История кавалера де Грие и Манон Леско = Ніstoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut
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Il parut fort sensible `a cette marque d’ouverture et de candeur. Sa r'eponse fut celle d’un homme qui a du monde et des sentiments ; ce que le monde ne donne pas toujours, et qu’il fait perdre souvent. Il me dit qu’il mettait ma visite au rang de ses bonnes fortunes, qu’il regarderait mon amiti'e comme une de ses plus heureuses acquisitions, et qu’il s’efforcerait de la m'eriter par l’ardeur de ses services.
Nous ne nous s'epar^ames qu’apr`es ^etre convenus du temps et du lieu o`u nous devions nous retrouver. Il eut la complaisance de ne pas me remettre plus loin que l’apr`es-midi du m^eme jour.
Je l’attendis dans un caf'e, o`u il vint me rejoindre vers les quatre heures, et nous pr^imes ensemble le chemin de l’h^opital.
Monsieur de T*** parla `a quelques concierges de la maison, qui s’empress`erent de lui offrir tout ce qui d'ependait d’eux pour sa satisfaction. Il se fit montrer le quartier o`u Manon avait sa chambre, et l’on nous y conduisit avec une clef d’une grandeur effroyable qui servit `a ouvrir sa porte. Je demandai au valet qui nous menait, et qui 'etait celui qu’on avait charg'e du soin de la servir, de quelle mani`ere elle avait pass'e le temps dans cette demeure. Il nous dit que c’'etait une douceur ang'elique ; qu’il n’avait jamais recu d’elle un mot de duret'e ; qu’elle avait vers'e continuellement des larmes pendant les six premi`eres semaines apr`es son arriv'ee ; mais que depuis quelque temps elle paraissait prendre son malheur avec plus de patience, et qu’elle 'etait occup'ee `a coudre du matin jusqu’au soir, `a la r'eserve de quelques heures qu’elle employait `a la lecture. Je lui demandai encore si elle avait 'et'e entretenue proprement. Il m’assura que le n'ecessaire du moins ne lui avait jamais manqu'e.
Nous approch^ames de sa porte. Mon coeur battait violemment. Je dis `a monsieur de T*** ;
Tout le reste d’une conversation si d'esir'ee ne pouvait manquer d’^etre infiniment tendre. La pauvre Manon me raconta ses aventures, et je lui appris les miennes. Nous pleur^ames am`erement en nous entretenant de l’'etat o`u elle 'etait, et de celui d’o`u je ne faisais que de sortir. Monsieur de T*** nous consola par de nouvelles promesses de s’employer ardemment pour finir nos mis`eres. Il nous conseilla de ne pas rendre cette premi`ere entrevue trop longue, pour lui donner plus de facilit'e `a nous en procurer d’autres. Il eut beaucoup de peine `a nous faire go^uter ce conseil. Manon surtout ne pouvait se r'esoudre `a me laisser partir. Elle me fit remettre cent fois sur ma chaise. Elle me retenait par les habits et par les mains. « H'elas ! dans quel lieu me laissez vous ! disait-elle. Qui peut m’assurer de vous revoir ? Monsieur de T*** lui promit de la venir voir souvent avec moi. « Pour le lieu, ajouta-t-il agr'eablement, il ne faut plus l’appeler l’h^opital ; c’est Versailles depuis qu’une personne qui m'erit'e l’empire de tous les coeurs y est renferm'ee. »
Je fis en sortant quelques lib'eralit'es au valet qui la servait, pour l’engager `a lui rendre ses soins avec z`ele. Ce garcon avait l’^ame moins basse et moins dure que ses pareils. Il avait 'et'e t'emoin de notre entrevue. Ce tendre spectacle l’avait touch'e. Un louis d’or dont je lui fis pr'esent acheva de me l’attacher. Il me prit `a l’'ecart en descendant dans les cours : « Monsieur, me dit-il, si vous me voulez prendre `a votre service ou me donner une honn^ete r'ecompense pour me d'edommager de la perte de l’emploi que j’occupe ici, je crois qu’il me sera facile de d'elivrеr mademoiselle Manon. »
Je voulus savoir quels moyens il avait dessein d’employer.
Nous conv^inmes donc avec le valet de ne pas remettre son entreprise plus loin qu’au jour suivant ; et, pour la rendre aussi certaine qu’il 'etait en notre pouvoir, nous r'esol^umes d’apporter des habits d’homme, dans la vue de faciliter notre sortie. Il n’'etait pas ais'e de les faire entrer ; mais je ne manquai pas d’invention pour en trouver le moyen. Je priai seulement monsieur de T*** de mettre le lendemain deux vestes l'eg`eres l’une sur l’autre, et je me chargeai de tout le reste.
Nous retourn^ames le matin `a l’h^opital. J’avais avec moi, pour Manon, du linge, des bas, etc., et par-dessus mon just-au-corps un surtout qui ne laissait rien voir de trop enfl'e dans mes poches. Nous ne f^umes qu’un moment dans sa chambre. Monsieur de T*** lui laissa une de ses deux vestes. Je lui donnai mon just-au-corps, le surtout me suffisant pour sortir. Il ne se trouva rien de manque `a son ajustement, except'e la culotte, que j’avais malheureusement oubli'ee.
L’oubli de cette pi`ece n'ecessaire nous e^ut sans doute appr^et'e `a rire, si l’embarras o`u il nous mettait e^ut 'et'e moins s'erieux. J’'etais au d'esespoir qu’une bagatelle de cette nature f^ut capable de nous arr^eter. Cependant je pris mon parti, qui fut de sortir moi-m^eme sans culotte. Je laissai la mienne `a Manon. Mon surtout 'etait long, et je me mis, `a l’aide de quelques 'epingles, en 'etat de passer d'ecemment `a la porte.
Le reste du jour me parut d’une longueur insupportable. Enfin, la nuit 'etant venue, nous nous rend^imes dans un carrosse un peu au-dessous de la porte de l’h^opital. Nous n’y f^umes pas longtemps sans voir Manon para^itre avec son conducteur. Notre porti`ere 'etant ouverte, ils mont`erent tous deux `a l’instant. Je recus ma ch`ere ma^itresse dans mes bras. Elle tremblait comme une feuille. Le cocher me demanda o`u il fallait toucher : « Touche au bout du monde, lui dis-je, et m`ene-moi quelque part o`u je ne puisse jamais ^etre s'epar'e de Manon. »
Ce transport, dont je ne fus pas le ma^itre, faillit de m’atirer un f^acheux embarras. Le cocher fit r'eflexion `a mon langage, et lorsque je lui dis ensuite le nom de la rue o`u nous voulions ^etre conduits, il me r'epondit qu’il craignait que je ne l’еngageasse dans une mauvaise affaire ; qu’il voyait bien que ce beau jeune homme qui s’appelait Manon 'etait une fille que j’enlevais de l’h^opital, et qu’il n’'etait pas d’humeur `a se perdre pour l’amour de moi.
La d'elicatesse de ce coquin n’'etait qu’une envie de me faire payer la voiture plus cher. Nous 'etions trop pr`es de l’h^opital pour ne pas filer doux. « Tais-toi, lui dis-je, il y a un louis d’or `a gagner pour toi. » Il m’aurait aid'e, apr`es cela, `a br^uler l’h^opital m^eme.
Nous gagn^ames la maison o`u demeurait Lescaut. Comme il 'etait tard, monsieur de T*** nous quitta en chemin avec promesse de nous revoir le lendemain ; le valet demeura seul avec nous.
Je tenais Manon si 'etroitement serr'ee entre mes bras, que nous n’occupions qu’une place dans le carrosse. Elle pleurait de joie et je sentais ses larmes qui mouillaient mon visage.
Lorsqu’il fallut descendre pour entrer chez Lescaut, j’eus avec le cocher un nouveau d'em^el'e dont les suites furent funestes. Je me repentis de lui avoir promis un louis, non seulement parce que le pr'esent 'etait excessif, mais par une autre raison bien plus forte, qui 'etait l’impuissance de le payer. Je fis appeler Lescaut. Il descendit de sa chambre pour venir `a la porte. Je lui dis `a l’oreille dans quel embarras je me trouvais. Comme il 'etait d’une humeur brusque et nullement accoutum'e `a m'enager un fiacre, il me r'epondit que je me moquais. « Un louis d’or ! ajouta-t-il ; vingt coups de canne `a ce coquin-l`a ! » J’eus beau lui repr'esenter doucement qu’il allait nous perdre, il m’arracha ma, canne avec l’air d’en vouloir maltraiter le cocher. Celui-ci, `a qui il 'etait peut-^etre arriv'e de tomber quelquefois sous la main d’un garde du corps ou d’un mousquetaire, s’enfuit de peur avec son carrosse, en criant que je l’avais tromp'e, mais que j’aurais de ses nouvelles. Je lui r'ep'etai inutilement d’arr^eter.
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