La livr?e du crime (Преступная ливрея)
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La demi-mondaine ne disait rien. Elle regardait les deux adversaires en pr'esence : S'ebastien, malingre, `a demi-mort de n'evrose et de fatigue, fou de d'esespoir, aveugle ; et, en face de lui, Bernard, robuste, puissant, 'epaules noueuses, bras muscl'es, farouche, le regard charg'e de haine. Elle eut peur, soudain de se mettre du c^ot'e du plus faible et d’^etre alors la victime de celui qui, assur'ement, fou de jalousie, serait le plus fort.
— Et quand ca serait ? hurla-t-elle alors. Oui, quand ca serait ? Que peux-tu dire ? Que peux-tu donc penser ? Tu veux, pauvre mis'erable S'ebastien, que nous mettions bas les masques. Soit. 'Ecoute. Tu as voulu la v'erit'e, la voici. T’aimer, moi ? Allons donc. Ca n’est pas une femme comme moi qui peut s’'eprendre d’un ^etre comme toi. Apprends-le donc, je n’en ai jamais voulu qu’`a ton argent, et je ne me g^ene pas pour le dire, car d’ici peu, tu ne seras gu`ere en 'etat de le r'ep'eter. Non, je ne t’aime pas. Je ne t’ai jamais aim'e, car il en est un autre que j’aime. Dont je suis folle, qui occupe toute mon ^ame, tout mon coeur, toute ma pens'ee, c’est lui, c’est Bernard, mon premier, mon seul, mon unique amour. Bernard, finissons-en.
La mis'erable elle-m^eme prit dans la poche de l’ouvrier le couteau qui s’y trouvait. Elle ouvrit l’arme, elle la placa de force dans la main du terrassier :
— Va donc, va donc, murmura-t-elle, anxieuse, il faut en finir. Nous avons 'et'e trop loin. Tant pis, advienne que pourra.
Elle se recula, poussa le terrassier par les 'epaules dans la direction de S'ebastien, effondr'e dans son fauteuil.
— Va donc, ordonnait-elle, frappe.
Mais l’ouvrier n’ob'eissait pas. Il demeurait immobile, silencieux, le sourcil fronc'e, le regard hargneux, la l`evre mauvaise.
Soudain Bernard, qui 'etait demeur'e atterr'e, poussa un rugissement sauvage. Ah cette fois, l’homme sortit de sa stupeur, s’arrachant `a son immobilit'e. Son bras se leva, terrible :
— Bravo Bernard, dit Rita, frappe, tue-le.
Mais elle s’interrompit. Bernard avait cri'e :
— Mis'erable.
C’'etait `a Rita d’Anr'emont qu’il s’adressait, c’'etait vers elle qu’il tournait son arme meurtri`ere. Et plus vif que la pens'ee, plus rapide que l’'eclair, il plongea le couteau jusqu’`a la garde, dans la poitrine de Rita d’Anr'emont.
Un flot de sang jaillit de la blessure.
— Gr^ace, hurla Rita d’Anr'emont qui, dans un effort surhumain, se redressa, arracha l’arme et, de ses deux mains, comprimait la plaie b'eante. Elle fit deux pas, puis chancela, s’abattit. Sa t^ete, lourdement, vint tomber sur les genoux de S'ebastien.
L’aveugle avait entendu un dernier appel :
— Au secours, S'ebastien, murmuraient les l`evres d'ej`a presque inertes de sa ma^itresse.
Et d`es lors, ivre de fureur `a son tour, l’infirme se pr'ecipita au hasard devant lui, foncant dans les t'en`ebres, hurlant comme une b^ete bless'ee, hurlant lui aussi `a la mort. Apr`es avoir tr'ebuch'e dans le cadavre de la demi-mondaine, S'ebastien, absolument fou, se heurta au terrassier. Celui-ci, `a genoux sur le tapis de la pi`ece, demeurait hagard, hypnotis'e, comprenant `a peine ce qu’il venait de faire. Mais soudain le robuste ouvrier recut un choc en pleine poitrine, cependant qu’il tombait en arri`ere.
S'ebastien, de tout son poids, 'etait tomb'e sur le terrassier, et ses mains nerveuses et fines se serraient autour du cou de l’homme, l’emprisonn`erent comme dans un 'etau. L’infortun'e jeune homme n’avait rien d’un athl`ete, mais la rage et le d'esespoir centuplaient son 'energie. Il 'etait fou, incapable de se rendre compte de ce qu’il faisait. Un homme qu’il ne connaissait pas venait, tout `a coup, de lui apprendre qu’il 'etait 'epris de sa ma^itresse `a lui, il venait lui raconter brutalement, l^achement, que cette femme 'etait indigne de cet amour, il le prouvait. Puis cet homme assassinait l’infortun'ee Rita.
Et, cependant que le terrassier se d'ebattait, g'emissait, faisait des bonds affreux, l’'etreinte de S'ebastien ne se desserrait pas. L’homme s’'etait relev'e, essayant de se secouer, de faire l^acher prise aux mains nerveuses qui l’'etranglaient. En vain. S'ebastien ne l^achait pas. Ses doigts s’incrustaient dans la chair, crevaient la peau, p'en'etraient dans la gorge. Brusquement, le corps de Bernard retomba lourdement inerte. La t^ete du mis'erable r'esonna sur le plancher.
— Il est mort, murmura l’aveugle, Rita, o`u es-tu ?
Horreur, le corps 'etait presque froid. Rita 'etait morte, bien morte.
— Au secours, au secours ! hurla S'ebastien en proie au d'elire. Au secours !
Il se pr'ecipita sans savoir, au hasard de la pi`ece, se heurtant `a tous les murs. Soudain, sa main tremblante rencontra une poign'ee que, machinalement, il fit tourner, c’'etait l’issue. Une bouff'ee d’air froid le frappa au visage. Il aspira profond'ement, emplissant ses poumons, et se pr'ecipita en avant sur ce qu’il imaginait ^etre le palier de la maison dont les moindres d'etails lui 'etaient connus. Un obstacle, soudain, l’arr^eta dans sa course. S'ebastien se heurta `a une sorte de barre qui lui venait `a mi-corps et, entra^in'e par son 'elan, il bascula, la t^ete en avant, par-dessus cette barre. Le malheureux avait pris la fen^etre pour la porte, tombant par dessus le balcon. Il s’effondra sur les dalles du perron et se brisa le cr^ane en arrivant au sol.
20 – FACE `A FACE
Dans les jardins du Trocad'ero, une ombre se profilait, souple et silencieuse. Cette ombre en suivait une autre.
Ils se rejoignirent. Et la femme aussit^ot, une femme grande et svelte, `a l’allure 'el'egante, s’adressa `a son myst'erieux compagnon :
— Vous ^etes venu. Je vous vois enfin. Dieu soit lou'e. Mais pourquoi m’avoir fait attendre ainsi ?
— Pardonnez-moi, lady Beltham, je commence `a respirer. C’est apr`es avoir triomph'e des plus terribles dangers.
— Fant^omas, murmura lady Beltham, je comprends ce que vous voulez dire. Les crimes que vous avez m'edit'es se sont r'ealis'es et la liste de vos forfaits s’allonge encore.
— Venez, ne restons pas l`a. Ce jardin, quoique d'esert, peut ^etre surveill'e et par suite, il est redoutable aussi bien pour moi que pour vous.
— H'elas, murmura la grande dame, il est vrai que d'esormais je dois ^etre poursuivie, traqu'ee, chass'ee, par tout le monde. C’est vous, qui m’avez encore replong'ee dans cette affreuse situation. Pourquoi l’avez-vous fait, Fant^omas ?
— Je suis tout pr^et `a vous fournir les explications qui vous paraissent n'ecessaires, d'eclara le bandit. Mais auparavant, quittons ces lieux.
Fant^omas, pr'ec'edant lady Beltham, descendit jusqu’au bord du quai de Passy. Une automobile stationnait l`a, superbe voiture aux phares 'etincelants. Fant^omas, galamment, tendit la main `a lady Beltham, la fit monter dans le v'ehicule, et, donnant des instructions au m'ecanicien, il vint ensuite s’asseoir `a l’int'erieur de la voiture, `a c^ot'e de sa ma^itresse. L’automobile d'emarra lentement, avec un doux ronronnement.