La livr?e du crime (Преступная ливрея)
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La rencontre n’'etait pas fortuite. Apr`es d’interminables pourparlers, il avait 'et'e entendu que les deux fr`eres se rencontreraient ce matin-l`a au bois de Boulogne, c’est-`a-dire en terrain neutre, et qu’ils causeraient librement, seul `a seul, en t^ete `a t^ete.
Juve avait d^u user de toute sa diplomatie pour obtenir ce r'esultat. Rita d’Anr'emont ne tenait pas du tout `a cette entrevue et Nathaniel Marquet-Monnier r'epugnait aux d'emarches qu’il lui aurait fallu faire aupr`es de son fr`ere cadet pour ^etre recu par lui.
Mais Rita d’Anr'emont, qui avait pris le bras de l’aveugle pour lui faire faire quelques pas sur le trottoir sabl'e de l’avenue, avait apercu Nathaniel et Juve. Elle ne venait pas `a leur rencontre. S’ils voulaient s’approcher, libre `a eux. Elle semblait parfaitement d'ecid'ee `a les ignorer jusqu’`a ce qu’ils fissent le premier pas. Le malheureux aveugle suivait, attach'e `a elle, errant dans cette foule comme une 'epave.
— Jamais, murmura le banquier, jamais nous n’arriverons `a l’arracher `a cette femme.
— Ayez du courage, voyons, monsieur Marquet-Monnier, faites votre devoir, les bonnes causes sont toujours gagn'ees d’avance.
— Je ne peux pas aborder mon fr`ere tant qu’il sera avec cette femme.
— Attendez-moi l`a, fit Juve.
Puis, se faufilant dans la foule, de plus en plus gaie, de plus en plus nombreuse, il aborda la belle Rita :
— Madame, dit-il, voulez-vous me permettre un instant de prendre le bras de votre ami pour le conduire `a qui vous savez.
— Mon fr`ere est l`a ? demanda S'ebastien qui venait de reconna^itre la voix de Juve.
— Oui, monsieur, il vous attend.
Se forcant `a sourire pour dissimuler une grimace de d'epit, Rita d’Anr'emont dut s’incliner :
— Qu’il soit fait comme vous le d'esirez, monsieur, r'epondit-elle `a Juve. Mais elle ajouta, menacante :
— Mais je vous en prie, que cela ne dure pas trop longtemps, nous d'ejeunons tout `a l’heure, S'ebastien et moi, chez des amis.
Comme il arrivait pr`es de Nathaniel, Juve dit `a S'ebastien :
— Voici votre fr`ere, causez avec lui.
Puis, par discr'etion, Juve s’'eloigna, mais sans perdre de vue les deux hommes. Le policier s’'etait dit que pendant leur conversation il irai parler `a la demi-mondaine et t^acherait d’obtenir quelques renseignements. Mais, volontairement ou non, l’entretien paraissait impossible pour le moment. Rita d’Anr'emont n’avait pas attendu le retour de Juve. Connue comme elle l’'etait, elle n’avait pas tard'e `a ^etre entour'ee d’un groupe d’admirateurs et d’amis qui l’interrogeaient avec avidit'e sur l’agression dont elle pr'etendait avoir 'et'e l’objet et dont on avait beaucoup parl'e, sur le malheur aussi qui s’'etait abattu sur son amant. `A toutes les questions qui lui 'etaient pos'ees, Rita d’Anr'emont r'epondait que d'esormais toute son existence 'etait vou'ee `a la malheureuse victime, que vraisemblablement ils abandonneraient bient^ot la vie parisienne et qu’ils s’en iraient cacher leur amour et leur malheur en province, `a la campagne, au bord de la mer, ils ne le savaient pas encore, mais assur'ement loin du bruit, du mouvement, du monde.
Pendant ce temps, Nathaniel et S'ebastien 'etaient tomb'es dans les bras l’un de l’autre, et l’aveugle, la t^ete appuy'ee sur l’'epaule de son a^in'e, avait sanglot'e doucement.
Nathaniel s’'etait m'epris sur la nature de cette 'emotion. Il 'etait convaincu que son fr`ere revenait `a de meilleurs sentiments :
— Mon pauvre S'ebastien, avait-il d'eclar'e, quel chagrin tu nous as fait et quel mal tu nous fais encore… mais h'elas ! Le ciel s’est veng'e terriblement, mon pauvre, pauvre enfant. 'Ecoute, maintenant nous nous sommes retrouv'es, il ne faut plus nous quitter.
D'ej`a Nathaniel reprenait le ton autoritaire et brutal qui 'etait l’expression m^eme de son caract`ere. Et malgr'e lui il ordonnait ;
— Tu vas revenir `a Valmondois. Pendant quelque temps, nous ne recevrons personne. Jusqu’`a pr'esent, dans notre monde, on ignore sinon ton infirmit'e, du moins le scandale. Il faut que l’on t’oublie pendant quelque temps, apr`es quoi nous verrons `a arranger les choses, `a donner une explication. J’en ai d'ej`a parl'e avec ta belle-soeur. Elle est de mon avis.
Mais `a ces mots, S'ebastien avait recul'e, stup'efait :
— Il 'etait convenu, dit-il, que lorsque nous nous verrions il ne serait pas question de ma vie priv'ee. Je t’ai d'ej`a dit l`a-dessus ma facon de penser. Tu m’as fait conna^itre la tienne. Nous nous sommes 'eclair'es l’un et l’autre sans nous convaincre. J’ai l’^age de raison. J’agirai comme je l’entends.
— Mon pauvre S'ebastien, tu d'eraisonnes, tu es fou, tu as perdu toute id'ee du sens moral, tu ne te rends pas compte que tu m`enes une existence `a la fois stupide et scandaleuse. Songe donc ce que l’on dirait si dans notre monde on te savait vivant maritalement avec une fille, avec une Rita d’Anr'emont, demi-mondaine connue sur les champs de course et dans les tripots, `a vendre.
— Ah, dit S'ebastien, tais-toi, je t’interdis, entends-tu, de parler ainsi d’une femme que j’aime, qui s’est d'evou'ee pour moi, qui se d'evoue encore, qui est pr^ete `a tout rompre, `a tout abandonner pour attacher son existence `a la mienne.
— Imb'ecile, tu ne vois donc pas que c’est une coquine, qui te roule, qui te vole.
— Nathaniel, retire ce que tu viens de dire l`a, ou, de ma vie, je ne te reverrai.
— Elle te vole, te dis-je, elle te compromettra, elle te fera chanter comme une inf^ame qu’elle est. Je n’ignore pas ce que tu as fait, S'ebastien, des emprunts `a des usuriers, des traites, des faux.
— Comment sais-tu ?
— Je sais, poursuivit Nathaniel, que cette fille, ta ma^itresse, a indignement abus'e de ta confiance. Elle a sauv'e du feu les documents que tu voulais faire dispara^itre. Elle les a donn'es `a un homme qu’elle entretient sans doute, `a un souteneur, `a un apache comme elle seule peut en conna^itre, et tu verras t^ot ou tard se dresser ces papiers devant toi comme autant de menaces pour ton honneur, pour l’honneur de ta famille.
— C’est trop facile d’affirmer. As-tu vu ces traites ?