Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)
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C’'etait bien l’avis de Fandor, et sur ce point au moins, le journaliste n’'elevait aucune objection.
La lutte allait reprendre `a coup s^ur, terrible, folle, ^apre, acharn'ee, entre le G'enie du Crime et les deux d'efenseurs du devoir.
Le plan de campagne, toutefois, n’'etait point facile `a 'etablir. Juve lui-m^eme le constatait :
— Ce qu’il y a de d'esesp'erant, disait-il, c’est qu’en ce moment, nous n’avons plus aucune piste `a suivre. Tous les fils sont rompus. Fant^omas est quelque part, occup'e `a quelque chose, mais o`u est-il ? Et que m'edite-t-il ?
Juve baissait la t^ete, puis ajoutait d’un ton grognon :
— Enfin, il y a autre chose qui m’ennuie. Je sais qu’`a la pr'efecture, les coll`egues me jalousent quelque peu pour la libert'e qu’on me laisse. Havard ne me l’a pas cach'e. Il me l’a si peu cach'e m^eme qu’il m’a annonc'e, mon pauvre Fandor, que, pour faire taire les m'edisances, il allait ^etre oblig'e de me charger de quelques enqu^etes n’ayant point trait `a Fant^omas. Dieu, que cela m’ennuie, et comme j’aurais plaisir `a avoir quelques milliers de livres de rentes pour envoyer promener la police officielle et pouvoir me consacrer exclusivement aux recherches que je poursuis depuis si longtemps !
Or, on e^ut dit que Juve avait parl'e avec un v'eritable instinct de divination. Au moment m^eme o`u il confessait `a Fandor l’ennui qu’il avait d’^etre oblig'e de faire son m'etier de policier, la sonnerie de son t'el'ephone retentit, imp'erative.
— All^o, cria Juve s’emparant du r'ecepteur, qui me demande ?
Fandor entendit la voix du policier se faire cordiale.
— Ah, c’est vous, monsieur Havard ? Mais parfaitement, je suis `a vos ordres.
Juve 'ecouta quelques instants en silence les renseignements qu’on lui transmettait :
— All^o, r'epondit-il enfin, c’est une affaire urgente, me dites-vous… ? Et assez amusante… ? Bon, tr`es bien, c’est entendu, je serai dans votre cabinet dans vingt minutes au plus tard.
Juve raccrocha le r'ecepteur, puis, l’air navr'e, s’adressa `a Fandor :
— Le diable soit d’Havard, disait-il. On me convoque pour un crime.
— Tiens, o`u donc ?
— Rue Richer, `a ce que j’ai compris.
Fandor s’'etonna :
— Dans ma rue ? Oh ca, c’est rigolo, fit le journaliste. Havard ne vous a pas dit le num'ero de l’immeuble o`u a 'et'e commis ce crime ? Cette nuit, justement, on a fait un boucan de tous les diables dans ma maison. Je me demandais ce que cela signifiait.
Juve ne r'epondit point.
Il avait 'et'e jusqu’`a la porte de son cabinet de travail. Il appela :
— Jean, mes bottines, mon chapeau, mon veston bleu, allez, grouillez, nom de Dieu !
Un instant plus tard, Juve 'etait pr^et et quittait Fandor sur le seuil de sa porte.
— Veux-tu venir d^iner avec moi ? demandait-il.
— Oui, acceptait Fandor. Autant vous qu’un autre.
— Alors, viens me prendre `a huit heures `a la maison, ou plut^ot donne-moi un coup de t'el'ephone, car ma foi, puisque je suis charg'e d’une enqu^ete, je ne sais trop ce que je vais devenir.
— Entendu !
Fandor s’'eloignait. Juve appelait un taxi-auto :
— `A la pr'efecture !
Or, tandis que le taxi-auto d'evalait des hauteurs de Montmartre jusqu’au quai des Orf`evres, Juve, naturellement songeait.
« Ah ca, pensait le policier, qu’a donc Fandor en ce moment pour ^etre si joyeux ? L’animal, c’est qu’il n’a rien voulu me dire du tout de ce que lui a confi'e H'el`ene. Ce sacr'e Fandor est respectueux de sa parole d’une facon assommante. Il est aussi chatouilleux l`a-dessus que moi-m^eme. Bah, j’arriverai bien `a lui tirer les vers du nez et `a le faire parler sans qu’il s’en doute.
Juve, en effet, 'etait fort curieux de conna^itre les confidences qu’avait pu faire la fille de Fant^omas au journaliste.
Pourquoi H'el`ene avait-elle parl'e de retourner au Natal ? 'Etait-ce bien au Natal qu’elle allait en r'ealit'e ? Que voulait dire enfin cette phrase 'enigmatique rapport'ee par Fandor : « Je vais travailler pour notre bonheur » ?
***
`A la Pr'efecture de police Juve trouvait M. Havard fort affair'e :
— C’est vous ? disait le chef de la S^uret'e. Vous n’avez pas 'et'e long `a venir. 'Ecoutez, Juve, voici l’aventure : rue Richer, num'ero 22, on a d'ecouvert ce matin…
— Au 22, dit Juve, mais c’est la maison de Fandor, cela.
Havard, `a son tour, sursauta :
— Tiens, c’est vrai, je n’y avais pas song'e ! Eh bien, alors, votre enqu^ete sera facilit'ee d’autant, Juve, que Fandor pourra sans doute vous donner d’utiles renseignements.
— En effet, mais de quoi s’agit-il ?
— D’un crime, et d’un crime bizarre.
M. Havard se renversait dans son fauteuil et fermant `a demi les yeux commencait `a expliquer :
— Ce matin, la concierge du num'ero 22 montait dans l’appartement d’un de ses locataires, un certain Baraban, dont elle est charg'ee de faire le m'enage.
— Tr`es bien. Quel ^age, ce Baraban ?
— Je vais vous le dire, laissez-moi parler. Donc, la concierge montait faire le m'enage ; elle avait la surprise et l’'emotion de trouver l’appartement dans un d'esordre 'epouvantable. Du sang partout, des meubles fractur'es, des tentures arrach'ees, des traces de mains sanglantes sur les rideaux, bref, tout le d'esordre ordinaire qui accompagne un crime.
— Tr`es bien, et le cadavre ?
M. Havard sourit :
— Le cadavre, mon pauvre Juve, n’'etait pas l`a. C’est pr'ecis'ement lui que je vous charge de retrouver.
Juve fit la grimace :
— Enqu^ete longue et difficile. Sait-on comment il a 'et'e emport'e ?
— `A peu pr`es, r'epondit M. Havard. La concierge affirme qu’il y avait, dans l’appartement, une grande malle jaune, livr'ee au malheureux Baraban la veille m^eme de sa mort. Elle a tr`es certainement servi `a emporter le corps.