Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)
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Or, le temps passait. Fandor, qui, d’abord, avait suivi Juve pas `a pas, quittait bient^ot le policier.
— Dites donc, mon bon ami, commencait le journaliste, je vais aller 'ecrire un bout d’article sur la table dans la salle `a manger. Si vous d'ecouvrez des choses sensationnelles, appelez-moi, hein ?
Juve faisait oui de la t^ete et Fandor allait se mettre au travail.
Or, il y avait `a peine une demi-heure que Fandor noircissait du papier, pour le plus grand int'er^et des lecteurs de La Capitale, lorsque Juve apparaissait dans l’encadrement de la porte.
— Fandor, appelait le policier.
— Oui, qu’est-ce qu’il y a ? demanda le journaliste.
— Lis-moi ton papier.
Fandor, assez surpris, commenca :
— J’ai un titre 'epatant, Juve, 'ecoutez cela :
Une nouvelle affaire Gouff'e [4] . Un vieillard est tu'e dans son propre appartement, son corps est mis dans une malle… La police…
Fandor n’avait pas m^eme le temps de terminer son titre.
Juve interrompait sa lecture :
— Fandor, d'eclarait le policier, je te disais ce matin que tu 'etais un idiot, maintenant je t’affirme que tu es une gourde.
— Ah ca, qu’est-ce qui vous prend ? interrogea Fandor. Pourquoi suis-je une gourde ?
— Parce que, r'epliqua le policier, tu te laisses rouler par plus malin que toi.
— Ce qui veut dire ?
Mais Juve ne r'epondait pas `a cette interrogation.
— Viens, faisait-il en ricanant.
Alors, J'er^ome Fandor se leva, surpris :
— Juve, j’ai horreur des 'enigmes. Vous m’avez trait'e de gourde, cela me vexe. Dites-moi pourquoi je suis une gourde, ou je me livre `a des extr'emit'es f^acheuses.
Le journaliste parlait d’un ton moiti'e plaisant, moiti'e s'erieux.
Juve lui r'epondit par un grand 'eclat de rire :
— Fandor, tu es une gourde, parce que tu te laisses rouler par un vieux bonhomme. Parce que le nomm'e Baraban n’est pas assassin'e, comme tu le crois, parce qu’il se porte, j’imagine, aussi bien que toi et moi, parce que m^eme, je ne suis pas loin d’imaginer qu’il s’amuse beaucoup plus que nous en ce moment.
Et comme Fandor regardait `a cet instant Juve, avec un air v'eritablement ahuri, le policier continuait :
— Tu vois cet affreux d'esordre, Fandor ?
— Oui, eh bien ?
— Eh bien, ce d'esordre-l`a me fait penser `a une histoire d’amour.
C’'etaient encore l`a des paroles si 'enigmatiques que J'er^ome Fandor s’emporta :
— Parlez donc clairement, nom d’un chien ! Vous ^etes assommant, Juve. Qu’est-ce que vous croyez ? Qu’est-ce que vous inventez ?
— Rien, affirma Juve tranquillement, je n’invente rien et je regarde.
— Qu’est-ce que vous regardez, alors ?
— Ceci, cela et cela encore.
Juve, de son doigt, d'esignait le bureau fractur'e, la glace cass'ee, une carpette en poil de ch`evre toute macul'ee de sang.
— Tu ne comprends pas, interrogea-t-il.
— Non, grogna Fandor, mais je crois que vous d'em'enagez.
— Tais-toi et 'ecoute.
Juve, calmement, expliquait :
— Mon petit Fandor, crois-tu qu’il soit utile de d'efoncer un tiroir lorsque la serrure est ouverte ?
— Hein ? s’exclama le journaliste.
— Dame, reprit Juve, c’est ce qui a 'et'e fait ici. Regarde, je n’invente pas, ce tiroir est d'efonc'e, et pourtant la serrure est ouverte, mais je continue. Crois-tu qu’on puisse casser la glace d’une chemin'ee au cours d’une lutte sans casser une pendule qui est juste devant l’endroit o`u le coup a 'et'e port'e ?
Fandor ne r'epondit pas, mais tressaillit.
Juve disait vrai, la glace de la chemin'ee 'etait fendue, l’endroit o`u l’objet qui l’avait cass'ee 'etait tomb'e, 'etait nettement visible, il se trouvait derri`ere une pendule qui, elle, 'etait intacte.
— Enfin, continuait Juve, crois-tu encore que lorsqu’on tra^ine un cadavre au point qu’il laisse sur les tapis une tra^in'ee de sang analogue `a celle que nous voyons, le poids de ce cadavre ne redresse pas quelque peu les poils du tapis ? Autrement dit, expliques-tu comment on aurait pu tra^iner le corps de ce Baraban sur une carpette de ch`evre dont les poils sont parfaitement et r'eguli`erement inclin'es en travers ?
Fandor, encore, demeurait muet.
— Maintenant, reprenait Juve en entra^inant Fandor, et en le conduisant dans toutes les pi`eces de l’appartement, explique-moi ces autres d'etails : comment comprends-tu que des cambrioleurs, des assassins, des meurtriers, soient assez d'elicats pour ne casser, ne fracturer, ne briser, en un mot, que les objets de peu de valeur ? Or, c’est bien ce qu’ils auraient fait ici. Tu peux t’en convaincre toi-m^eme, tout le mobilier de prix est intact. Tous les objets pr'ecieux ont 'et'e pr'eserv'es du pillage. C’est au moins bizarre, hein ?
Les remarques du policier 'etaient si troublantes, ses observations si inattendues, que Fandor, un instant encore, demeurait muet.
Il retrouvait toutefois la parole pour interroger de nouveau Juve :
— Ah ca, disait-il, qu’est-ce que vous inventez donc, Juve ? Ma parole, on dirait que vous ne croyez pas qu’il y ait eu crime et cambriolage ?
Or Juve, `a ces mots, souriait tranquillement :
— Mais bien entendu, faisait-il, que je n’y crois pas ou plut^ot que je n’y crois plus. Tiens, ou je me trompe fort, Fandor, ou voici ce qui s’est pass'e ici : je ne connais pas ce Baraban, mais j’imagine que c’'etait un homme bien conserv'e. Sais-tu cela, toi ?