Том 7. О развитии революционных идей в России
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Le couvent, la Cosaquerie, les bandes de brigands 'etaient les seuls moyens de se rendre libre en Russie. Le peuple appelait poliment les brigands polissons (chalouny) ou licencieux (volnitza). Dans les temps anciens, la seule ville de Novgorod fournissait des bandes arm'ees qui descendaient la Volga et l'Oka jusqu'aux bords de la Kama, «allant `a l'aventure chercher le bonheur». Des Cosaques brigands pers'ecut'es par Jean IV, firent, pour se r'ehabiliter, la conqu^ete de la Sib'erie, sous les ordres de Iermak. Le vagabondage et le brigandage s'accrurent d'une mani`ere prodigieuse pendant l'interr`egne et au commencement du XVIIe si`ecle. La m'emoire de Stenka Rasine s'est conserv'ee chez le peuple dans une quantit'e de chansons compos'ees en son honneur. La tradition de ces brigandages ne discontinua pas jusqu'`a Pougatcheff, et il est probable qu'ils n'ont acquis une si grande proportion que gr^ace `a une lutte sourde engag'ee par les paysans protestant contre leur asservissement. Il est notoire que, dans les chansons, le beau r^ole revient au brigand, les sympathies sont pour lui et non pour ses victimes; c'est avec une joie secr`ete qu'on vante ses prouesses et sa bravoure. Le chansonnier populaire paraissait comprendre que son plus grand ennemi n''etait pas le brigand.
Un mouvement intellectuel d'un autre genre, mais non moins important, fut le mouvement des id'ees religieuses chez les sectaires. Ce que l'orthodoxes grecque n'a jamais su faire, int'eresser l'homme du peuple, d'evelopper en lui une foi active, un int'er^et v'eritable, les sectaires curent l'accomplir. Chez eux, point d'indiff'erentisme; la commune y est plus d'evelopp'ee que chez les paysans orthodoxes, l'esprit de corps est on ne peut plus vivace; il y a des sectes dont la dogmatique est absurde, mais la conduite pleine d''energie et honn^etet'e. Il y en a d'autres tr`es r'epandues m^eme, qui professent les doctrines communistes les plus avanc'ees, entrem^el'ees d'un christianisme mystique dans le genre des herrenhuts et m^eme des anabaptistes. Pers'ecut'es par le gouvernement, des milliers de sectaires se sont expatri'es en Livonie, en Turquie, o`u il y a des bourgs entiers habit'es par leur descendants. Les sectaires en g'en'eral sont les ennemis les plus acharn'es de la r'eforme de Pierre Ier. Pour eux Pierre et ses successeurs sont des ant'echrists. Par contre, le gouvernement y voit des rebelles et les poursuit comme tels. Les sectaires tiennent bon, leur propagande s'accro^it `a mesure qu'augmente la pers'ecution, ils ont des affid'es sur tous les points de l'empire, une publicit'e clandestine. Il serait possible que d'un des Skites [7] (communaut'e schismatique) sort^it un mouvement populaire qui embras^at des provinces enti`eres, dont le caract`ere serait certainement national et communiste et qui irait `a la rencontre d'un autre mouvement dont la source est dans les id'ees r'evolutionnai-,res de l'Europe. Peut-^etre ces deux mouvements s'entre-choque-ront-ils sans comprendre leur affinit'e, au grand plaisir du tzar et de ses amis.
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Pougatcheff et ses coll`egues ont appartenu aux
La litt'erature russe europ'eis'ee ne commence `a obtenir une certaine signification que du temps de Catherine II. Avant son regne, on voit un travail pr'eparatoire; la langue se forme aux nouvelles conditions de l'existence, elle fourmille de mots allemands et latins; l'esprit d'imitation s'empare de tout, au point qu'on essaie d'introduire dans notre langue m'etrique et sonore la versification syllabique. Revenue de ces exag'erations, la langue commenca `a s'assimiler les flots de mots 'etrangers, `a devenir plus naturelle et plus conforme au g'enie de la nation. Le premier Russe qui mania avec talent la langue ainsi faite fut Lomonossoff. Ce savant c'el`ebre fut le type du Russe par son encyclop'edisme, autant que par la facilit'e de son entendement. Il 'ecrivit en russe, en allemand et en latin. Il 'etait mineur, chimiste, po`ete, philologue, physicien, astronome et historien. Il composait en m^eme temps une dissertation m'et'eorologique sur l''electricit'e, et une autre sur l'arriv'ee des Var`egues en Russie, en r'eponse `a l'historiographe Muller, ce qui ne l'emp^echait pas de terminer ses odes triomphales et ses po`emes didactiques. Toujours lucide, plein du d'esir inquiet de tout comprendre, il jetait un sujet pour s'emparer d'un autre avec une facilit'e de conception 'etonnante.
La civilisation qui commencait `a s''epanouir sous l''egide pro tectrice du gouvernement restait encore sur les marches du tr^one, avec son admiration pour Pierre le Grand et avec son adulation sinc`ere pour tout souverain. Le gouvernement continuait `a marcher `a la t^ete de la civilisation. Cette affinit'e de la litt'erature avec le gouvernement devient plus palpable du temps de Catherine II. Elle a son po`ete, po`ete d'un grand talent, qui, par entra^inement et amour, lui adresse des 'ep^itres, des odes, des hymnes et des satires qui est `a genoux devant elle, `a ses pieds, sans ^etre toutefois vil ou esclave. Derjavine ne craint pas l'imp'eratrice, il plaisante avec elle, la nomme «F'elicie» «la tzarine de Kirgis-Ka"is-saks». Sa muse trouve parfois des sons qui ne sont gu`ere ceux d'un serf chantant son souverain.
N'eanmoins, cette po'esie apolog'etique avec toute sa sinc'erit'e et toute la beaut'e d'une langue plastique, n''etait ni go^ut'ee ni admir'ee, si ce n'est d'un petit nombre, du clerg'e et des savants. La haute soci'et'e ne lisait rien en russe, la soci'et'e inf'erieure ne lisait rien du tout. La premi`ere production russe qui ait eu une popularit'e immense ne fut ni une 'ep^itre adress'ee `a l'imp'eratrice, ni une ode inspir'ee par les ravages inhumains et les massacres glorieux de Souvoroff, mais une com'edie, une satire mordante contre les gentill^atres de la province. Tandis que Derjavine ne voyait, `a travers les rayons de la gloire qui entouraient le tr^one, que l'imp'eratrice, Fonvisine, esprit caustique, voyait le c^ot'e oppose il riait am`erement de cette soci'et'e demi-barbare, de ses allures de civilisation. Ce fut le premier auteur dans les 'ecrits ducmel perc^at le principe d'emoniaque de sarcasme et d'indignation, qui devait d`es lors traverser toute la litt'erature russe et s’en rendre l'esprit dominant. Dans cette ironie, dans cette flagellation o`u rien n'est m'enag'e, pas m^eme la personne de l'auteur, il y a pour nous une joie de vengeance, de consolation maligne; par ce rire nous rompons la solidarit'e qui existe entre nous et ces amphibies qui ne savent ni garder la barbarie ni acqu'erir la civilisation et qui seuls surnagent `a la surlace otlicielle de la soci'et'e russe. Une protestation infatigable suivit pas `a pas cette anomalie. Elle fut ardente, incessante.
L'autopsie pathologique forma le caract`ere dominant de la litt'erature moderne. Ce lut une nouvelle n'egation de l'ordre des choses existant, qui surgit en d'epit de la volont'e imp'eriale du fond de la conscience r'eveill'ee, cri d'horreur de chaque g'en'eration qui craignait de se voir confondue avec ces ^etres d'egrad'es.
La litt'erature russe, au XVIIIe si`ecle, ne fut au fond qu'une noble occupation de quelques esprits, sans inlluence sur la soci'et'e. La premi`ere inlluence s'erieuse qui imprima de suite un autre caract`ere au dilettantisme litt'eraire vint de la franc – maconnerie. Celle-ci 'etait tr`es r'epandue en Russie vers la tin du r`egne de Catherine II. Son chef, Novikolf, 'etait un de ces grands personnages dans l'histoire qui font des prodiges sur une sc`ene qui doit n'ecessairement rester dans les t'en`ebres; un de ces guides d'id'ees souterraines dont l'oeuvre ne se manileste qu'au moment de l''eclat. Novikolf 'etait imprimeur de son 'etat, il fonda des librairies et des 'ecoles dans plusieurs villes, il 'edita la premi`ere revue russe. Il taisait faire des traductions et les publiait `a ses frais. C'est ainsi qu'on vit de son temps para^itre la traduction de l'Esprit des Lois, d'Emile, de divers articles de l'Encyclop'edie, ouvrages que la censure de notre 'epoque ne permettrait certainement pas d'imprimer. Dans toutes ces entreprises, Novikolf fut puissamment aid'e par la franc-maconnerie dont il 'etait grand-ma^itre. Quelle oeuvre immense, que la pens'ee hardie de r'eunir dans un int'er^et moral, dans une tamille tralernclle tout ce qu'il y avait intellectuellement de m^ur, depuis le grand seigneur de'empire, tel que le prince Lopoukhine, jusqu'au pauvre pr'ecepteur d''ecole et au chirurgien de district.
L'imp'eratrice Catherine fit jeter Novikoff dans la citadelle de P'etersbourg et l'exila ensuite. Ce fut dans les derni`eres ann'ees de son r`egne, o`u son caract`ere commencait `a s'alt'erer. Avec Potiomkine dispara^it la po'esie des favoris, une d'ebauche grossi`ere remplace une volupt'e brillante et splendide. Les petites soir'ees de l'Ermitage, p'etillantes d'esprit, firent place aux orgies sauvages des Zoritch. En attendant, la r'evolution francaise atteignait son apog'ee. Le tonnerre r'evolutionnaire troublait le sommeil des monarques, sur le Danube comme sur la Neva. Catherine en vieillissant devenait inqui`ete, soupconneuse m^eme `a l''egard de son fils. Elle voyait avec d'efiance la franc-maconnerie acqu'erir une force nouvelle, ind'ependante de sa volont'e; on parlait beaucoup de la part que les illumin'es et les martinistes avaient prise `a la r'evolution, et au milieu de ces bruits, elle apprit que le grand-duc Paul 'etait initi'e `a la franc-maconnerie parNovikolf. Dix ans auparavant, Catherine aurait fait chercher Novikoff et aurait vu que ce n''etait point un obscur conspirateur dynastique, mais alors elle aima mieux le ch^atier que l'entretenir.
Cet homme infatigable forma avant sa chute le dernier grand 'ecrivain de cette p'eriode, Karamzine. L'influence de ce dernier sur la litt'erature peut ^etre compar'ee `a l'influence de Catherine sur la soci'et'e; il l'a humanis'ee. Il y avait en lui quelque chose de St. R'eal, de Florian et d'Ancillon, un point de vue philosophique et moral, des phrases philantropiques, des larmes toujours acquises au malheur, une r'epulsion pour tout abus de forces, beaucoup d'amour pour la civilisation, un patriotisme tant soit peu rh'etorique, le tout sans unit'e, sans pens'ee dirigeante, sans une seule conviction profonde. Il y eut quelque chose d'ind'ependant et de pur dans ce jeune litt'erateur, entour'e d'un monde d'ambitions subalternes et d'un crasse mat'erialisme. Karamzine fut le premier litt'erateur russe lu des dames.
C'est un grand avantage pour notre litt'erature que nos premiers auteurs ont 'et'e des hommes du monde. Ils firent passer dans la litt'erature une certaine 'el'egance de bonne compagnie, une sobri'et'e de paroles une noblesse d'images qui distinguent la conversation des hommes bien 'elev'es. L''el'ement grossier et vulgaire qui se rencontre parfois dans la litt'erature allemande n'a jamais p'en'etr'e dans les livres russes.
La grande oeuvre de Karamzine, le monument qu'il a 'elev'e a la post'erit'e sont les douze volumes de son histoire russe. Oeuvre consciencieuse de la moiti'e de son existence et dont l'analyse n'entre pas dans notre plan, son histoire a beaucoup contribu'e `a tourner les esprits vers l''etude de la patrie. Si l'on songe au chaos qui a pr'ec'ed'e Karamzine, dans l'histoire russe, et au travail qu'il a d^u employer pour le d'eblayer et pour donner une exposition claire et v'eridique du sujet, l'on comprendra qu'il y aurait de l'injustice `a ne pas reconna^itre ses services.
Ce qui manquait `a Karamzine, ce fut cet 'el'ement sarcastique qui de Fonvisine s''etendit `a Kryloff et m^eme `a Dmitrieff, l'ami intime de Karamzine. Il y avait quelque chose d'allemand dans le tendre et b'en'evole Karamzine. On pouvait pr'edire que Karamzine tomberait avec sa sentimentalit'e dans les iilets imp'eriaux, comme le fit plus tard le po`ete Joukofski.
L'histoire de la Russie rapprocha Karamzine de l'empereur Alexandre. Il lui lisait les pages audacieuses o`u il fl'etrissait la tyrannie de Jean le Terrible et jetait des immortelles sur la tombe de la r'epublique de Novgorod. Alexandre l’ 'ecoutait avec attention et 'emotion et pressait doucement la main de l'historiographe. Alexandre 'etait trop bien 'elev'e pour trouver bon que Jean f^it parfois scier ses ennemis en deux et pour ne pas soupirer sur le sort de Novgorod, sachant bien que le comte Araktch'eietf y introduisait d'ej`a les colonies militaires. Karamzine, plus 'emu encore, restait 'epris des charmes de la bont'e imp'eriale. Mais o`u l'ont conduit ses pages audacieuses, ses indignations, ses condol'eances? Qu'a-t-il appris dans l'histoire russe, quel r'esultat a-t-il tir'e de ses recherches, lui qui, dans la pr'eface de son histoire, dit que l'histoire du pass'e est l'enseignement de l'avenir? Il n'y puisa qu'une seule id'ee: