Le Cadavre G?ant (Гигантский кадавр)
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Fant^omas, d’ailleurs, pench'e sur les flots de la Seine, t'emoignait bien vite d’une certaine satisfaction.
— Tr`es bien ! disait-il. Rien n’est chang'e, et je ne vais pas avoir la moindre difficult'e…
Mais Fant^omas assur'ement exag'erait, car il semblait tout au contraire qu’il s’appr^etait `a se livrer `a l’un de ces p'erilleux exercices dans lesquels il 'etait pass'e ma^itre, qu’il accomplissait d’ordinaire comme en se jouant, en v'eritable amoureux de la gymnastique, en homme aussi qui aime `a affronter le danger, `a d'efier la mort, `a vaincre le p'eril…
D’un rapide coup d’oeil, le G'enie du crime s’assurait tout d’abord que nul ne pouvait 'epier ses faits et gestes. `A droite et `a gauche de la morgue, les ponts semblaient d'eserts. Bien 'evidemment nul passant `a cette heure ne se souciait de fl^aner aux environs de la sinistre maisonnette. Les gardiens de la paix, d’autre part, n’effectuaient pas de faction `a cet endroit. Fant^omas 'etait donc tranquille, libre d’agir.
Et d`es lors, en effet, il se h^atait…
Le Ma^itre de l’effroi, tout d’abord, commencait par enjamber le parapet. Il se retenait `a la pierre, et se laissait pendre dans le vide. Ses pieds ras`erent alors la muraille, cherchant un point d’appui. Il finit par trouver, en t^atonnant, un gros anneau de fer, mis l`a 'evidemment pour aider au sauvetage de quelque p'eniche en danger de naufrage en ce coin du fleuve o`u les courants sont toujours tr`es violents.
Fant^omas, appuy'e sur cet anneau, risquait alors la plus p'erilleuse des gymnastiques : il se collait litt'eralement `a la muraille, puis, l^achant les mains, il se laissait tomber sur la droite, ses pieds posant sur l’anneau, lui permettant de se tendre, de s’allonger…
Or, en tombant de la sorte, Fant^omas finissait par pouvoir attraper des deux mains un autre anneau de fer auquel il semblait ne se retenir qu’une seconde `a peine.
Fant^omas, en effet, l^achait `a ce moment l’appui de ses pieds. Son corps tombait, tournant au bout de ses bras, un coup de rein augmentait son 'elan, et cette fois il bondissait dans le vide…
Et ce bond de Fant^omas, ce bond qu’il r'eussissait ainsi, ayant pris par sa chute calcul'ee une sorte d’'elan factice, 'etait merveilleusement voulu.
Loin de tomber, en effet, loin de rouler dans le fleuve qui clapotait en dessous de lui, Fant^omas se jetait litt'eralement contre les grillages d’une sorte de petite fen^etre perc'ee dans les murs m^eme de la morgue et qui surplombe le fleuve. Il s’agrippait aux barreaux, bandait ses muscles, un r'etablissement, un coup de rein encore, lui permettaient de se relever, de prendre pied sur la fen^etre.
Le reste, d`es lors, n’'etait qu’un jeu d’enfant !… Fant^omas, 'etendant le bras, pouvait atteindre en effet au-dessus de sa t^ete le rebord de la goutti`ere du toit. Il l’empoignait `a pleines mains, faisait encore un effort prodigieux et se hissait dans cette goutti`ere.
Le bandit n’avait plus alors qu’`a traverser le toit `a plat ventre pour sauter dans la courette int'erieure. Une fois l`a, il lui 'etait 'evidemment facile de p'en'etrer dans les diff'erentes salles dont les portes int'erieures n’'etaient naturellement pas ferm'ees.
Fant^omas, quelques instants plus tard, en effet, se trouvait seul dans la cour int'erieure de la morgue. D’abord, il commencait par s’asseoir sur le brancard d’une civi`ere qui tra^inait l`a, `a l’abandon, ayant 'et'e probablement d'epos'ee tr`es tard par les porteurs de quelque h^opital.
Fant^omas, sans souci du tragique endroit o`u il se trouvait, tirait une cigarette de sa poche, l’allumait, en aspirait quelques bouff'ees…
Et c’'etait seulement lorsqu’il s’'etait repos'e quelques secondes que Fant^omas se d'ecidait `a se lever.
— Inutile de fl^aner maintenant, murmurait-il ; je dois songer au plus press'e.
Fant^omas jeta sa cigarette et, semblant fort d'ecid'e, paraissant se diriger vers un but tr`es net, entra dans une sorte de petit corridor qui, longeant l’amphith'e^atre o`u sont profess'es les cours de m'edecine l'egale, aboutissait `a la salle o`u le public est admis `a d'efiler devant les cadavres inconnus que la police tient `a faire identifier.
— Je ne suppose pas, murmurait Fant^omas, que Juve l’a fait mettre parmi les morts expos'es… Voyons tout de m^eme !
Arriv'e dans la salle du public, dans cette salle macabre, s'epar'ee en deux par une grande vitre, derri`ere laquelle sont expos'es les morts, Fant^omas s’arr^etait interdit.
Certes, le Ma^itre de l’'epouvante avait maintes et maintes fois commis d’'epouvantables horreurs. Certes, lui qui se vantait `a juste titre d’^etre le plus raffin'e des tortionnaires, avait assist'e `a des spectacles plus abominables encore.
Mais l’impression qui se d'egageait de la vision nocturne qu’il avait sous les yeux, de ces morts inconnus qui 'etaient l`a, roidis dans une pose conventionnelle ayant l’air de dormir d’un sommeil de cauchemar, lui causait un malaise ind'efinissable et cette sensation nouvelle le forcait sans doute `a r'efl'echir que lui, qui avait tant tu'e, serait un jour tout comme un autre, un pauvre et mis'erable cadavre, puisque la mort est 'egale pour tous, 'etant une loi in'eluctable, une loi courbant sous son tranchet les forts, les puissants, les riches, aussi bien que les pauvres et les faibles…
Fant^omas, machinalement, s’'etait d'ecouvert…
Il 'eprouva brusquement une certaine honte de son attitude respectueuse.
Lui qui n’admettait aucune contrainte, se r'evoltait `a l’id'ee du plus faible amoindrissement occasionn'e `a sa volont'e souveraine, ne pouvait tol'erer d’^etre victime d’un sentiment de respect.
— Ah ! je suis un sot ! bougonna-t-il… Ces mis'erables disparus me font en v'erit'e plus peur qu’une arm'ee de policiers…
Celui qu’il cherchait, toutefois, n’'etait pas parmi les cadavres expos'es. Fant^omas n’avait d`es lors aucun motif de s’attarder dans la salle commune.
Tournant les talons, il revenait en cons'equence sur ses pas, regagnait la courette de la morgue, se dirigeant vers une sorte de mur perc'e d’'etroites niches dont chacune 'etait ferm'ee par une petite porte de fer.
— Voyons le frigorifique, murmurait-il.
Ce mur aux trous multiples, c’'etait en effet l’appareil frigorifique dans lequel, `a la morgue, au moyen d’un froid intense, on arrive `a conserver intacts, pendant fort longtemps, les corps qui sont n'ecessaires pour des recherches judiciaires de police.