Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)
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— J’entends, approuva Fandor, et je ne suis pas plus flatt'e pour cela par votre appr'eciation.
Mais `a cette riposte, Juve s’emportait davantage.
— Tais-toi, disait-il, et d’abord, t^ache d’^etre s'erieux. R'eponds-moi, tu saisis ?
— Pardon, interrompait Fandor, d'ecidez-vous Juve, c’est blanc ou noir. Voulez-vous que je me taise, ou bien que je vous r'eponde ?
Juve haussait encore les 'epaules :
— Si tu veux plaisanter, faisait-il, nous n’arriverons jamais `a sortir de la situation o`u nous nous trouvons.
— Situation f^acheuse, continua Fandor, puisque apr`es tout, vous dites des sottises et que vous ^etes furibond, mon vieil ami.
Fandor, sur ces mots, descendait de sa chemin'ee, allait prendre une cigarette dans une coupe plac'ee sur le bureau de Juve, l’allumait, puis revenait s’accroupir `a la turque sur le sol, en face de Juve.
— Parlez, ^o mon ma^itre, disait-il, je vous 'ecoute. Donc ce que j’ai fait est stupide.
— C’est criminel, insistait Juve.
— Diable, vous n’allez pas m’arr^eter ?
Il n’y avait pas moyen de garder son s'erieux en face de Fandor. Juve ronchonna quelque chose d’indistinct puis, enfin, prenant `a son tour une cigarette et l’allumant, conclut :
— Raconte-moi l’histoire, polisson que tu es. D’o`u viens-tu au juste ?
— Je vous l’ai dit, Juve, de Bordeaux, pays du bon vin.
— Et tu 'etais avec H'el`ene ?
— Assur'ement.
— Et tu l’as laiss'ee partir ?
— C’est indiscutable, mon vieux Juve.
Le policier, `a ce moment, se levait et tr'epignait de rage.
— Voil`a donc comment on est trahi par ses meilleurs amis, disait-il. Ainsi, Fandor, depuis dix ans bient^ot que nous sommes ins'eparables, nous travaillons contre Fant^omas, nous luttons ensemble, et tout cela nous a conduits `a quoi ? `A ce qu’aujourd’hui tu viennes froidement me d'eclarer :
— C’est pourtant vrai, r'epondait flegmatiquement Fandor.
Le journaliste fumait b'eatement, puis, se redressant pour aller s’asseoir `a califourchon sur une chaise sur laquelle il se balancait au risque de perdre son 'equilibre, Fandor recommencait, fixant Juve :
— 'Ecoutez, disait-il, je vais mettre les points sur les iet vous me direz si j’ai eu tort. D’abord, je prends l’affaire au d'ebut : donc, mon vieil ami, apr`es avoir donn'e l’assaut `a la villa tragique de Ville-d’Avray, nous nous trouvions, vous et moi, gros Jean comme devant. Vous, Juve, vous avez laiss'e partir Fant^omas, et moi, moi, Fandor, j’ai laiss'e filer H'el`ene. Vous pleurez votre bandit, je sanglote apr`es ma fianc'ee.
— Tu dis cela bien gaiement, interrompait Juve.
— Dame, ripostait Fandor, j’'economise mes larmes, que voulez-vous ? On fait les 'economies qu’on peut.
Et, cette sage remarque avanc'ee, J'er^ome Fandor poursuivit :
— `A ce moment, Juve, qu’avons-nous fait ? Vous avez couru `a la pr'efecture, vous vous ^etes donn'e un mal du diable, puis, furieux, d'esabus'e, pr^et `a vous pendre, vous avez 'et'e vous coucher. Est-ce exact ?
— Tr^eve de plaisanterie, grommela Juve, arrive au fait.
— Mais j’y arrive, tout doucement, chi va piano va sano, chi va sano va lontano. Donc Juve, vous alliez vous coucher et j’allais 'egalement me pieuter. Ah, je n’'etais pas fier, je vous assure !
— Parbleu, interrompait Juve, j’imagine qu’`a ce moment, tu fulminais contre H'el`ene qui t’avait bel et bien tir'e deux coups de revolver dans la figure ! Une fianc'ee comme ca… !
Mais Juve n’achevait pas. Fandor, en l’entendant, avait brusquement chang'e de visage, il cessait de plaisanter et c’'etait sur un ton s'erieux qu’il protestait :
— Mon bon Juve, disait-il, ne me parlez pas sans savoir et n’accusez pas H'el`ene `a la l'eg`ere. 'Ecoutez-moi !
— Bon, bon, marche toujours ! Je suis tout de m^eme curieux de savoir comment tu d'efendras cette douce enfant, et comment tu m’expliqueras qu’en faisant feu sur toi, elle ne s’est point rendue coupable d’un v'eritable crime.
Juve se taisait. Fandor recommencait `a plaisanter.
— Votre curiosit'e sera r'ecompens'ee, Juve, disait-il.
Et il ajoutait :
— 'Etendu dans mon lit, ainsi que j’avais l’honneur de vous le dire, je r'efl'echissais `a toutes sortes de choses, mon bon Juve, lorsqu’on sonna `a ma porte.
— C’'etait H'el`ene, interrompit Juve.
— Non, riposta Fandor. C’'etait un t'el'egraphiste ; or un t'el'egraphiste apporte toujours un t'el'egramme. De qui 'etait ce t'el'egramme ? D’abord, en me recouchant parce que j’avais froid, je pensais qu’il venait de vous, mais apr`es l’avoir ouvert, je restais stup'efait d’'etonnement. Il 'emanait d’H'el`ene.
Or, Fandor n’avait pas fini de parler que Juve tr'epignait encore.
— Eh bien, faisait-il, voil`a ce que j’attendais ! Quand H'el`ene, `a ce moment, a t'el'egraphi'e, pourquoi ne m’as-tu pas pr'evenu ? Pourquoi ne m’as-tu pas envoy'e un coup de t'el'ephone en me disant que tu avais retrouv'e sa trace ? R'eponds, Fandor, pourquoi n’as-tu pas fait cela ?
— Parce que, mon bon Juve, ce t'el'egramme me disait `a peu pr`es :
Venez d’urgence me chercher. Je vous attends `a la gare de Lyon `a midi ; ne pr'evenez pas Juve.