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Том 3. Публицистические произведения
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Lettre sur la censure en Russie*

Je profite de l’autorisation que vous avez bien voulu me donner, pour vous soumettre quelques r'eflexions, qui se rattachent `a l’objet de notre dernier entretien. Je n’ai assur'ement pas besoin de vous exprimer encore une fois ma sympathique adh'esion `a l’id'ee que vous avez eu la bont'e de me communiquer et, dans le cas o`u on tenterait de la r'ealiser, de vous assurer de ma s'erieuse bonne volont'e de la servir de tous mes moyens. Mais c’est pr'ecis'ement pour ^etre mieux `a m^eme de le faire que je crois devoir, avant toute chose, m’expliquer franchement vis-`a-vis de vous sur ma mani`ere d’envisager la question. Il ne s’agit pas ici, bien entendu, de faire une profession de foi politique. Ce serait une pu'erilit'e: de nos jours, en fait d’opinions politiques, tous les gens raisonnables sont `a peu pr`es du m^eme avis; on ne diff`ere les uns des autres que par le plus ou le moins d’intelligence que l’on apporte `a bien reconna^itre ce qui est et `a bien appr'ecier ce qui devrait ^etre. C’est sur le plus ou le moins de v'erit'e qui se trouve dans ces appr'eciations qu’il s’agirait avant tout de s’entendre. Car s’il est vrai (comme vous l’avez dit, mon prince) qu’un esprit pratique ne saurait vouloir dans une situation donn'ee que ce qui est r'ealisable en 'egard aux personnes, il est tout aussi vrai qu’il serait peu digne d’un esprit r'eellement pratique de vouloir une chose quelconque en dehors des conditions naturelles de son existence. Mais, venons au fait. S’il est une v'erit'e, parmi beaucoup d’autres, qui soit sortie, entour'ee d’une grande 'evidence, de la s'ev`ere exp'erience des derni`eres ann'ees, c’est assur'ement celle-ci: il nous a 'et'e rudement prouv'e qu’on ne saurait imposer aux intelligences une contrainte, une compression trop absolue, trop prolong'ee, sans qu’il en r'esulte des dommages graves pour l’organisme social tout entier. Il para^it que tout affaiblissement, toute diminution notable de la vie intellectuelle dans une soci'et'e tourne n'ecessairement au profit des app'etits mat'eriels et des instincts sordidement 'ego"istes. Le Pouvoir lui-m^eme n’'echappe pas `a la longue aux inconv'enients d’un pareil r'egime. Un d'esert, un vide intellectuel immense se fait autour de la sph`ere o`u il r'eside, et la pens'ee dirigeante, ne trouvant en dehors d’elle-m^eme ni contr^ole, ni indication, ni un point d’appui quelconque, finit par se troubler et par s’affaisser sous son propre poids, avant m^eme que de succomber sous la fatalit'e des 'ev'enements. Heureusement, cette rude lecon n’a pas 'et'e perdue. Le sens droit et la nature bienveillante de l’Empereur r'egnant ont compris qu’il y avait lieu `a se rel^acher de la rigueur excessive du syst`eme pr'ec'edent et `a rendre aux intelligences l’air qui leur manquait…

Eh bien (je le dis avec une enti`ere conviction), pour qui a suivi depuis lors dans son ensemble le travail des esprits, tel qu’il s’est produit dans le mouvement litt'eraire du pays, il est impossible de ne pas se f'eliciter des heureux effets de ce changement de syst`eme. Je ne me dissimule pas plus qu’un autre les c^ot'es faibles et parfois m^eme les 'ecarts de la litt'erature du jour; mais il y a un m'erite qu’on ne saurait lui refuser sans injustice, et ce m'erite-l`a est bien r'eel: c’est que du jour o`u la libert'e de la parole lui a 'et'e rendue dans une certaine mesure, elle c’est constamment appliqu'ee `a exprimer de son mieux et le plus fid`element possible la pens'ee m^eme du pays. A un sentiment tr`es vif de la r'ealit'e contemporaine et `a un talent souvent fort remarquable de la reproduire, elle a joint une sollicitude non moins vive pour tous les besoins r'eels, pour tous les int'er^ets, pour toutes les plaies de la soci'et'e russe. Comme le pays lui-m^eme, en fait d’am'eliorations `a accomplir, elle ne s’est pr'eoccup'ee que de celles qui 'etaient possibles, pratiques et clairement indiqu'ees, sans se laisser envahir par l’utopie, cette maladie si 'eminemment litt'eraire. Si dans la guerre qu’elle a faite aux abus elle s’est laiss'ee parfois entra^iner `a d’'evidentes exag'erations, on peut dire, en son honneur, que dans son z`ele `a

les combattre elle n’a jamais s'epar'e dans sa pens'ee les int'er^ets de l’Autorit'e Supr^eme d’avec ceux du pays: tant elle 'etait p'en'etr'ee de cette s'erieuse et loyale conviction, que faire la guerre aux abus, c’'etait la faire aux ennemis personnels de l’Empereur… Souvent, de nos jours, pareils dehors de z`ele ont, je le sais bien, recouvert de tr`es mauvais sentiments et servi `a dissimuler des tendances qui n’'etaient rien moins que loyales; mais, gr^ace `a l’exp'erience que les hommes de notre ^age doivent avoir n'ecessairement acquise, rien de plus facile que de reconna^itre, `a la premi`ere vue, ces ruses du m'etier, et le faux dans ce genre ne trompe plus personne.

On peut affirmer qu’`a l’heure qu’il est, en Russie il y a deux sentiments dominants et qui se retrouvent presque toujours 'etroitement associ'es l’un `a l’autre: c’est l’irritation et le d'ego^ut que soul`eve la persistance des abus, et une religieuse confiance dans les intentions pures, droites et bienveillantes du Souverain.

On est g'en'eralement convaincu que personne plus que Lui ne souffre de ces plaies de la Russie et n’en d'esire plus 'energiquement la gu'erison; mais nulle part peut-^etre cette conviction n’est aussi vive et aussi enti`ere que pr'ecis'ement dans la classe des hommes de lettres, et c’est remplir le devoir d’un homme d’honneur, que de saisir toutes les occasions pour proclamer bien haut qu’il n’y a pas peut-^etre en ce moment de classe de la soci'et'e qui soit plus pieusement d'evou'ee que celle-ci `a la Personne de l’Empereur.

Ces appr'eciations (je ne le cache pas) pourraient bien rencontrer plus d’un incr'edule dans quelques r'egions de notre monde officiel. C’est que de tout temps il y a eu dans ce monde-l`a comme un parti pris de d'efiance et de mauvaise humeur, et cela s’explique fort bien par la sp'ecialit'e du point de vue. Il y a des hommes qui ne connaissent de la litt'erature que ce que la police des grandes villes conna^it du peuple qu’elle surveille, c’est-`a-dire des incongruit'es et les d'esordres auxquels le bon peuple se laisse parfois entra^iner.

Non, quoi qu’on en dise, le gouvernement jusqu’`a pr'esent n’a pas eu lieu de se repentir d’avoir mitig'e en faveur de la presse les rigueurs du r'egime qui pesait sur elle. Mais dans cette question de la presse, 'etait-ce l`a tout ce qu’il y avait `a faire, et en pr'esence de ce travail des esprits plus libre et `a mesure que le mouvement litt'eraire ira grandissant, l’utilit'e et la n'ecessit'e d’une direction sup'erieure ne se fera-t-elle pas sentir tous les jours davantage? La censure `a elle seule, de quelque mani`ere qu’elle s’exerce, est loin de suffire aux exigences de cette situation nouvelle. La censure est une borne et n’est pas une direction. Or, chez nous, en litt'erature comme en toute chose, il s’agit bien moins de r'eprimer que de diriger. La direction, une direction forte, intelligente, s^ure d’elle-m^eme, voil`a le cri du pays, voil`a le mot d’ordre de notre situation tout enti`ere.

On se plaint souvent de l’esprit d’indocilit'e et d’insubordination qui caract'erise les hommes de la g'en'eration nouvelle. Il y a beaucoup de malentendu dans cette accusation. Ce qui est certain c’est qu’`a aucune autre 'epoque il n’y a eu autant d’intelligences actives `a l’'etat de disponibilit'e et rongeant comme un frein l’inertie qui leur est impos'ee. Mais ces m^emes intelligences, parmi lesquelles se recrutent les ennemis du Pouvoir, bien souvent ne demandent pas mieux que de le suivre, du moment qu’il veut bien se pr^eter `a les associer `a son action et `a marcher r'esolument `a leur t^ete. C’est cette v'erit'e d’exp'erience, enfin reconnue, qui, depuis les derni`eres crises r'evolutionnaires en Europe, a beaucoup contribu'e dans les diff'erents pays `a modifier sensiblement les rapports du Pouvoir avec la presse. Et ici, mon prince, je me permettrai de rappeler, `a l’appui de ma th`ese, le t'emoignage de vos propres souvenirs.

Vous, qui avez connu comme moi l’Allemagne d’avant 1848, vous devez vous rappeler quelle 'etait l’attitude de la presse d’alors vis-`a-vis des gouvernements allemands, quelle aigreur, quelle hostilit'e caract'erisait ses rapports avec eux, que de tracas et de soucis elle leur suscitait.

Eh bien, comment se fait-il que maintenant ces dispositions haineuses aient en grande partie disparu et aient fait place `a des dispositions essentiellement diff'erentes?

C’est qu’aujourd’hui ces m^emes gouvernements, qui consid'eraient la presse comme un mal n'ecessaire qu’ils 'etaient oblig'es de subir tout en le d'etestant, ont pris ce parti de chercher en elle une force auxiliaire et de s’en servir comme d’un instrument appropri'e `a leur usage. Je ne cite cet exemple que pour prouver que dans des pays d'ej`a fortement entam'es par la r'evolution, une direction intelligente et 'energique trouve toujours des esprits dispos'es `a l’accepter et `a la suivre. Car, d’ailleurs, autant que qui que ce soit je hais, quand il s’agit de nos int'er^ets, toutes ces pr'etendues analogies que l’on va chercher `a l’'etranger: presque toujours comprises `a demi, elles nous ont fait trop de mal pour que je sois dispos'e `a invoquer leur autorit'e.

Chez nous, gr^ace au Ciel, ce ne sont pas absolument les m^emes instincts, les m^emes exigences qu’il s’agirait de satisfaire; ce sont d’autres convictions, des convictions moins entam'ees et plus d'esint'eress'ees qui r'epondraient `a l’appel du Pouvoir.

En effet, malgr'e les infirmit'es qui nous affligent et les vices qui nous d'eforment, il y a encore chez nous dans les ^ames (on ne saurait assez le redire) des tr'esors de bonne volont'e intelligente et d’activit'e d’esprit d'evou'ee qui n’attendent, pour se livrer, que des mains sympathiques, qui sachent les reconna^itre et les recueillir. En un mot, s’il est vrai, comme on l’a si souvent dit, que l’Etat a charge d’^ames aussi bien que l’Eglise, nulle part cette v'erit'e n’est plus 'evidente qu’en Russie, et nulle part aussi (il faut bien le reconna^itre) cette mission de l’Etat n’a 'et'e plus facile `a exercer et `a accomplir. C’est donc avec une satisfaction, une adh'esion unanimes, que l’on verrait chez nous le Pouvoir, dans ses rapports avec la presse, assumer sur lui la direction de l’esprit public, s'erieusement et loyalement comprise, et revendiquer comme son droit le gouvernement des intelligences.

Mais, mon prince, comme ce n’est pas un article semi-officiel que j’'ecris en ce moment, et que, dans une lettre toute de confiance et de sinc'erit'e, rien ne serait plus ridiculement d'eplac'e que les circonlocutions et les r'eticences, je t^acherai d’expliquer de mon mieux quelles seraient `a mon avis les conditions auxquelles le Pouvoir pourrait pr'etendre `a exercer une pareille action sur les esprits.

D’abord, il faut prendre le pays tel qu’il est dans le moment donn'e, livr'e `a de tr`es p'enibles, de tr`es l'egitimes pr'eoccupations d’esprit, entre un pass'e rempli d’enseignements (il est vrai), mais aussi de bien d'ecourageantes exp'eriences, et un avenir tout rempli de probl`emes.

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