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История кавалера де Грие и Манон Леско = Ніstoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut
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Lescaut, `a qui ma col`ere suivie d’un fort long silence avait caus'e de l’embarras, fut ravi de me voir prendre un parti tout diff'erent de celui qu’il avait appr'ehend'e sans doute ; il n’'etait rien moins que brave, et j’en eus de meilleures preuves dans la suite. « Oui, oui, se h^ata-t-il de me r'epondre, c’est un fort bon service que je vous ai rendu, et vous verrez que nous en tirerons plus d’avantage que vous ne vous y attendiez. » Nous concert^ames de quelle mani`ere nous pourrions pr'evenir les d'efiances que M. de G*** M*** pouvait concevoir de notre fraternit'e en me voyant plus grand et un peu plus ^ag'e peut-^etre qu’il ne se l’imaginait. Nous ne trouv^ames point d’autre moyen que de prendre devant lui un air simple et provincial, et de lui faire croire que j’'etais dans le dessein d’entrer dans l’'etat eccl'esiastique, et que j’allais pour cela tous les jours au coll`ege. Nous r'esol^umes aussi que je me mettrais fort mal la premi`ere fois que je serais admis `a l’honneur de le saluer.

Il revint `a la ville trois ou quatre jours apr`es. Il conduisit lui-m^eme Manon dans la maison que son intendant avait eu soin de pr'eparer. Elle fit avertir aussit^ot Lescaut de son retour, et celui-ci m’en ayant donn'e avis, nous nous rend^imes tous deux chez elle. Le vieil amant en 'etait d'ej`a sorti.

Malgr'e la r'esignation avec laquelle je m’'etais soumis `a ses volont'es, je ne pus r'eprimer le murmure de mon coeur en la revoyant. Je lui parus triste et languissant. La joie de la retrouver ne l’emportait pas tout `a fait sur le chagrin de son infid'elit'e ; elle, au contraire, paraissait transport'ee du plaisir de me revoir. Elle me fit des reproches de ma froideur. Je ne pus m’emp^echer de laisser 'echapper les noms de perfide et d’infid`ele, que j’accompagnai d’autant de soupirs.

Elle me railla d’abord de ma simplicit'e ; mais lorsqu’elle vit mes regards s’attacher toujours tristement sur elle, et la peine que j’avais `a dig'erer un changement si contraire `a mon humeur et `a mes d'esirs, elle passa seule dans son cabinet. Je la suivis un moment apr`es. Je l’y trouvai tout en pleurs. Je lui demandai ce qui les causait.

« Il t’est bien ais'e de le voir, me dit-elle : comment veux-tu que je vive, si ma vue n’est plus propre qu’`a te causer un air sombre et chagrin ? Tu ne m’as pas fait une seule caresse depuis une heure que tu es ici, et tu as recu les miennes avec la majest'e du Grand Turc au s'erail.

« 'Ecoutez, Manon, lui r'epondis-je en l’embrassant, je ne puis vous cacher que j’ai le coeur mortellement afflig'e. Je ne parle point `a pr'esent des alarmes o`u votre fuite impr'evue m’a jet'e, ni de la cruaut'e que vous avez eue de m’abandonner sans un mot de consolation, apr`es avoir pass'e la nuit dans un autre lit que moi ; le charme de votre pr'esence m’en ferait bien oublier davantage. Mais croyez-vous que je puisse penser sans soupirs et m^eme sans verser des larmes, continuai-je en en versant quelques unes, `a la triste et malheureuse vie que vous voulez que je m`ene dans cette maison ? Laissons ma naissance et mon honneur `a part ; ce ne sont plus des raisons si faibles qui doivent entrer en concurrence avec un amour tel que le mien ; mais cet amour m^eme, ne vous imaginez-vous pas qu’il g'emit de se voir si mal r'ecompens'e ou plut^ot trait'e si cruellement par une ingrate et dure ma^itresse ?… »

Elle m’interrompit : « Tenez, dit-elle, mon chevalier, il est inutile de me tourmenter par des reproches qui me percent le coeur lorsqu’ils viennent de vous. Je vois ce qui vous blesse. J’avais esp'er'e que vous consentiriez au projet que j’avais fait pour r'etablir un peu notre fortune, et c’'etait pour m'enager votre d'elicatesse que j’avais commenc'e `a l’ex'ecuter sans votre participation ; mais j’y renonce, puisque vous ne l’approuvez pas. » Elle ajouta qu’elle ne me demandait qu’un peu de complaisance pour le reste du jour ; qu’elle avait d'ej`a recu deux cents pistoles de son vieil amant, et qu’il lui avait promis de lui apporter le soir un beau collier de perles avec d’autres bijoux, et par-dessus cela la moiti'e de la pension annuelle qu’il lui avait promise.

L’heure du souper 'etant venue, monsieur de G*** M*** ne se fit pas attendre longtemps. Lescaut 'etait avec sa soeur dans la salle. Le premier compliment du vieillard fut d’offrir `a sa belle un collier, des bracelets et des pendants de perles qui valaient au moins mille 'ecus. Il lui compta ensuite en beaux louis d’or la somme de deux mille quatre cents livres, qui faisait la moiti'e de la pension. Il assaisonna son pr'esent de quantit'e de douceurs dans le go^ut de la vieille cour. Manon ne put lui refuser quelques baisers ; c’'etait autant de droits qu’elle acqu'erait sur l’argent qu’il lui mettait entre les mains. J’'etais `a la porte, o`u je pr^etais l’oreille en attendant que Lescaut m’avert^it d’entrer.

Il vint me prendre par la main, lorsque Manon eut serr'e l’argent et les bijoux ; et me conduisant vers monsieur de G*** M***, il m’ordonna de lui faire la r'ev'erence. J’en fis deux ou trois des plus profondes.

« Excusez, monsieur, lui dit Lescaut, c’est un enfant fort neuf. Il est bien 'eloign'e, comme vous le voyez, d’avoir les airs de Paris ; mais nous esp'erons qu’un peu d’usage le faconnera. Vous aurez l’honneur de voir ici souvent monsieur, ajouta-t-il en se tournant vers moi ; faites bien votre profit d’un si bon mod`ele. »

Le vieil amant parut prendre plaisir `a me voir. Il me donna deux ou trois petits coups sur la joue, en me disant que j’'etais un joli garcon, mais qu’il fallait ^etre sur mes gardes `a Paris, o`u les jeunes gens se laissent aller facilement `a la d'ebauche. Lescaut l’assura que j’'etais naturellement si sage, que je ne parlais que de me faire pr^etre, et que tout mon plaisir 'etait `a faire des petites chapelles. « Je lui trouve l’air de Manon, » reprit le vieillard en me haussant le menton avec la main. Je r'epondis d’un air niais : « Monsieur, c’est que nos deux chairs se touchent de bien proche ; aussi j’aime ma soeur comme un autre moi-m^eme. – L’entendez-vous ? dit-il `a Lescaut ; il a de l’esprit. C’est dommage que cet enfant-l`a n’ait pas un peu plus de monde. – Ho ! monsieur, repris-je, j’en ai vu beaucoup chez nous dans les 'eglises, et je crois bien que j’en trouverai `a Paris de plus sots que moi. – Voyez, ajouta-t-il, cela est admirable pour un enfant de province. »

Toute notre conversation fut `a peu pr`es du m^eme go^ut pendant le souper. Manon, qui 'etait badine, fut plusieurs fois sur le point de g^ater tout par ses 'eclats de rire. Je trouvai l’occasion, en soupant, de lui raconter sa propre histoire et le mauvais sort qui le menacait. Lescaut et Manon tremblaient pendant mon r'ecit, surtout lorsque je faisais son portrait au naturel ; mais l’amour-propre l’emp^echa de s’y reconna^itre, et je l’achevai si adroitement qu’il fut le premier `a le trouver fort risible. Vous verrez que ce n’est pas sans raison que je me suis 'etendu sur cette ridicule sc`ene.

Enfin, l’heure du sommeil 'etant arriv'ee, il parla d’amour et d’impatience. Nous nous retir^ames, Lescaut et moi. On le conduisit `a sa chambre ; et Manon, 'etant sortie sous pr'etexte d’un besoin, nous vint rejoindre `a la porte. Le carrosse, qui nous attendait trois ou quatre maisons plus bas, s’avanca pour nous recevoir. Nous nous 'eloign^ames en un instant du quartier.

Quoiqu’`a mes propres yeux cette action f^ut une v'eritable friponnerie, ce n’'etait pas la plus injuste que je crusse avoir `a me reprocher. J’avais plus de scrupule sur l’argent que j’avais acquis au jeu. Cependant nous profit^ames aussi peu de l’un que de l’autre, et le ciel permit que la plus l'eg`ere de ces deux injustices f^ut la plus rigoureusement punie.

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