Том 7. О развитии революционных идей в России
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Peu avant le sombre r`egne qui commenca dans le sang russe et qui continua dans le sang polonais, parut le grand po`ete russe Pouchkine, et d`es qu'il parut, il devint n'ecessaire, comme si la litt'erature russe ne pouvait se passer de lui. On a lu les autres po`etes, on les a admir'es, Pouchkine est dans les mains de chaque Russe civilis'e, qui le relit toute sa vie. Sa po'esie n'est plus ni ua essai ni une 'etude, ni un exercice, c''etait sa vocation, et elle devint un art m^ur; la partie civilis'ee de la nation russe trouva en lui, pour la premi`ere fois, le don de la parole po'etique.
Pouchkine est on ne peut plus national et en m^eme temps intelligible aux 'etrangers. Il contrefait rarement la langue populaire des chansons russes, il exprime sa pens'ee telle qu'elle surgit dans son esprit. Comme tous les grands po`etes, il est toujours au niveau de son lecteur, il grandit, devient sombre, orageux, tragique, son vers mugit comme la mer, comme la ior^et agit'ee par une temp^ete, mais il est en m^eme temps serein, limpide, p'etillant, avide de plaisirs, d''emotions. Partout, le po`ete russe est r'eel, rien en lui de maladif, rien de cette pathologie psychologique exag'er'ee, de ce spiritualisme chr'etien abstrait, qu'on voit si souvent dans les po`etes allemands. Sa muse n'est pas un ^etre p^ale, aux nerfs attaqu'es, roul'e dans un linceul, c'est une femme ardente, entour'ee de l'aur'eole de la sant'e, trop riche de sentiments v'eritables pour en chercher de factices, assez malheureuse pour ne pas inventer de malheurs artificiels. Pouchkine avait la nature panth'eiste, 'epicurienne des po`etes grecs, mais il y avait encore dans son ^ame un 'el'ement tout moderne. En se repliant sur lui-m^eme, il trouvait au fond de son ^ame la pens'ee am`ere de Byron, l'ironie corrosive de notre si`ecle.
On a cru voir dans Pouchkine un imitateur de Byron. Le po`ete anglais a en effet exerc'e une grande influence sur le po`ete russe. On ne sort jamais du commerce d'un homme fort et sympathique sans subir son influence, sans m^urir `a ses rayons. La confirmation de ce qui vit dans notre coeur, par l'assentiment d'un esprit qui nous est cher nous donne un 'elan et une port'ee nouvelle. Mais il y a loin de cette action naturelle `a l'imitation. Apr`es les premiers po`emes de Pouchkine o`u l'influence de Byron se fit sentir puissamment, il devint `a chaque nouvelle production de plus en plus original; toujours plein d'admiration pour le grand po`ete anglais, il ne fut ni son client ni son parasite,
Pouchkine et Byron s''ecartent compl`etement l'un de l'autre vers la fin de leur carri`ere, et cela par une cause bien simple; Byron 'etait profond'ement anglais et Pouchkine profond'ement russe, russe de la p'eriode de P'etersbourg. Il connaissait toutes les soulfrances de l'homme civilis'e, mais il avait une foi dans l'avenir que l'homme de l'Occident n'avait plus. Byron, la grande individualit'e libre, l'homme qui s'isole dans son ind'ependance et qui s'enveloppe de plus en plus dans son orgueil, dans sa philosophie fi`ere et sceptique, devient de plus en plus sombre et implacable. Il ne voyait aucun avenir prochain, accabl'e de pens'ees am`eres, d'ego^ut'e du monde, il va livrer ses destin'ees `a un peuple de pirates slavo-h'ell`enes qu'il prend pour des Grecs de l'ancien monde. Pouchkine, au contraire, se calme de plus en plus, il se plonge dans l''etude de l'histoire russe, rassemble des mat'eriaux pour une monographie de Pougatcheff, il compose un drame historique, Boris Godounoff, il a une foi instinctive dans l'avenir de la Russie; les cris de triomphe et de victoire qui l'ont frapp'e enfant encore, en 1813 et 1814, retentissaient dans son ^ame; il a 'et'e m^eme entra^in'e pendant quelque temps par un patriotisme p'etersbourgeois qui se vante du nombre de ba"ionnettes, qui s'appuie sur les canons. Sans doute cette morgue est aussi peu pardonnable que l'aristocratisme pouss'e `a l'exc`es de lord Byron, mais la cause en est 'evidente. Il est douloureux `a dire, mais Pouchkine avait un patriotisme exclusif; de grands po`etes ont 'et'e courtisans, t'emoins Goethe, Racine, etc.; Pouchkine n'a 'et'e ni courtisan, ni gouvernemental, mais la force brutale de l'Etat lui plaisait par instinct patriotique, ce qui fit qu'if partagea le voeu barbare de r'epondre aux raisonnements par des boulets. La Russie est en partie esclave, parce qu'elle tiouve de la po'esie dans la force mat'erielle et voit de la gloire `a ^etre l''epouvantail des peuples.
Ceux qui disent qu'On'eguine, po`eme de Pouchkine, est le Don Juan des moeurs russes ne comprennent ni Byron, ni Pouchkine, ni l'Angleterre, ni la Russie: ils s'en tiennent `a la forme ext'erieure. On'eguine est la production la plus importante de Pouchkine, elle a absorb'e la moiti'e de son existence. Ce po`eme sort m^eme de la p'eriode qui nous occupe, il a 'et'e m^uri par les tristes ann'ees qui ont suivi le 14 d'ecembre, et l'on irait croire qu'une oeuvre pareille, une autobiographie po'etique serait une imitation!
On'eguine, ce n'est ni Hamlet, ni Faust, ni Manfred, ni Obermann, ni Trenmor, ni Charles Moor; On'eguine est un Russe, il n est possible qu'en Russie, l`a il est n'ecessaire et on l'y rencontre a chaque pas. On'eguine, c'est un fain'eant, parce qu'il n'a jamais eu d'occupation; un homme superflu dans la sph`ere o`u il se trouve, sans avoir assez de force de caract`ere pour en sortir. C’est un homme qui tente la vie jusqu'`a la mort et qui voudrait essayer de la mort pour voir si elle ne vaut pas mieux que la vie. a tout commenc'e sans rien poursuivre, il a pens'e d'autant plus qu'il a moins fait, il est vieux `a l'^age de vingt ans et rajeunit par l'amour en commencant `a vieillir. Il a toujours attendu comme nous tous, quelque chose, parce que l'homme n'a pas assez de folie pour croire `a la dur'ee de l''etat actuel de la Russie… Rien n'est venu, et la vie s'en allait. Le personnage d'On'eguine est si national qu'il se rencontre dans tous les romans et dans tous les po`emes qui ont eu quelque retentissement en Russie, non pas qu'on ait voulu le copier, mais parce qu'on le trouve continuellement autour de soi ou en soi-m^eme.
Tchatski, le h'eros d'une com'edie c'el`ebre de Gribo"i'edoff, est un On'eguine raisonneur, son fr`ere a^in'e.
Le H'eros de nos jours, par Lermontoff, est son fr`ere cadet. M^eme dans, les productions secondaires, On'eguine repara^it, outr'e ou incomplet, mais reconnaissable. Si ce n'est lui, c'est au moins sa copie. Le jeune voyageur, dans le Tarantass du cte Sollogoub, est un On'eguine born'e et mal 'elev'e. Le fait est que tous, nous sommes plus ou moins On'eguine, `a moins que nous n'aimions mieux ^etre tchinovnik (employ'e) ou pomechtchik (propri'etaire).
La civilisation nous perd, nous d'esoriente, c'est elle qui fait que nous sommes `a charge aux autres et `a nous-m^emes, d'esoeuvr'es, inutiles, capricieux; que nous passons de l'excentricit'e `a la d'ebauche, d'epensant sans regret notre fortune, notre coeur, notre jeunesse, et cherchant des occupations, des sensations, des distractions, comme ces chiens d'Aix-la-Chapelle de Heine qui demandent aux passants, comme une gr^ace, un coup de pied pour les d'esennuyer. Nous faisons tout, de la musique, de la philosophie, de l'amour, de l'art militaire, du mysticisme, pour nous distraire, pour oublier le vide immense qui nous opprime.
Civilisation et esclavage, sans m^eme qu'il y ait
On nous donne une 'education large, on nous inocule les d'esirs, les tendances, les souffrances du monde contemporain, et l'on nous crie: «Restez esclaves, muets, passifs, ou vous ^etes perdus». En r'ecompense, on nous laisse le droit d''ecorcher le paysan et de dissiper sur le tapis vert ou au cabaret l'imp^ot de sang et de larmes que nous pr'elevons sur lui.
Le jeune homme ne rencontre aucun int'er^et vivace dans ce monde de servilisme et d’ambition mesquine. Et pourtant, c’est dans cette soci'et'e, qu’il est condamne `a vivre, car le peuple encore plus 'elogn'e de iui. «Ce monde» est au moins compos'e d’'etres d'echus de la m^eme esp'ece, tandit qu’il n’y a rien de commun entre lui et le peuple. Les traditions ont 'et'e si bien rompues par Pierre Ier qu'il n'y a pas de force humaine capable de les r'eunir, au moins quant `a pr'esent. Il nous reste l'isolement ou la lutte et nous n'avons pas assez de force morale ni pour le premier ni pour la seconde. C'est ainsi qu'on se fait On'eguine, si l'on ne p'erit pas dans les maisons publiques ou dans les casemates d'une forteresse.