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История кавалера де Грие и Манон Леско = Ніstoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut
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Je me remplis si fortement de cette opinion, qu’elle eut la force de diminuer beaucoup ma tristesse. Je retournai sur-le-champ au logis. J’embrassai Manon avec ma tendresse ordinaire. Elle me recut fort bien. J’'etais tent'e d’abord de lui d'ecouvrir mes conjectures, que je regardais plus que jamais comme certaines ; je me retins, dans l’esp'erance qu’il lui arriverait peut-^etre de me pr'evenir en m’apprenant tout ce qui s’'etait pass'e.

On nous servit `a souper. Je me mis `a table d’un air fort gai ; mais, `a la lumi`ere de la chandelle qui 'etait entre elle et moi, je crus apercevoir de la tristesse sur le visage et dans les yeux de ma ch`ere ma^itresse. Cette pens'ee m’en inspira aussi. Je remarquai que ses regards s’attachaient sur moi d’une autre facon qu’ils n’avaient accoutum'e. Je ne pouvais d'em^eler si c’'etait de l’amour ou de la compassion, quoiqu’il me par^ut que c’'etait un sentiment doux et languissant. Je la regardai avec la m^eme attention ; et peut-^etre n’avait-elle pas moins de peine `a juger de la situation de mon coeur par mes regards. Nous ne pensions ni `a parler, ni `a manger. Enfin je vis tomber des larmes de ses beaux yeux : perfides larmes !

« Ah ! Dieu, m’'ecriai-je, vous pleurez, ma ch`ere Manon vous ^etes afflig'ee jusqu’`a pleurer, et vous ne me dites pas un seul mot de vos peines ! Elle ne me r'epondit que par quelques soupirs qui augment`erent mon inqui'etude. Je me levai en tremblant, je la conjurai avec tous les empressements de l’amour de me d'ecouvrir le sujet de ses pleurs ; j’en versai moi-m^eme en essuyant les siens ; j’'etais plus mort que vif. Un barbare aurait 'et'e attendri des t'emoignages de ma douleur et de ma crainte.

Dans le temps que j’'etais ainsi tout occup'e d’elle, j’entendis le bruit de plusieurs personnes qui montaient l’escalier. On frappa doucement `a la porte. Manon me donna un baiser ; et, s’'echappant de mes bras, elle entra rapidement dans le cabinet, qu’elle ferma aussit^ot sur elle. Je me figurais qu’'etant un peu en d'esordre, elle voulait se cacher aux yeux des 'etrangers qui avaient frapp'e. J’allai leur ouvrir moi-m^eme.

A peine avais-je ouvert, que je me vis saisir par trois hommes que je reconnus pour les laquais de mon p`ere. Ils ne me firent point de violence ; mais deux d’entre eux m’ayant pris par les bras, le troisi`eme visita mes poches, dont il tira un petit couteau qui 'etait le seul fer que j’eusse sur moi. Ils me demand`erent pardon de la n'ecessit'e o`u ils 'etaient de me manquer de respect ; ils me dirent naturellement qu’ils agissaient par l’ordre de mon p`ere, et que mon fr`ere a^in'e m’attendait en bas dans un carrosse. J’'etais si troubl'e, que je me laissai conduire sans r'esister et sans r'epondre. Mon fr`ere 'etait effectivement `a m’attendre. On me mit dans le carrosse aupr`es de lui ; et le cocher, qui avait ses ordres, nous conduisit `a grand train jusqu’`a Saint-D'enis. Mon fr`ere m’embrassa tendrement, mais il ne me parla point, de sorte que j’eus tout le loisir dont j’avais besoin pour r^ever `a mon infortune.

J’y trouvai d’abord tant d’obscurit'e, que je ne voyais pas de jour `a la moindre conjecture. J’'etais trahi cruellement ; mais par qui ? Accuser Manon, c’est de quoi mon coeur n’osait se rendre coupable. Cette tristesse extraordinaire dont je l’avais vue comme accabl'ee, ses larmes, le tendre baiser qu’elle m’avait donn'e en se retirant, me paraissaient bien une 'enigme ; mais je me sentais port'e `a l’expliquer comme un pressentiment de notre malheur commun ; et dans le temps que je me d'esesp'erais de l’accident qui m’arrachait `a elle, j’avais la cr'edulit'e de m’imaginer qu’elle 'etait encore plus `a plaindre que moi.

Le r'esultat de ma m'editation fut de me persuader que j’avais 'et'e apercu dans les rues de Paris par quelques personnes de connaissance qui en avaient donn'e avis `a mon p`ere.

Mon fr`ere avait `a Saint-Denis une ch`aise `a deux dans laquelle nous part^imes de grand matin, et nous arriv^ames chez nous le lendemain au soir. Il vit mon p`ere avant moi, pour le pr'evenir en ma faveur en lui apprenant avec quelle douceur je m’'etais laiss'e conduire ; de sorte que j’en fus recu moins durement que je ne m’y 'etais attendu. Il se contenta de me faire quelques reproches g'en'eraux sur la faute que j’avais commise en m’absentant sans sa permission. Pour ce qui regardait ma ma^itresse, il me dit que j’avais bien m'erit'e ce qui venait de m’arriver, en me livrant `a une inconnue ; qu’il avait eu meilleure opinion de ma prudence ; mais qu’il esp'erait que cette petite aventure me rendrait plus sage. Je ne pris ce discours que dans le sens qui s’accordait avec mes id'ees. Je remerciai mon p`ere de la bont'e qu’il avait de me pardonner, et je lui promis de prendre une conduite plus soumise et plus r'egl'ee. Je triomphais au fond du coeur ; car, de la mani`ere dont les choses s’arrangeaient, je ne doutais point que je n’eusse la libert'e de me d'erober de la maison m^eme avant la fin de la nuit.

On se mit `a table pour souper ; on me railla sur ma conqu^ete d’Amiens et sur ma fuite avec cette fid`ele ma^itresse. Je recus les coups de bonne gr^ace ; j’'etais m^eme charm'e qu’il me f^ut permis de m’entretenir de ce qui m’occupait continuellement l’esprit ; mais quelques mots l^ach'es par mon p`ere me firent pr^eter l’oreille avec la derni`ere attention. Il parla de perfidie et de service int'eress'e rendu par M. de B***. Je demeurai interdit en lui entendant prononcer ce nom, et je le priai humblement de s’expliquer davantage. Il se tourna vers mon fr`ere, pour lui demander s’il ne m’avait pas racont'e toute l‘histoire. Mon fr`ere lui r'epondit que je lui avais paru si tranquille sur la route, qu’il n’avait pas cru que j’eusse besoin de ce rem`ede pour me gu'erir de ma folie. Je remarquai que mon p`ere balancait s’il ach`everait de s’expliquer. Je l’en suppliai si instamment, qu’il me satisfit, ou plut^ot qu’il m’assassina cruellement par le plus horrible de tous les r'ecits.

Il me demanda d’abord si j’avais toujours eu la simplicit'e de croire que je fusse aim'e de ma ma^itresse. Je lui dis hardiment que j’en 'etais si s^ur, que rien ne pouvait m’en donner la moindre d'efiance.

« Ha ! ha ! ha ! s’'ecria-t-il en riant de toute sa force, cela est excellent ! Tu es une jolie dupe, et j’aime `a te voir dans ces sentiments-l`a. C’est grand dommage, mon pauvre chevalier, de te faire entrer dans l’ordre de Malte, puisque tu as tant de disposition `a faire un mari patient et commode. » Il ajouta mille railleries de cette force sur ce qu’il appelait ma sottise et ma cr'edulit'e.

Enfin, comme je demeurais dans le silence, il continua de me dire que, suivant le calcul qu’il pouvait faire du temps depuis mon d'epart d’Amiens, Manon m’avait aim'e environ douze jours : « Car, ajouta-t-il, je sais que tu partis d’Amiens le 28 de l’autre mois ; nous sommes au 29 du pr'esent ; il y en a onze que monsieur de B*** m’a 'ecrit ; je suppose qu’il lui en ait fallu huit pour lier une parfaite connaissance avec ta ma^itresse ; ainsi, qui ^ote onze et huit de trente-un jours qu’il y a depuis le 28 d’un mois jusqu’au 29 de l’autre, reste douze, un peu plus ou moins. » L`a-dessus les 'eclats de rire recommenc`erent.

Je n’eus pas la force de soutenir plus longtemps un discours dont chaque mot m’avait perc'e le coeur. Je me levai de table, et je n’avais pas fait quatre pas pour sortir de la salle que je tombai sur le plancher, priv'e de sentiment et de connaissance. On me les rappela par de prompts secours. J’ouvris les yeux pour verser un torrent de pleurs, et la bouche pour prof'erer les plaintes les plus tristes et les plus touchantes. Mon p`ere, qui m’a toujours aim'e tendrement, s’employa avec toute son affection pour me consoler. Je l’'ecoutais, mais sans l’entendre. Je me jetai `a ses genoux ; je le conjurai, en joignant les mains, de me laisser retourner `a Paris, pour aller poignarder de B***. « Non, disais-je, il n’a pas gagn'e le coeur de Manon ; il lui a fait violence, il l’a s'eduite par un charme ou par un poison ; il l’a peut-^etre forc'ee brutalement. Manon m’aime. Ne le sais-je pas bien ? Il l’aura menac'ee, le poignard `a la main, pour la contraindre de m’abandonner. Que n’aura-t-il pas fait pour me ravir une si charmante ma^itresse ! ^O dieux ! dieux ! serait-il possible que Manon m’e^ut trahi et qu’elle e^ut cess'e de m’aimer ? »

Comme je parlais toujours de retourner promptement `a Paris, et que je me levais m^eme `a tous moments pour cela, mon p`ere vit bien que, dans le transport o`u j’'etais, rien ne serait capable de m’arr^eter. Il me conduisit dans une chambre haute, o`u il laissa deux domestiques avec moi, pour me garder `a vue. Je ne me poss'edais point ; j’aurais donn'e mille vies pour ^etre seulement un quart d’heure `a Paris. Je compris que, m’'etant d'eclar'e si ouvertement, on ne me permettrait pas ais'ement de sortir de ma chambre. Je mesurai des yeux la hauteur des fen^etres. Ne voyant nulle possibilit'e de m’'echapper par cette voie, je m’adressai doucement `a mes deux domestiques. Je m’engageai, par mille serments, `a faire un jour leur fortune, s’ils voulaient consentir `a mon 'evasion. Je les pressai, je les caressai, je les menacai ; mais cette tentative fut encore inutile. Je perdis alors toute esp'erance ; je r'esolus de mourir, et je me jetai sur un lit avec le dessein de ne le quitter qu’avec la vie. Je passai la nuit et le jour suivant dans cette situation. Je refusai la nourriture qu’on m’apporta le lendemain.

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