Le Cadavre G?ant (Гигантский кадавр)
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— Bouzille, appelait Juve, voil`a assez de bavardages… Il s’agit maintenant de travailler. O`u diable as-tu vu le cadavre, o`u diable l’as-tu vu rep^echer ?
Bouzille, pour r'epondre, soulevait sa casquette, et de son ongle noir se grattait avec soin le cuir chevelu.
— Heu ! faisait-il, c’est comme qui dirait ici, mais tout d’m^eme, ce n’est pas l`a !
La r'eponse 'etait bien digne de Bouzille, mais Juve comprit que s’il ne faisait pas preuve de quelque autorit'e, il n’obtiendrait rien du chemineau qui savait toujours `a merveille 'eviter les r'eponses pr'ecises.
— Bouzille, articulait Juve, tu vas me dire, oui ou non, o`u tu as vu ce cadavre. M`ene-moi `a l’endroit exact…
Bouzille, `a cet instant, se gratta la t^ete avec plus d’'energie encore.
— Bon, bon, faisait-il. Seulement, si l’on va l`a-bas, on nous verra de l’enfer. Et si on nous voit de l’enfer, l`a sauce tournera certainement…
Bouzille manifestait une inqui'etude non dissimul'ee et jetait d'esormais des regards `a droite et `a gauche, tout comme s’il e^ut m'edit'e de faire retraite et d’abandonner Juve brusquement.
Le policier, par bonheur, connaissait son homme. Juve, avec un air innocent, prenait donc Bouzille par le bras et le forcait ainsi `a demeurer tranquille.
— Bouzille, Bouzille, demandait Juve, voil`a quatre fois que tu me parles de l’enfer, et quatre fois que tu ne veux pas m’expliquer ce que c’est. Fais bien attention, je n’aime pas qu’on se moque de moi ; par cons'equent, t^ache de filer droit !… Tu vas m’y mener.
— O`u ? demanda Bouzille.
— `A l’enfer ! murmura Juve.
Bouzille ne r'epondit rien, mais fit une grimace abominable, ronchonnant quelque chose qui tendait `a prouver qu’on 'etait bien b^ete de rendre service aux gens, qu’il fallait surtout prendre garde de dire quoi que ce soit devant eux, car ils en abusaient ensuite pour vous contraindre aux plus p'erilleuses sottises… Juve n’'ecoutait naturellement pas ces r'ecriminations, et force 'etait alors `a Bouzille d’entra^iner le policier.
Chemin faisant, d’ailleurs, le chemineau paraissait se rass'er'ener.
— N’est-ce pas, commencait-il, faudra ^etre prudent, m’sieur Juve ! Dans l’enfer, y a de tout… des bons et des mauvais bougres. Moi, j’suis pas connu, seulement tout de m^eme on m’conna^it. Alors, apr`es, si vous faisiez des b^etises, on m’collerait un couteau dans l’dos… D’ailleurs, je n’sais pas si vous ressortirez de l`a-dedans. Enfin, c’est s^ur qu’en enfer ils ont d^u voir qui c’'etait qu’on trimballait d’la sorte et qu’on rep^echait dans l’jus…
Les paroles de Bouzille 'etaient fortement embrouill'ees, et totalement incompr'ehensibles. Juve n’y pr^eta pas attention. Il suivait le chemineau qui traversait la Seine et commencait `a descendre sur les berges, il demandait encore :
— Bouzille, il faut me renseigner. Qu’appelles-tu l’enfer ? Un bouge ? un mastroquet ?
— Non, dit Bouzille, c’est un trou…
Et comme Juve le regardait avec surprise, ne comprenant point et ne pouvant pas comprendre ce qu’il voulait dire, il repartait avec un grand s'erieux :
— Voil`a, m’sieur Juve ! C’est rapport aux flics et aux quarts d’oeil qui sont toujours `a faire des emb^etements aux bougres qu’ont pas d’chapeau haut de forme. Alors, n’est-ce pas, tranquillement, on a trouv'e ceci… et quand j’dis on, vous comprenez, je parle d’un groupe de gars qu’ont rudement pas froid aux yeux… On a trouv'e ceci qui est un asile et o`u l’on est le plus tranquille du monde. C’est un trou, et c’est l’enfer !
— Bouzille, tu te fiches de moi, interrompit Juve. Je ne comprends rien `a ce que tu me racontes, parle nettement o`u je me f^ache !
`A cette menace, Bouzille levait les bras au ciel, prenait un air si d'esesp'er'e que sa figure, nagu`ere souriante, devenait 'etrangement comique.
— Mais j’parle clairement, affirmait Bouzille… J’parle francais, aussi… Un trou, quoi… c’est un trou, c’est un truc creux dans lequel il n’y a rien… Et puis d’abord, y a pas besoin de chercher midi `a quatorze heures, m’sieur Juve, vous devriez deviner… l’enfer, c’est un trou, un trou dans lequel y a des gars, des gars qui n’ont peur de rien et qui s’sont fichus en r'epublique…
Les paroles de Bouzille 'etaient cependant si peu claires que Juve cette fois s’emportait :
— Et ce trou, demandait-il rudement, o`u est-il ?
Bouzille tapa du pied sur la berge :
— L`a, d'eclarait-il.
Or Juve ne voyait rien.
— Bouzille, commenca le policier, ca va s^urement se g^ater !
Mais les menaces de Juve ne paraissaient plus d'esormais impressionner le chemineau.
— Quand j’dis la v'erit'e, poursuivait Bouzille d’un ton indign'e, j’aime pas qu’on m’dise que j’mens… Moi, ca me met dans des 'etats… D’ailleurs, j’vais vous l’montrer, vot’trou, m’sieur Juve ! Oui, j’vais vous l’montrer, et vous pourrez r’garder des fois si c’est l`a qu’est l’cadavre !
Bouzille, tout en parlant, traversait la berge, se dirigeant vers la pente qui surplombe le fleuve.
— Parce que, n’est-ce pas, ajoutait-il, vous comprenez bien que si moi j’ai pu voir quelque chose de d’sus l’pont, il est bien 'evident que de l’enfer on a pu voir mieux encore. Donc…
Bouzille, `a ce moment, se livrait `a un 'etrange exercice. Il s’'etait couch'e sur le sol, `a plat ventre, il se tra^inait vers la Seine, et, bient^ot, se retenant au rebord du quai, il se laissait pendre au-dessus des flots.
— Allez ! faites comme moi !… proposait Bouzille.
Juve imita la manoeuvre du chemineau, commencant `a se demander ce que tout cela signifiait.
Or, comme Juve se retenait ainsi `a la berge, il voyait distinctement, juste `a c^ot'e de lui, la porte noire d’un 'egout qui semblait abandonn'e.
Bouzille, du bout de son soulier, heurtait violemment la grille.
Il se passait alors quelques minutes, puis une voix cass'ee, enrou'ee, une de ces voix de mis`ere et de crime qui suffisent `a causer l’'epouvante, s’informait :