Том 7. О развитии революционных идей в России
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Il n'est point rare de voir toute la gestion des affaires confi'ee `a l'autorit'e d'une grand'm`ere aux cheveux blancs. Est-ce bien l`a une preuve que la famille n'existe pas en Russie?
Passons aux seigneurs dans leurs rapports avec la famille serve.
Mais pour la clart'e du r'ecit, distinguons la norme des abus, les droits des crimes.
Le droit du seigneur n'a jamais exist'e chez les Slaves.
Le propri'etaire ne peut l'egalement exiger ni les pr'emices d'un mariage, ni l'infid'elit'e aux liens conjugaux. Si la loi 'etait ex'ecut'ee en Russie, il serait puni 'egalement pour le viol d'une femme serve, comme pour un attentat contre une femme libre; c'est-`a-dire qu'il encourrait les travaux forc'es ou l'exil en Sib'erie, avec perte de tous ses droits, selon la gravit'e des circonstances. Telle est la loi; regardons les faits.
Je ne pr'etends point contester qu'avec la position sociale que le gouvernement a faite aux seigneurs, il ne leur soit tr`es facile
De d'ebaucher les filles et les femmes de leurs serfs. A force
Il n'est pas 'etonnant non plus que le p`ere et le mari les plus honn^etes nepuissent trouver justice contre le seigneur, gr^ace `a la belle organisation judiciaire en Russie; tous les deux se verront alors dans la position de M. Tiercelin, auquel Louis XV fit voler, par M. Berryer, sa fille ^ag'ee de onze ans. Toutes ces sales infamies sont parfaitement possibles, je l'avoue; il suffit d'en appeler au souvenir de ceux qui connaissent les moeurs grossi`eres et d'eprav'ees d'une partie de la noblesse russe; mais quant au paysan, celui-ci est bien loin d'^etre indiff'erent au d'evergondage de ses ma^itres.
Permettez-moi de vous en citer une preuve:
La moiti'e des seigneurs assassin'es par leurs paysans (les documents statistiques en portent le chiffre de soixante `a soixante-dix par an) tombent victimes de leurs exploits erotiques. Les proc`es sont rares; le paysan sait que le tribunal reste invariablement, sourd `a ses plaintes; mais il a une hache, il la manie d'une mani`ere admirable, et il le sait.
Gela dit sur les paysans, je vous demanderai, Monsieur, de vouloir bien me suivre dans quelques r'eflexions au sujet de la Russie civilis'ee.
Vous n'avez pas 'et'e plus indulgent pour le mouvement intellectuel que pour le caract`ere populaire; d'un seul trait de plume vous en avez effac'e tout le travail, un travail produit par des mains encha^in'ees.
Un des personnages de Shakespeare ne sachant comment humilier un adversaire m'epris'e, lui dit: «Je doute m^eme si tu existes!» Vous ^etes all'e plus loin, Monsieur; vous ne doutez m^eme de la non-existence de la litt'erature russe.
Je cite textuellement vos paroles:
«Nous ne nous amusons pas `a regarder en haut, si quelques gens d'esprit de P'etersbourg, s'exercant dans la langue russe, comme dans une langue savante, ont amus'e l'Europe de la p^ale repr'esentation d'une pr'etendue litt'erature russe. Sans m0ll respect pour Mickiewicz, pour les erreurs des saints, j'accuserais volontiers la facilit'e (disons m^eme la cl'emence) avec laquelle il a bien voulu parler s'erieusement de cette plaisanterie».
Je cherche en vain, Monsieur, la raison de cet accueil de d'edain avec lequel vous recevez le premier cri de douleur d'un peuple qui se r'eveille en prison, 'elan que la main du ge^olier s'efforce d''etouffer d'ej`a `a sa naissance.
Pourquoi n'avez-vous pas voulu pr^eter l'oreille aux accents d'echirants de notre po'esie si triste, de nos chants qui ne sont que des larmes sonores? Quel est le voile qui est venu vous d'erober la vue de notre rire convulsif, de cette ironie perp'etuelle qui cache notre coeur profond'ement ulc'er'e, et qui n'est au fond que la conscience fatale de notre impuissance?
Ah, que je voudrais pouvoir traduire dignement pour vous quelques pi`eces lyriques de Pouchkine, de Lermontoff, ou quelques chansons populaires de Koltzoff! Vous nous tendriez une main cordiale, Monsieur, vous seriez alors le premier `a nous demander l'oubli de vos affirmations pr'ec'edentes.
Apr`es le communisme moujique, rien ne caract'erise plus la Russie, rien ne pr'esage autant son avenir, que son mouvement litt'eraire.
Entre le paysan et la litt'erature, se dresse le monstre de la Russie officielle, de la
Cette Russie commence par l'empereur et continue de soldat `a soldat, de greffier `a greffier, jusqu'au plus petit adjoint d'un commissaire de police dans le district le plus 'eloign'e de l'empire. C'est ainsi qu'elle se d'eroule et qu'elle gagne `a chaque degr'e, comme dans les Bolgi de Dante, une nouvelle puissance de mal, une plus grande intensit'e de d'epravation et de tyrannie. Pyramide vivante de crimes, d'abus, de concussions, de b^atons de police, d'administrateurs allemands sans coeur et toujours affam'es, de juges ignorants et toujours ivres, d'aristocrates toujours laquais; le tout soud'e par la complicit'e, parle partage du butin, et appuy'e enfin sur six cent mille machines organiques `a ba"ionnette.
Le paysan ne se souille jamais par le contact avec ce monde de cynisme gouvernemental; il l'endure, voil`a sa seule complicit'e.
Le camp oppos'e `a la Russie officielle se forme d'une poign'ee d’hommes r'esign'es, qui protestent, qui la combattent, qui la d'evoilent, qui la minent.
Lutteurs isol'es de temps `a autre ils se voient tra^in'es aux casemates, tortur'es, d'eport'es en Sib'erie, mais les postes ne restent oas longtemps vacants; de nouveaux combattants s'avancent; c'est l`a notre tradition, c'est l`a notre majorat `a nous.
Les cons'equences terribles de la parole humaine en Russie, en augmentent n'ecessairement la force. La voix de l'homme libre est recueillie avec sympathie et v'en'eration, car pour l''elever chez nous, il faut absolument avoir quelque chose `a dire. On ne se d'ecide pas trop l'eg`erement `a publier ses pens'ees, lorsque au bout de chaque feuille, l'on voit poindre le gendarme, la tro"ika, la kibitka, et en perspective Tobolsk ou Irkoutsk.
J'ai assez parl'e dans ma pr'esente brochure de la litt'erature russe; je n'ajouterai ici que quelques r'eflexions g'en'erales.