Том 7. О развитии революционных идей в России
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Tristesse, scepticisme, ironie, telles sont les trois cordes de la lyre russe.
Lorsque Pouchkine commence un de ses meilleurs po`emes par ces mots calmes et lugubres: «Il n'y a pas de justice sur la terre… mais encore il n'y en a pas l`a-haut! C'est clair comme une simple gamme musicale!» [60] Ne croiriez-vous pas, Monsieur, sentir votre coeur glac'e, entrevoir derri`ere cette apparente tranquillit'e, une existence bris'ee, deviner un homme qui s'habitue d'ej`a `a souffrir?
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Mozart et Salieri. Ce po`eme est traduit en allmand, par M. Kodenstadz!
Lermontoff, accabl'e du d'ego^ut de la soci'et'e au milieu de laquelle il vivait, adresse, `a peine ^ag'e de 30 ans, `a ses contemporains les paroles suivantes:
«Je contemple avec douleur notre g'en'eration; son avenir est vide et sombre; elle vieillira dans l'inaction, elle s'affaissera sous le poids du doute et d'une science st'erile.
La vie nous fatigue comme un long voyage sans but.
Nous sommes comme ces fruits pr'ecoces qui s''egarent parfois, orphelins 'etrangers parmi les fleurs; ils ne charment ni l'oeil ni le go^ut; ils tombent au moment de m^urir…
Nous nous pr'ecipitons vers la tombe, sans bonheur, sans gloire, et nous jetons avant le tr'epas un regard d'amer d'edain sur notre pass'e.
Nous passerons inapercus sur cette terre, foule morne, silencieuse et bient^ot oubli'ee.
Nous ne l'eguerons rien `a nos descendants, ni une id'ee f'econde ni aucune oeuvre de g'enie, et ils insulteront nos cendres par un vers d'edaigneux ou par le sarcasme qu'adresse un fils ruin'e `a un p`ere dissipateur».
Je ne connais qu'un seul po`ete moderne qui ait fait vibrer avec autant de force les cordes sombres de l'^ame humaine. Ce po`ete naquit aussi esclave, et mourut 'egalement avant le r'eveil de sa patrie. C'est l'apologiste de la mort, le c'el`ebre L'eopardi, lui qui se repr'esentait le monde comme une ligue de malfaiteurs faisant une guerre acharn'ee `a quelques fous vertueux.
La Russie n'a eu qu'un peintre g'en'eralement connu: Bruloff. Quel est donc le sujet o`u l'artiste a cherch'e l'inspiration, quel est, dis-je, le sujet de son tableau chef-d'oeuvre, qui lui a valu quelque r'eputation en Italie?
Regardez cette 'etrange production.
Sur une immense toile vous voyez des groupes d'hommes stup'efaits, effray'es; ils s'efforcent de se sauver; ils p'erissent au milieu d'un tremblement de terre, d'une 'eruption volcanique, d'un v'eritable orage de cataclysme; ils succombent `a une force sauvage, stupide, inique, contre laquelle toute r'esistance serait inutile. Telle est l'inspiration puis'ee dans l'atmosph`ere de P'etersbourg.
Le roman russe n'est que de l'anatomie pathologique; ce n'est qu'une constatation du mal qui nous ronge, une accusation continuelle de soi-m^eme, accusation sans r'epit ni mis'ericorde. Ici l'on n'entend point la voix douce descendue des ci eux, et qui annonce `a Faust le pardon de la jeune fille coupable. Ici l'on ne cherche pas de consolation; le doute, la mal'ediction, seuls 'el`event ici la parole. Et pourtant, si la Russie peut ^etre sauv'ee, elle le sera par ce sentiment profond de notre situation, et par le peu de soin que nous mettons `a le cacher devant le monde.
«Celui qui avoue franchement ses d'efauts, sent qu'il y a en l ii quelque chose qui 'echappe et r'esiste `a la chute; il comprend qu'il peut racheter son pass'e, et non seulement relever la t^ete, mais devenir, comme dans la trag'edie de Byron, Sardanapale le h'eros, de Sardanapale l'eff'emin'e».
Le peuple russe ne lit pas. Vous le savez bien, Monsieur, ce n''etait pas non plus le peuple d'es campagnes qui lisait les Voltaire et les Diderot; c''etaient la noblesse et une partie du tiers 'etat. La partie 'eclair'ee du tiers 'etat appartient en Russie `a la noblesse. Cette derni`ere se constitue de tout ce qui a cess'e d'^etre peuple; elle a m^eme un prol'etariat nobiliaire, qui se fond en partie dans l''el'ement populaire, et un autre prol'etariat affranchi qui remonte vers le haut et s'ennoblit. Cette fluctuation, ce va-et-vient continuel, imprime `a la noblesse russe un caract`ere que vous ne trouverez pas dans les classes privil'egi'ees du reste de l'Europe. En un mot, toute l'histoire russe, depuis Pierre Ier n'est que l'histoire de la noblesse et de l'influence que la civilisation europ'eenne a exerc'ee sur cette derni`ere. J'ajouterai ici que le-nombre de la noblesse en Russie, 'egale au moins la moiti'e du chiffre des 'electeurs en France, apr`es la loi du 31 mai.
Pendant le XVIIIe si`ecle, la litt'erature n'eo-russe poursuivait le proc`es de l''elaboration de cette langue riche, sonore et magnifique que nous 'ecrivons aujourd'hui, langage souple, 'energique, apte `a exprimer les id'ees les plus abstraites de la m'etaphysique allemande, et la phrase l'eg`ere, p'etillante d'esprit, de la conversation francaise. Cette litt'erature, 'eclose sous l'inspiration du g'enie de Pierre Ier, pr'esentait un caract`ere gouvernemental, il est vrai, mais gouvernemental alors signifiait r'eformateur, presque r'evolutionnaire.
Le tr^one imp'erial, jusqu'au moment de la grande R'evolution de 89, se drapait majestueusement dans les plus beaux plis de la civilisation et de la philosophie europ'eennes. Catherine II m'eritait qu'on lui repr'esent^at des villages en carton et des palais en planches fra^ichement badigeonn'ees; personne ne. connaissait mieux qu'elle l'art de la mise en sc`ene. Au palais de l'Ermitage s''etalaient `a l'envi Voltaire, Montesquieu, Beccaria. Vous connaissez, Monsieur, le revers de la m'edaille.
Cependant, un accent inattendu, 'etrange, commencait `a troubler le concert triomphal des apologies pindariques de la cour. Ce son, vibrant d'une ironie sarcastique, d'une tendance fortement prononc'ee vers la critique, vers le scepticisme, ce son, dis-je, 'etait le seul susceptible de vitalit'e, de d'eveloppement ult'erieur. Le reste, temporaire et exotique, devait n'ecessairement p'erir.
Le v'eritable caract`ere de la pens'ee russe po'etique ou sp'eculative, se d'eveloppe dans toute sa force depuis l'av`enement au tr^one de Nicolas. Le trait distinctif de ce mouvement, c'est une 'emancipation tragique de la conscience, une n'egation implacable, une ironie am`ere, un malheureux retour sur soi-m^eme. Un rire fou l'accompagne parfois, mais ce rire n'a en lui rien de gai.
Jet'e dans un milieu accablant, dou'e d'une grande sagacit'e, d'une logique fatale, le Russe s'affranchit brusquement de la religion et des moeurs de ses p`eres.
Le Russe 'emancip'e est l'homme le plus ind'ependant de l'Europe. Qui est-ce qui pourrait l'arr^eter? Serait ce le respect pour son pass'e?.. Mais l'histoire de la Russie nouvelle ne commen-ce-t-elle pas par une n'egation absolue de la nationalit'e et de la tradition?
Serait-ce cet autre pass'e ind'efini, la p'eriode de P'etersbourg peut-^etre? Ah, celui-l`a ne nous oblige `a rien;
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Ainci aue l’a dit admirablement un collaborateur du journal Il Progresso,dans un article la Russe, publie le 1er ao'ut 1851.