Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)
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M. Varlesque ricanait. Il enfla sa voix pour commenter cette th`ese :
— Nous autres magistrats, fit-il d’un ton insupportablement poseur, nous connaissons ces sortes d’alibis. Le criminel manque en g'en'eral d’imagination et se figure duper la justice en invoquant des pr'etextes qui ne tiennent pas debout.
Puis il ajoutait, d’un ton solennel :
— L’accusation, monsieur Th'eodore Gauvin, vous incriminera de la facon la plus formelle de vous ^etre introduit dans le domicile de M. Baraban, `a sa suite, d’avoir abus'e de la faiblesse de ce vieillard et de l’avoir assassin'e.
Th'eodore avait bondi. Il rassemblait son 'energie :
— Monsieur, hurla-t-il, c’est insens'e, c’est fou ! Je ne suis pas un assassin, Je ne suis jamais entr'e dans cette maison de la rue Richer. Je n’ai pas tu'e M. Baraban, et pourquoi, d’ailleurs, l’aurais-je fait ?
Juve imperceptiblement haussait les 'epaules, en regardant le magistrat. Celui-ci ne s’en apercevait pas, pas plus qu’il ne s’apercevait de la stup'efaction que ses paroles d'eterminaient chez Alice Ricard, et il continua :
— Nous savons, monsieur, car la justice sait tout, que vous 'etiez, que vous ^etes follement 'epris des charmes de M me Alice Ricard, ici pr'esente. Il ne nous appartient pas de commenter cet amour. Assur'ement, ajoutait-il, en jetant un regard en coulisse `a Alice Ricard, madame en est digne. Mais il nous appara^it aussi que vous ^etes d’un caract`ere audacieux, vindicatif et jaloux. L’accusation, monsieur Th'eodore Gauvin, soutiendra que vous avez cru voir, en l’oncle de madame, un amoureux, un amant, et que, fou de col`ere, voulant `a toute force vous venger de ce que, dans votre inconscience, vous deviez appeler une trahison, vous avez assassin'e ce malheureux parent de M me Ricard.
— Mais c’est fou, c’est fou, monsieur, protestait Th'eodore.
Alice Ricard, elle-m^eme, insinuait :
— Monsieur, je vous en prie. Je ne puis croire…
M. Varlesque, tr`es confiant en lui-m^eme, affirmait imperturbablement :
— L’accusation d'emontrera tout cela.
Juve intervint :
— Voulez-vous me permettre ? fit-il, en lancant un coup d’oeil d'edaigneux au juge d’instruction.
— Je vous en prie, monsieur l’inspecteur, d'eclara celui-ci.
Juve, d`es lors, tr`es calme, interrogeait `a nouveau M me Ricard :
— Pendant l’heure que vous avez pass'ee en t^ete `a t^ete avec votre oncle, madame, n’avez-vous rien remarqu'e d’anormal chez lui ? Rien de particulier ?
Alice Ricard semblait fouiller sa m'emoire :
— Non, monsieur, fit-elle, de l’air le plus innocent du monde.
Juve insista, la consid'erant fixement :
— N’avez-vous point remarqu'e, par exemple, madame, dans l’appartement de votre oncle, une certaine malle, une malle jaune, que M. Baraban avait achet'ee l’apr`es-midi m^eme et apport'ee `a son domicile ? Cette malle, assure la concierge, 'etait de grande dimension.
— Oui, interrompit le juge d’instruction, qui regardait toujours s'ev`erement Th'eodore, une malle de dimension suffisante, assure-t-on, pour contenir un corps humain, un cadavre.
Car l’opinion du juge, `a ce moment, 'etait que la victime, apr`es avoir 'et'e assassin'ee, avait 'et'e mise dans cette malle, et emport'ee au loin.
Th'eodore, cependant, accabl'e, ne comprenait naturellement pas cette allusion, et demeurait prostr'e.
Alice, toutefois, avait rougi, s’'etait troubl'ee `a la question de Juve. Elle ne s’attendait 'evidemment pas `a ce que l’on parl^at de la malle jaune.
« Comme tout se sait
En un instant, une inqui'etude affreuse lui serra le coeur.
Elle n’aimait pas les questions de cet 'enigmatique policier, dont le visage impassible ne trahissait point les sentiments. Elle avait peur de cet homme qui lui semblait sup'erieur aux autres et dont elle connaissait, de r'eputation, toute l’habilet'e, toute la logique. Mais Alice se souvenait aussi du pacte intervenu entre elle et son mari :
— Si Fernand 'etait l`a, pensait-elle, il saurait tenir t^ete `a cet homme. Je suis sa femme, je veux ^etre digne de lui.
Et elle songeait que, d’ailleurs, il lui fallait r'epondre nettement, rester calme, farouchement calme, pour ne point 'eveiller le moindre soupcon.
Pour se donner une contenance, elle tapotait ses yeux de son mouchoir, semblait r'eprimer un sanglot, balbutiait :
— Mon pauvre oncle, mon pauvre oncle… esp'erant tout le temps que Juve allait l’interrompre, lui poser une autre question qui faciliterait sa r'eponse.
Mais Juve, patiemment, attendait en silence. Enfin Alice r'epondit :
— J’ai vu cette malle, en effet, chez mon oncle, monsieur. Il l’avait, comme vous dites, achet'ee l’apr`es-midi.
— Dans quel but ? demanda Juve.
— Je ne sais pas, fit Alice, ou plut^ot si, je le suppose. Mon oncle devait partir le lendemain pr'ecis'ement de la nuit o`u il a 'et'e assassin'e, pour un voyage.
— O`u devait-il aller ?
— Je l’ignore, mon oncle voyageait souvent.
— Votre oncle, reprit Juve, 'etait, n’est-ce pas, c'elibataire ?
— Oui, monsieur.
— Madame, reprit le policier, ne vous effarouchez pas des questions que je vais d'esormais vous poser. Mais M. Baraban 'etait-il, `a votre connaissance, un homme de moeurs paisibles ou l'eg`eres ?
— Je ne vous comprends pas, fit Alice Ricard.
— Je vais ^etre plus clair, poursuivit Juve en esquissant un sourire ironique. Je vous demande si vous saviez que votre oncle avait des ma^itresses ?
— Oh monsieur, protesta la jeune femme, je n’ai jamais eu pareil sujet de conversation avec mon oncle Baraban. Mais comme vous dites, il 'etait c'elibataire, toujours tr`es 'el'egant, sortant souvent le soir. Il est possible qu’il ait connu des dames.