'epart de M. Marquet-Monnier, je constate les faits. Voil`a tout. D’abord, il conviendrait de savoir si M. Nathaniel Marquet-Monnier est parti avant ou apr`es avoir serr'e les traites dans son coffre-fort. Vous avez les cl'es, sans doute, madame ?
— D’ordinaire je ne les ai pas, mais tout `a l’heure, pendant que vous n’'etiez pas l`a, j’ai retrouv'e le trousseau de Nathaniel tra^inant sur le sol. Ouvrez ce coffre-fort vous-m^eme, monsieur, si cela peut vous aider.
Juve n’avait pas attendu la permission. S’emparant du trousseau de cl'es que lui tendait Mme Marquet-Monnier, il s’'etait approch'e du coffre-fort. Il fit jouer les rouages des serrures compliqu'ees puis appela Mme Marquet-Monnier :
— Voulez-vous venir `a c^ot'e de moi, madame ? je d'esire que vous m’assistiez dans la perquisition `a laquelle je vais proc'eder.