Том 7. О развитии революционных идей в России
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Le mot provisoire, que nous avons appliqu'e aux conditions du r'egime imp'erial, a pu para^itre 'etrange, et pourtant il exprime le caract`ere qui frappe le plus, lorsqu'on envisage de pr`es les actes du gouvernement russe. Ses institutions, ses lois, ses projets, tout en lui est 'evidemment temporaire, transitoire, sans ^etre d'etermin'e et sans forme d'efinitive. Ce n'est pas un gouvernement conservateur, dans le sens du gouvernement autrichien, entre autres, parce qu'il n'a rien `a conserver, `a l'exception de sa force mat'erielle et de l'int'egrit'e du territoire. lia d'ebut'e par une destruction tyrannique des institutions, des traditions, des moeurs, des lois, des coutumes du pays, et il continue par une s'erie de bouleversements, sans acqu'erir de la stabilit'e et de la r'egularit'e.
Chaque r`egne met en question la majeure partie des droits et des institutions; on d'efend aujourd'hui ce qu'on ordonnait hier, on modifie, on varie, on abroge les lois: le code publi'e par Nicolas est la meilleure preuve du manque de principes et d'unit'e dans la l'egislation imp'eriale. Ce code pr'esente la r'eunion de toutes |es lois existantes, c'est une juxtaposition d'ordonnances, de dispositions, d'oukases plus ou moins contradictoires qui expriment beaucoup mieux le caract`ere du prince ou l'int'er^et du moment que l'esprit d'une l'egislation unitaire. Le code du tzar Alexis sert de base, les ordonnances de Pierre Ier, concues dans une tout autre tendance, servent de continuation: une loi de Catherine, dans l'esprit de Beccaria et de Montesquieu, s'y trouve `a c^ot'e des ordres du jour de Paul Ier qui surpassent tout ce qu'on peut trouver de plus absurde et de plus arbitraire dans les 'edits des empereurs romains. Le gouvernement russe, comme tout ce qui n'a pas de racine historique, non seulement n'est pas conservateur, mais tout au contraire, il aime les innovations jusqu'`a la folie. Il ne laisse rien en repos, et s'il am'eliore rarement, il change continuellement. C'est l'histoire des uniformes qu'on modiiie sans cesse et sans motif, pour les civils comme pour les militaires, passe-temps qui ne manquent pas de co^uter des sommes immenses. C'est l'histoire du rebadigeonnage de vieux b^atiments, preuve de bon go^ut et du degr'e de la civilisation du gouvernement russe. Quelquefois on fait des r'evolutions enti`eres en Russie, sans qu'on s'en apercoive `a l''etranger gr^ace au manque de publicit'e et au mutisme g'en'eral. C'est ainsi qu'en 1838 on changea radicalement l'administration de toutes les communes rurales de l'empire. Le gouvernement s'immisca dans les affaires de la commune, il placa chaque village sous une double surveillance de la police, Il commenca une organisation forc'ee des travaux agricoles, il depouilla des communes et en enrichit d'autres, il 'etablit enfin une administration nouvelle pour 17.000.000 d'hommes, sans que cet 'ev'enement, qui a cependant presque toutes les dimensions une r'evolution, ait seulement transpir'e en Europe.
Les paysans, craignant les cadastres et les interventions des agents publics, qu'ils connaissaient pour des pillards privil'egies uniform'es, s'insurg`erent dans beaucoup d'endroits. Dans quelques districts des gouvernements de Kazan, Viatka et Tambov, on est all'e jusqu'`a les mitrailler, et le nouvel ordre jut maintenu.
Un 'etat pareil ne peut durer longtemps, et ce fut pour la premi`ere fois depuis 1812 qu'on commenca `a le sentir.
Le temps d'une association politique et secr`ete 'etait parfaitement bien choisi, sous tous les rapports. La propagande litt'eraire 'etait tr`es active; le c'el`ebre Ryl'eieff en 'etait l'^ame, lui et ses amis, ils ont imprim'e `a la litt'erature russe ce caract`ere d''energie et d'entrain qu'elle n'a jamais eu ni avant ni apr`es. Ce n''etaient pas seulement des paroles, c''etaient des actes. On voyait une r'esolution prise, un but certain, on ne s'abusait pas sur le danger, mais on marchait d'un pas ferme et la t^ete haute vers une solution irr'evocable.
La litt'erature chez un peuple qui n'a point de libert'e publique est la seule tribune, du haut de laquelle il puisse faire entendre le cri de son indignation et de sa conscience.
L'influence de la litt'erature dans une soci'et'e ainsi faite acquiert des dimensions que celles des autres pays de l'Europe ont perdues depuis longtemps. Les po'esies r'evolutionnaires de Ryl'eieff et de Pouchkine se trouvent entre les mains des jeunes gens dans les provinces les plus 'eloign'ees de l'empire. Il n'y a point de demoiselle bien 'elev'ee qui ne les connaisse par coeur, d'officier qui ne les porte dans son havresac, pas de fils de pr^etre qui n'en e^ut fait une douzaine de copies. Ces derni`eres ann'ees, cette ardeur s'est de beaucoup refroidie, parce qu'elles ont produit leur impression; toute une g'en'eration a subi l'influence de cette propagande jeune et ardente.
La conjuration se r'epandait avec c'el'erit'e `a P'etersbourg, `a Moscou, dans la Petite-Russie, parmi les officiers de la garde et de la 2e arm'ee. Les Russes indolents, tant qu'ils ne trouvent pas d'impulsions, sont faciles `a se laisser entra^iner. Une fois entra^in'es, ils vont aux derni`eres cons'equences sans chercher d'accommodement.
Depuis Pierre Ier on a beaucoup parl'e de la facult'e d'imitation que les Russes poussaient jusqu'au ridicule. Quelques savants Allemands pr'etendaient que les Slaves fussent d'enu'es de tout caract`ere propre, que leur qualit'e distinctive se born^at `a l'acceptivit'e. En effet la nationalit'e slave a une grande 'elasticit'e; un fois sortie de l'exclusivisme patriotique, elle ne trouve plus d'obstacle infranchissable pour comprendre les autres nationalites. La science allemande qui ne passe pas le Rhin, et la po'esie anglaise, qui s'alt`ere en traversant le Pas-de-Calais, ont acquis, il y a longtemps, le droit de cit'e chez les Slaves. Il faut ajouter `a cela, qu'au fond de cette acceptivit'e des Slaves, il y a quelque chose d'original qui, tout en se pr^etant aux influences ext'erieures, conserve son propre caract`ere.
Nous retrouvons ce trait de l'esprit russe dans la marche de la conjuration qui nous occupe. Au commencement, elle eut une tendance constitutionnelle, lib'erale dans le sens anglais. Mais `a peine cette opinion fut-elle accept'ee, que l'association se transforma, elle devint plus radicale, `a la suite de quoi beaucoup de membres l'abandonn`erent. Le noyau des conjur'es se fit r'epublicain et no voulut plus se contenter d'une monarchie repr'esentative. Ils pensaient avec raison que s'ils avaient assez de force pour limiter l'absolutisme, ils en auraient assez pour l'an'eantir. Les chefs de l'union du Sud avaient en vue une f'ed'eralisation' r'epublicaine des Slaves, ils travaillaient `a une dictature r'evolutionnaire qui devait organiser les formes r'epublicaines.
Il y avait plus; lorsque le colonel Pestel vint en visite `a la Soci'et'e du Nord, il placa la question sur un autre terrain. Il pensa que la proclamation de la r'epublique n'avancerait rien si l'on n'entra^inait pas la propri'et'e fonci`ere dans la r'evolution. N'oublions pas qu'il s'agit ici des faits qui se sont pass'es entre 1817 et 1825. Les questions sociales n'occupaient alors personne en Europe, Gracchus Baboeuf,
Pestel n''etait ni r^eveur, ni utopiste; tout au contraire, il 'etait compl`etement dans la r'ealit'e, il connaissait l'esprit de sa nation. En laissant les terres `a la noblesse, on aurait obtenu une oligarchie, le peuple n'aurait m^eme pas compris son affranchissement, le paysan russe ne voulant ^etre libre qu'avec sa terre.
Ce fut encore Pestel qui pensa le premier `a faire participer le peuple `a la r'evolution. Il 'etait d'accord avec ses amis que l'insurrection ne pouvait r'eussir sans l'appui de l'arm'ee, mais il voulait aussi entra^iner `a toute force les sectaires religieux, projet profond dont la justesse et la port'ee seront prouv'ees par l'avenir.
Apr`es coup, nous pouvons dire que Pestel se faisait illusion: ni ses amis ne pouvaient travailler `a une r'evolution sociale, ni le peuple faire cause commune avec la noblesse; mais il n'est donn'e qu'aux grands hommes de se tromper de la sorte en anticipant sur le d'eveloppement des masses.
Il se trompait en pratique, de date, mais th'eoriquement, il faisait une r'ev'elation. Il 'etait proph`ete, et toute l'association fut une immense 'ecole pour la g'en'eration pr'esente.
Le 14 (26) d'ecembre a r'eellement ouvert une nouvelle phase `a notre 'education politique, et ce qui peut para^itre 'etrange, la grande intluence que cette oeuvre a eue et qui a agi plus que la propagande et plus que les th'eories, fut le soul`evement m^eme, la conduite h'ero"ique des conjur'es sur la place publique, pendant le proc`es, dans les fers, en pr'esence de l'empereur Nicolas, dans les mines, en Sib'erie. Ce qui manquait aux Russes, ce n''etaient ni les tendances lib'erales, ni la conscience des abus, il leur manquait un pr'ec'edent qui leur donn^at l'audace de l'initiative. Les th'eories inspirent des convictions, l'exemple forme la conduite. Nulle part un pareil exemple n'est plus n'ecessaire que l`a o`u l'homme n'est pas habitu'e `a poursuivre sa volont'e, `a se mettre en 'evidence, `a compter sur lui-m^eme et `a estimer ses forces, o`u au contraire il a toujours 'et'e mineur, sans voix et sans opinion, abrit'e derri`ere la commune comme derri`ere une enceinte infranchissable absorb'e par l'Etat dans lequel il 'etait comme perdu. Avec la civilisation les id'ees de libert'e s''etaient d'evelopp'ees n'ecessairement, mais le m'econtentement passif 'etait trop entr'e dans les habitudes; on voulait sortir du despotisme, mais personne ne voulait ^etre le premier `a le faire.
Eh bien, les premiers se pr'esent`erent avec une grandeur d'^ame et une force de caract`ere telles, que le gouvernement, dans son rapport officiel, n'osa ni les abaisser ni les fl'etrir; Nicolas se borna `a les punir avec f'erocit'e. Le silence, la passivit'e muette 'etaient rompus; du haut de leur gibet, ces hommes r'eveill`erent l'^ame de la nouvelle g'en'eration, un bandeau tomba des yeux.
L'action du 14 d'ecembre sur le gouvernement m^eme ne fut pas moins d'ecisive; de Pierre `a Nicolas, le gouvernement avait tenu haut le drapeau du progr`es et de la civilisation; d`es l'ann'ee 1825, rien de pareil; le pouvoir ne songe qu'`a ralentir le mouvement intellectuel, ce n'est plus le mot de progr`es qu'on inscrit sur la banni`ere imp'eriale, mais les mots: «autocratie, orthodoxie, nationalit'e», ce mane, fare, takel du despotisme, et de plus les deux derniers mots n''etaient l`a que pour la forme. Religion, patriotisme, ce n''etaient que les moyens pour raffermir l'autocratie, le peuple n'a jamais 'et'e dupe du nationalisme de Nicolas; le grand mot qui exprime son r`egne c'est le despotisme disant: «p'erisse la Russie, pourvu que le pouvoir reste illimit'e et intact». Avec cette devise sauvage plus de malentendu, et ce fut encore le 14 d'ecembre qui forca le gouvernement `a quitter l'hypocrisie et `a arborer le despotisme.