Le Cadavre G?ant (Гигантский кадавр)
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Bouzille 'etait 'evidemment sans rancune, car il apparaissait tout pr^et `a admirer la prouesse d’OEil-de-Boeuf dont le plus clair r'esultat, pourtant, 'etait qu’il venait lui-m^eme de fr^oler la mort de bien pr`es.
Fandor, `a vrai dire, se montrait moins g'en'ereux que lui.
— Ah ! ronchonnait le journaliste, c’est OEil-de-Boeuf qui a ferm'e le passage `a niveau, eh bien ! il aura de mes nouvelles au jour de l’an, celui-l`a ! Que le diable l’emporte !…
La garde-barri`ere, cependant, ne restait pas inactive. Elle d'echirait la bottine de Fandor, le d'elivrait de sa chaussette, lui trempait de force le pied dans l’eau froide.
— Rien de tel, voyez-vous, pour les enflures !
Et la brave femme citait `a l’appui de ses dires toute une s'erie d’histoires de vaches dans lesquelles elle m^elait au petit bonheur la m'edecine v'et'erinaire aux notions chirurgicales.
Femme de t^ete, d’ailleurs, l’excellente garde-barri`ere se multipliait. Elle pensait `a tout, pr'eparait un savoureux repas, t'el'ephonait au pharmacien de la ville pour qu’il envoy^at une potion calmante, et, de force, persuadait Fandor qu’elle avait une chambre de vide, qu’il ne la g^enerait en rien, qu’on devait s’entr’aider et qu’il fallait qu’il soit assez raisonnable pour rester quelques jours chez elle.
Or, Fandor, plus press'e que jamais de se jeter `a la poursuite de Fant^omas, de rejoindre Juve au moins, aurait certainement refus'e de suivre ses excellents avis, si Bouzille n’avait accept'e `a sa place et surtout, si la fi`evre ne l’avait pris au point qu’il n’'etait plus bien capable de comprendre exactement ce qui se passait et ce qu’on lui disait.
Assis sur un grand fauteuil d’osier, la jambe 'etendue sur un tabouret de bois, souffrant le martyre, Fandor passait de longues heures ce jour-l`a, sommeillant, accabl'e, et ne sachant trop o`u il en 'etait.
Vers les cinq heures du soir cependant, le jeune homme commencait un peu `a se remettre. Pr'ecis'ement un individu arrivait en bicyclette, se pr'esentait comme 'etant le garcon pharmacien, et avec des airs doctoraux, disposait en rangs de bataille, sur une table, une multitude de fioles.
— Voil`a, voil`a, d'eclarait-il, le patron m’a bien recommand'e de vous avertir qu’y fallait avaler tout ca. Le moyen de s’en servir, c’est 'ecrit dessus. D’ailleurs, c’est simple, c’est des potions `a boire…
Bouzille d'ej`a d'ebouchait les flacons, et reniflait avec des grimaces de d'eception leur parfum pharmaceutique.
— C’est du doux, d'eclarait-il, c’est du doux, y a rien de regipant l`a-dedans !…
L’excellent Bouzille e^ut 'evidemment pr'ef'er'e une m'edication un peu plus alcoolique.
Il n’y avait pourtant pas `a discuter, et force 'etait bien `a Fandor d’accepter que la garde-barri`ere lui pr'epar^at imm'ediatement une premi`ere potion. Bouzille, d’ailleurs, enchant'e du r^ole qu’il jouait, appuyait, lui aussi, la proposition :
— Bien s^ur, faisait-il, faut s’soigner, m’sieur Fandor… Tenez, justement, moi aussi, j’ai un peu la fi`evre, et beaucoup d’app'etit, mais ca ne fait rien, j’m’en vais aussi en prendre, de vot’potion, rapport `a c’qu’elle est sucr'ee et qu’ca vous donnera du courage !…
Bouzille aurait imm'ediatement bu toute la bouteille par d'evouement si, tr`es fier de son r^ole, il n’avait tenu `a multiplier les marques de d'ef'erence `a l’endroit du garcon pharmacien.
Bouzille faisait des gr^aces comiques :
— Ne vous donnez donc pas la peine, faisait-il. Passez le premier, tenez, j’vas vous conduire `a votre bicyclette !
Bouzille quittait Fandor, sortait, restait cinq minutes absent, et Fandor allait justement boire sa potion lorsque le chemineau faisait irruption dans la salle, levant les bras, hurlant, sur un ton de d'esespoir :
— Arr^etez, m’sieur Fandor, arr^etez !…
L’attitude de Bouzille 'etait si extraordinaire que Fandor, en effet, suspendit son geste.
— Qu’est-ce qui te prend, Bouzille ? demanda-t-il.
Bouzille, qui 'etait tr`es p^ale, expliqua tout d’une haleine :
— Ce qui m’prend, faisait-il, ah bien, c’est pas ordinaire ! Y m’prend que sans moi vous alliez passer de la r'eserve dans la territoriale… Autrement dit, que vous descendiez au sous-sol, que vous claquiez, quoi, ni plus ni moins !… Ah ! cochonnerie de bon sort… quand je pense qu’apr`es tout, moi aussi, j’allais trinquer avec vous…
Et comme, devant l’'enervement de Bouzille, Fandor, impatient'e, allait boire, le chemineau se pr'ecipitait en avant :
— Mais l^achez donc vot’verre, faisait-il, c’est de la poison !
La r'ev'elation 'etait pour le moins inattendue, J'er^ome Fandor sursauta :
— Du poison ! disait-il, tu es fou ?
Mais cette supposition mettait Bouzille hors de lui :
— C’est cela, ripostait-il, prenant un air tragique et offens'e. C’est cela… insultez-moi maintenant… Mettez-moi plus bas que tout ! Ah ! la voil`a bien la reconnaissance : je vous emp^eche de tr'epasser, et vous d'eclarez que je suis saoul ! Traitez-moi d’ivrogne, pendant que vous y ^etes !…
Bouzille se formalisait, se vexait ; il fallait assur'ement aviser, sous peine de ne point obtenir de renseignement. Fandor posa son verre et questionna :
— Voyons, mon bon vieux Bouzille, dites-moi plut^ot ce qui arrive. Qu’est-ce que tu as apr`es cette potion ?
Bouzille, d'ej`a se rass'er'enait. Il montrait la bouteille du doigt, il ripostait :
— Ce que j’ai, m’sieur Fandor, eh bien, c’est que ce jus-l`a, para^it que c’est Fant^omas qui vous l’envoie, et c’est de la poison… Tenez, vous avez cru que c’'etait le garcon pharmacien qu’'etait l`a, moi aussi… Ah bien zut, alors ! c’est un copain `a Fant^omas, un poteau que j’n’avais m^eme pas reconnu, tant il 'etait grim'e, c’est Gueule-de-Bois, et Gueule-de-Bois m’a dit comme ca :