Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)
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— Quel genre de dames, d’apr`es vous ? insista Juve. Des demi-mondaines, des petites bourgeoises ? Une domestique ?
Alice Ricard feignait la surprise la plus grande :
— Comment voulez-vous, monsieur, que je vous renseigne `a ce sujet ?
Juve insista :
— Vous souvenez-vous que votre oncle ait eu, il y a quelque temps de cela, trois mois environ, une petite bonne `a son service, gentille, dit-on, particuli`erement jolie ?
M me Ricard r'efl'echit un instant, puis elle articula nettement :
— Brigitte ? Vous voulez parler de Brigitte, sans doute ?
— Pr'ecis'ement, affirma Juve, fort heureux d’avoir ainsi la confirmation du nom de cette bonne dont la disparition lui avait paru suspecte et qui avait, disait la concierge, emport'e la cl'e de l’appartement de M. Baraban.
Juve d’ailleurs, en deux mots, racontait au juge d’instruction, pourquoi il orientait ses questions dans ce sens. M me Ricard saisissait la balle au bond.
— Mon Dieu, dit-elle d’un ton d'esesp'er'e. Je comprends tout, maintenant. Cette femme avait gard'e la cl'e du domicile de mon oncle dans le but de revenir chez lui pour y commettre quelque malheur. Oui, oui, c’est certain, poursuivait-elle en s’animant, c’est cette mis'erable qui a d^u perp'etrer le crime. C’est elle qui assassina mon oncle Baraban.
Juve l’interrompait d’un geste sec :
— Je vous en prie, madame, abstenez-vous de commentaires et surtout de conclusions.
Cependant M. Varlesque intervenait dans la conversation :
— Cette bonne, cette Brigitte, serait, dit-il en regardant Juve, sinon l’auteur principal du crime, tout au moins l’indicatrice, la complice ?
Le policier qui, jusqu’alors, 'etait rest'e impassible, s’'enerva subitement :
— Vous allez vraiment trop vite, s’'ecria-t-il. Ce n’est pas une instruction. Et puis d’abord, rien ne prouve qu’il y ait eu crime, et si vous voulez mon avis, je suis convaincu pour ma part, qu’il s’agit d’une fugue, d’une simple fugue et que ce M. Baraban est tout simplement parti faire un voyage d’agr'ement avec une ma^itresse quelconque.
— Ah, monsieur, s’'ecria Th'eodore qui, jusqu’alors, 'ecoutait en silence. Ah, monsieur, puissiez-vous dire vrai, et 'etablir la preuve de mon innocence, car je suis innocent, innocent, je vous le jure.
Th'eodore s’'emouvait `a nouveau. Il se tourna vers Alice Ricard, tomba `a genoux devant elle, joignit les mains et dans cette pose suppliante, il implora :
— Madame, madame, au nom des sentiments que j’'eprouve pour vous, au nom du respectueux amour qui me torture le coeur, au nom de ce que vous avez de plus cher au monde, dites `a ces messieurs que je ne suis pas un assassin… Que je suis incapable d’un crime.
Le juge d’instruction l’interrompait :
— Vous avez vol'e, monsieur, et du vol au meurtre, il n’y a qu’un pas.
— H'elas, h'elas, sanglotait Th'eodore, ce sera le remords de ma vie. Ah, cette faute d’un instant, je ne pouvais imaginer qu’elle aurait d’aussi fatales cons'equences.
Il insistait encore, et se tournant vers Alice Ricard :
— Dites-leur, dites `a ces messieurs, suppliait-il, que je suis incapable d’avoir commis l’affreuse chose qu’on me reproche. Dites-leur que je n’ai pas tu'e votre oncle.
Depuis quelques instants, l’attitude d’Alice s’'etait profond'ement modifi'ee. La d'eclaration de Juve la plongeait dans la stupeur la plus profonde, et elle paraissait fort ennuy'ee de ce qu’avait dit le policier. Comment, il ne croyait pas `a la mort de l’oncle Baraban ? Comment ? Il s’imaginait que l’oncle Baraban 'etait parti en voyage avec une femme ? Oh, il fallait `a toute force l’emp^echer de donner quelque corps `a semblable interpr'etation du myst`ere.
Et Alice, aigrement, r'epliquait `a Th'eodore :
— Mon oncle cependant, monsieur, mon pauvre oncle, a 'et'e bel et bien assassin'e, par qui, je n’en sais rien.
Alice se tournait vers Juve :
— Car il n’y a pas de doute, monsieur, faisait-elle. Mon oncle a 'et'e victime d’une effroyable agression, les journaux d’ailleurs, l’ont racont'e. Il y a eu lutte entre lui et les criminels. On l’a tu'e pour le voler. On a retrouv'e, dit-on, dans l’appartement des tiroirs fractur'es et du sang partout, sur tous les meubles, la malle qu’il avait achet'ee a disparu. Sans doute a-t-on mis son cadavre dedans. Ah, monsieur, monsieur, je vous en prie, il faut que l’on trouve le coupable. Il n’est pas discutable, `a mon avis, que mon oncle a 'et'e assassin'e.
Juve avait 'ecout'e avec la plus grande attention cette tumultueuse d'eclaration d’Alice Ricard. Il r'epondit doucement :
— C’est votre opinion, madame, j’aurais scrupule `a vous en d'etourner. Je vous certifie, en tout cas, que la justice fera le n'ecessaire pour 'eclaircir cette affaire.
Juve regarda sa montre. Il 'etait trois heures de l’apr`es-midi.
— D’apr`es le t'el'egramme recu, dit-il au juge d’instruction, M. Ricard ne rentrera pas `a Vernon avant cette nuit. Je reviendrai le voir et je crois que, pour le moment, nous n’avons plus rien `a demander `a madame, plus de questions `a poser `a M. Th'eodore Gauvin. Voulez-vous que nous levions la s'eance ?
Le juge d’instruction 'etait bien trop subjugu'e par l’ascendant du policier pour 'emettre la moindre objection. Il avait, au surplus, le plus vif d'esir d’^etre libre, afin de pouvoir aller dans la ville rendre visite aux amis et leur raconter avec force d'etails ce qui s’'etait pass'e au cours de cette premi`ere confrontation.
Quelques instants apr`es, M me Ricard qui avait abaiss'e non grand voile de cr^epe sur son visage, regagnait en voiture son domicile. On reconduisait Th'eodore en prison entre deux gendarmes, au milieu d’une haie de badauds qui l’insultaient au passage. Quant `a Juve, il se rendait paisiblement `a la gare, en grommelant :