Том 3. Публицистические произведения
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Pour cette fois encore les Pouvoirs publics et la soci'et'e `a leur suite ont repouss'e, il est vrai, le dernier assaut que leur a livr'e la R'evolution. Mais est-ce bien avec ses propres forces, est-ce bien avec ses armes l'egitimes que la civilisation moderne, que la civilisation lib'erale de l’Occident, s’est prot'eg'ee et d'efendue contre ses agresseurs?
Certes, s’il y a eu un fait grandement significatif dans l’histoire de ces derniers temps, c’est `a coup s^ur celui-ci: le lendemain du jour o`u la soci'et'e europ<'eenne> avait proclam'e le suffrage universel comme l’arbitre supr^eme de ses destin'ees, c’est `a la force arm'ee, c’est `a la discipline militaire qu’elle a 'et'e oblig'ee de s’adresser pour sauver la civilisation. Or, la force arm'ee, la discipline militaire, qu’est-ce autre chose qu’un legs, un d'ebris, si l’on veut, du vieux monde, d’un monde depuis longtemps submerg'e. Et c’est pourtant en s’accrochant `a ce d'ebris-l`a que la soci'et'e contemporaine est parvenue `a se sauver du nouveau d'eluge qui allait l’engloutir `a son tour.
Mais si la r'epression militaire, qui dans le syst`eme 'etabli n’est qu’une anomalie, qu’un heureux accident, a pu, dans un moment donn'e, sauver la soci'et'e menac'ee, suffit-elle pour en assurer les destin'ees? En un mot, l’'etat de si`ege pourra-t-il jamais devenir un syst`eme de gouvernement?..
Et puis, encore une fois, la R'evolution n’est pas seulement un ennemi en chair et en os. C’est <нрзб.> plus qu’un Principe. C’est un Esprit, une Intelligence, et pour le vaincre il faudrait savoir le conjurer.
Je sais bien que les derniers 'ev'enements ont jet'e dans tous les esprits d’immenses doutes et d’immenses d'esenchantements et que bien des enfants de la g'en'eration actuelle ont r'evoqu'e en doute la sagesse r'evolutionnaire de leurs p`eres. On a touch'e au doigt l’inanit'e des r'esultats obtenus. Mais si des illusions, qu’on pourrait d'ej`a qualifier de s'eculaires ont 'et'e emport'ees par la derni`ere temp^ete, nulle foi ne les a remplac'ees… Le doute s’est creus'e, et voil`a tout. Car la pens'ee moderne peut bien batailler contre la R'evolution sur telle ou telle autre de ses cons'equences, le socialisme, le communisme, voire m^eme l’ath'eisme, mais pour en r'esoudre le Principe il faudrait qu’elle se reni^at elle-m^eme. Et voil`a pourquoi aussi la soci'et'e occidentale, qui est l’expression de cette pens'ee, en se voyant accul'ee `a l’ab^ime par la catastrophe de F'evrier, a bien pu se rejeter en arri`ere par un mouvement instinctif, mais il lui faudrait des ailes pour franchir le pr'ecipice ou un miracle, sans pr'ec'edent dans l’histoire des Soci'et'es humaines, pour revenir sur ses pas.
Telle est la situation actuelle du monde. Elle est, certainement, claire pour la divine Providence, mais elle est insoluble pour la raison contemporaine.
C’est sous l’empire de pareilles circonstances que les Pouvoirs publics de l’Occident sont appel'es `a r'egir la Soci'et'e, `a la raffermir, `a la rasseoir sur ses bases, et ils sont tenus `a travailler `a cette oeuvre avec les instruments qu’ils ont recus des mains de la R'evolution et qui ont 'et'e fabriqu'es pour son usage.
Mais ind'ependamment de cette t^ache de pacification g'en'erale, qui est commune `a tous les gouvernements, il y a dans chacun des grands Etats de l’Occident des questions sp'eciales, qui sont le produit et comme le r'esum'e de leur histoire particuli`ere et qui, ayant 'et'e, pour ainsi dire, mises `a l’ordre du jour par la Providence historique, r'eclament une solution imminente.
C’est `a ces questions que s’est attaqu'ee dans les diff'erents pays la R'evolution europ'eenne, mais elle n’a su y trouver qu’un champ de bataille contre le Pouvoir et la Soci'et'e. Maintenant qu’elle a honteusement 'echou'e dans tous ses efforts et dans toutes ses tentatives et qu’au lieu de r'esoudre les questions elle n’a fait que les envenimer, c’est aux gouvernements `a s’y essayer, `a leur tour, en travaillant `a leur solution en pr'esence m^eme et, p<our> ainsi dire, sous le contr^ole de l’ennemie qu’ils ont vaincue.
Mais avant tout passons en revue les diff'erentes questions.
Pour qui observe, en t'emoin intelligent, mais du dehors, le mouvement de l’Europe Occidentale, il n’y a assur'ement rien de plus remarquable et de plus instructif que, d’une part, le d'esaccord constant, la contradiction manifeste et continue entre les id'ees qui y ont pr'evalu, entre ce qu’il faut bien appeler l’opinion du si`ecle, l’opinion publique, l’opinion lib'erale et la r'ealit'e des faits, le cours des 'ev'enements, et, d’autre part, le peu d’impression que ce d'esaccord, cette contradiction si flagrante, para^it faire sur les esprits.
Pour nous, qui regardons du dehors, rien n’est plus facile, assur'ement que de distinguer dans l’Europe Occidentale le monde des faits, des r'ealit'es historiques, d’avec ce mirage immense et persistant, dont l’opinion r'evolutionnaire, arm'ee de la presse p'eriodique, <нрзб.> comme recouvert la R'ealit'e. Et c’est dans ce mirage que vit et se meut, comme dans son 'el'ement naturel, depuis 30 `a 40 ans, cette puissance aussi fantastique que r'eelle que l’on appelle l’Opinion publique…
C’est une 'etrange chose, apr`es tout, que cette fraction de la <soci'et'e> — le Public. C’est l`a, `a proprement parler, la vie <du> peuple, le peuple 'elu de la R'evolution. C’est cette minorit'e de la soci'et'e occidentale qui (sur le continent au moins), gr^ace `a la direction nouvelle, a rompu avec la vie historique des masses et a secou'e toutes les croyances positives… Ce peuple anonyme est le m^eme dans tous les pays. C’est le peuple de l’individualisme, de la n'egation. Il y a cependant en lui un 'el'ement qui, tout n'egatif qu’il est, lui sert de lien et lui fait comme une sorte de religion. C’est la haine de l’autorit'e sous toutes les formes et `a tous ses degr'es, la haine de l’autorit'e comme principe. Cet 'el'ement parfaitement n'egatif, d`es qu’il s’agit d’'edifier et de conserver, devient terriblement positif, d`es qu’il est question de renverser et de d'etruire. — Et c’est l`a, soit dit en passant, ce qui explique les destin'ees du gouvernement repr'esentatif sur le continent. Car ce que les institutions nouvelles ont appel'e jusqu’`a pr'esent la repr'esentation, ce n’est pas, quoi qu’on en dise, la soci'et'e elle-m^eme, la soci'et'e r'eelle avec ses int'er^ets et ses croyances, mais c’est ce quelque chose d’abstrait et de r'evolutionnaire qui s’appelle le public, repr'esentant des opinions et rien de plus. Aussi ces institutions ont bien pu fomenter sachant l’opposition, mais nulle part jusqu’`a pr'esent elles n’ont <нрзб.> fond'e un gouvernement…
Le monde r'eel, toutefois, le monde de la r'ealit'e historique, m^eme sous le mirage n’en est pas moins rest'e ce qu’il est et n’en a pas moins poursuivi son chemin tout `a c^ot'e de ce monde de l’opinion publique qui, gr^ace `a l’acquiescement g'en'eral, avait aussi acquis une sorte de r'ealit'e.
Apr`es que le parti r'evolutionnaire nous a donn'e le spectacle de son impuissance, vient maintenant le tour des gouvernements qui ne tarderont pas `a prouver que s’ils sont encore assez forts pour s’opposer `a une destruction compl`ete, ils ne le sont plus assez pour rien r'e'edifier. Ils sont comme ces malades qui r'eussissent `a triompher de la maladie, mais apr`es que la maladie a profond'ement alt'er'e leur constitution, et dont la vie d'esormais n’est plus qu’une lente agonie. L’ann'ee 1848 a 'et'e un tremblement de terre qui n’a pas renvers'e de fond en comble tous les 'edifices qu’elle a 'ebranl'es, mais ceux m^eme qui sont rest'es debout ont tellement 'et'e l'ezard'es par la secousse, que leur chute d'efinitive est toujours imminente.
En Allemagne la guerre civile est le fond m^eme de sa situation politique. C’est plus que jamais l’Allemagne de la guerre de Trente ans, le Nord contre le Midi, les souverainet'es locales contre le Pouvoir unitaire, mais tout cela d'emesur'ement accru et renforc'e par l’action du principe r'evolutionnaire. En Italie ce n’est pas seulement comme autrefois la rivalit'e de l’Allemagne et de la France ou la haine de l’Italie contre le Barbare ultramontain. Il y a de plus encore la guerre `a mort d'eclar'ee par la R'evolution arm'ee du sentiment de la nationalit'e italienne contre le catholicisme compromis `a la suite de la papaut'e romaine. Quant `a la France qui ne peut plus vivre sans renier `a chaque pas ce qui, depuis 60 ans, est devenu son principe de vie, la R'evolution, — c’est un pays, logiquement et fatalement condamn'e `a l’impuissance. C’est une soci'et'e condamn'ee par l’instinct de sa conservation `a ne se servir d’un de ses bras que pour encha^iner l’autre.