Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)
Шрифт:
— Oui, avoua Fandor, c’'etait ce qu’on appelle un beau vieillard. Mais quelle conclusion en tirez-vous ?
Juve eut un grand geste du bras :
— J’en conclus, r'epondait-il, que tout ce que nous voyons ici c’est de la mise en sc`ene. M. Baraban, pour moi, a voulu faire croire `a sa mort. Il a r'epandu le sang que tu vois, il a bris'e les meubles auxquels il tenait le moins. Il a organis'e la com'edie, enfin. Et il est parti. Cherchons la femme, Fandor. Je suis bien pr`es d’imaginer que ce soi-disant assassinat a pour cause quelque fugue, en compagnie d’un jupon.
L’hypoth`ese 'etait si invraisemblable, si os'ee, si inattendue surtout, que Fandor s’'etonnait imm'ediatement :
— Bigre, disait-il, comme vous y allez, Juve, une fugue ? C’est bien vite dit, c’est une explication bien facile, mais encore faudrait-il qu’elle soit vraisemblable. Tenez, la malle, qu’en faites-vous ?
— La malle, riposta Juve, mais elle vient `a l’appui de ma th`ese, la malle, parbleu ! C’est tout simple, elle a servi pour la fugue. Ca n’est pas Baraban qui se trouve dedans, sois bien tranquille `a cet 'egard. Ce sont ses chaussettes, ses chemises, ses calecons, et peut-^etre bien les cache-corsets de la dame.
***
Deux heures plus tard, Juve ayant termin'e son enqu^ete sur les lieux m^emes du crime, et de plus en plus convaincu qu’il n’y avait pas eu assassinat, que tout 'etait, rue Richer, le fait d’une mise en sc`ene habile, quittait Fandor et se rendait `a la pr'efecture de police.
Juve, `a cet instant, 'etait persuad'e d’avoir devin'e la v'erit'e. Il n’admettait plus et ne voulait plus admettre la mort du malheureux Baraban.
Les indices ainsi retrouv'es lui semblaient, `a ce sujet, si parfaitement significatifs, qu’il n’admettait pas s’^etre tromp'e.
Fandor, au contraire, ne se tenait point pour convaincu.
« Juve se fiche dedans, pensait le journaliste en regardant partir son ami dans le fiacre qu’il avait envoy'e chercher. Juve voit toujours des choses myst'erieuses o`u les autres d'ecouvrent des choses fort simples. Sapristi, ce n’est pas un drame `a la Fant^omas, ca. Il ne faut pas penser au truc, `a l’invraisemblable. Il faut au contraire ^etre de sang-froid.
Et, d'emolissant les arguments de Juve par la pens'ee, Fandor raisonnait ainsi :
« Un tiroir fractur'e, bien que non ferm'e `a cl'e ? Voil`a ce qui d'ecide Juve. Peuh, cela n’a pas d’importance ! Je vois tr`es bien, `a leur pr'ecipitation, des assassins ne s’apercevant pas de la chose. Un tapis dont les poils ne sont pas rebrouss'es ? Bah, il y a une explication `a cela. Peut-^etre ne tra^inait-on pas le corps sur le sol, on le portait. Et quant aux meubles de valeur respect'es, il y `a vingt mille moyens d’en tirer des d'eductions contraires.
De moins en moins convaincu, Fandor redescendit voir la concierge qui tenait salon dans sa loge et racontait le drame chaque fois diff'eremment, avec des d'etails toujours nouveaux, `a ses coll`egues de la rue.
— S’il vous pla^it, madame ? demandait Fandor, qui avait les cl'es de l’appartement ?
— Moi et M. Baraban, r'epondit la concierge.
— Ah, et personne d’autre ?
— Oh, personne d’autre.
Fandor, sans ajouter un mot, quitta la concierge, remonta l’escalier.
Quelques instants apr`es, il 'etait pench'e sur la serrure de la grande porte de l’appartement tragique.
Fandor, `a cet instant, 'etait troubl'e.
— Dame, s’avouait-il `a lui-m^eme, voil`a un argument qui vient un peu `a l’appui de la th`ese de Juve. La porte n’a pas 'et'e fractur'ee, or il n’y avait que deux personnes `a avoir la cl'e : Baraban et la concierge. Comment donc les assassins seraient-ils entr'es ?
Et il inventait alors qu’ils s’'etaient peut-^etre gliss'es, inapercus, derri`ere la victime.
Fandor en 'etait pr'ecis'ement l`a de ses r'eflexions, lorsqu’une respiration haletante retentit dans l’escalier.
— Monsieur Fandor.
— Oui, eh bien ?
Pench'e sur la rampe, Fandor apercut la concierge.
— Qu’est-ce qu’il y a ?
— Figurez-vous que je me souviens.
— De quoi, madame Euphrasie ?
— Il y avait une autre cl'e.
Cette fois, Fandor fut en moins de quelques minutes au bas de l’escalier.
— Il y avait une autre cl'e de l’appartement ? pr'ecisait-il. Qui l’avait ?
La concierge haleta :
— Une petite bonne, une jolie fille m^eme, ma foi, qui 'etait, il y a trois mois en service chez M. Baraban.
— Elle habitait chez lui ?
— Non, elle venait faire son m'enage.
— Et alors ?
— Alors, je me rappelle qu’un jour, M. Baraban l’a fourr'ee `a la porte, pr'ecis'ement parce qu’elle avait perdu sa cl'e et qu’elle ne voulait pas la remplacer `a son compte.
— Oh, oh ! fit Fandor tr`es int'eress'e.
La concierge, elle, continuait, volubile :
— Des fois, n’est-ce pas, j’vous dis ca pour ce que ca peut servir. Une cl'e perdue, on ne sait jamais dans les mains de qui ca tombe.
`A cet instant, J'er^ome Fandor songeait : « D'ecid'ement, Juve se trompe. » Puis il interrogea :
— Cette bonne, vous connaissez son nom ?
— C’est-`a-dire que je me rappelle qu’elle s’appelait Brigitte.